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Les accords régionaux

Section II. Les instruments de la mondialisation du commerce

2. Les accords régionaux

Avec la mondialisation commerciale, le deuxième grand phénomène économique

est la régionalisation

236

de l’économie mondiale. L'intégration régionale peut être

considérée comme un autre type de réaction au retrait des États-nations. Chaque

pays espère retrouver au niveau d'un groupement régional, un pouvoir d'influence

qui n'est plus accessible à l'échelon national. Les groupements régionaux se

présentent comme des espaces qui aspirent à se doter de moyens pour participer

pleinement à la croissance mondiale

237

.

Nous pourrions citer, à ce titre, le forum de coopération économique qui est

« une association de pays, fondée sur une logique régionale et, plus souvent,

interrégionale. Elle vise à organiser une coopération entre États sur des questions

235 Jean-Marc SIROËN, « Négociations commerciales multilatérales et cycle de Doha : les leçons d’un échec annoncé », (2011) 2:16 Négociations 9.

236 J.-M. SIROËN, préc., note 202, p. 3. L’auteur précise que « les termes de région et de régionalisation sont ambigus. Ils font à la fois référence à une partition des États-Nations en « provinces » et au regroupement de ces mêmes États-nations dans des ensembles politiques ou économiques plus ou moins fédérés. »

237 Edward D. MANSFIELD et Eric REINHARDT, “Multilateral Determinants of Regionalism: The Effects of GATT/WTO on the Formation of Preferential Trading Arrangements”, (2003) 57

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économiques au sens large »

238

. Nous retrouvons ensuite les accords de préférence

non réciproques qui « sont fondés sur l’octroi unilatéral d’avantages à certains

pays exportateurs, sans que le pays importateur obtienne des avantages

équivalents. »

239

, les accords de libre-échange, qui se basent sur « la réciprocité de

la baisse des barrières douanières »

240

, l’union douanière, qui se définit comme

« une zone de libre-échange qui intègre certains domaines relevant de la politique

commerciale des États membres »

241

et enfin, le marché commun, qui est « une

union douanière qui étend l’accord de libéralisation aux facteurs de production : le

travail, le capital financier et technique »

242

.

Il s’agit, de manière générale, d’une polarisation géographique des échanges et à la

création de formes institutionnelles à une échelle continentale ou

intercontinentale

243

. L'accélération du processus de mondialisation est

accompagnée d'un retour en grâce des associations régionales

244

. La formation de

238 J.-M. SIROËN, préc., note 202, p. 12. 239 Id., p. 13. 240 Id., p. 13. 241 Id., p. 15. 242 Id., p. 16.

243 Sur les principaux accords régionaux et leur fonctionnement, voir Emmanuel NYAHOHO et Pierre-Paul PROULX, Le commerce international : Théories, politiques et perspectives

industrielles, Québec, P.U.Q., 2006, p. 320 et suiv.

244 R. BÉNICHI, préc., note 108, p. 239 : « Solution intermédiaire entre la fragmentation, stade initial du marché capitaliste mais aussi stade final de l’expérience soviétique, et la mondialisation, la régionalisation se traduit par le développement de solidarités commerciales, financières, monétaires, ainsi que politiques et culturelles entre des États-nations voisins ou proches par leur niveau de vie, leurs orientations, leurs intérêts ».

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blocs régionaux est d’ailleurs devenue une tendance de portée générale

245

. Le

continent européen a été le précurseur en ce domaine, avec la signature du Traité

de Rome

246

en 1957, avec pour but la mise en place d’un marché commun

247

, mais

des tendances similaires sont apparues en Amérique du Nord, en Amérique du

Sud, en Asie et en Afrique.

En Amérique du Nord, se met en place l’Association de libre-échange nord-

américaine

248

(ALENA ou NAFTA en anglais), regroupant les États-Unis, le

Canada et le Mexique (en vigueur depuis le 1

er

janvier 1994)

249

. Plus au Sud, se

crée le

Mercado Común del Sur (MERCOSUR)

250

, une union douanière

245 ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE, Accords commerciaux régionaux, disponible à l’adresse : <http://www.wto.org/french/tratop_f/region_f/region_f.htm> (consulté le 6 juillet 2013) : « La multiplication des accords commerciaux régionaux (ACR) n'a pas faibli depuis le début des années 1990. Au 15 janvier 2013, le GATT/l'OMC avaient reçu 546 notifications d'ACR, si l'on compte séparément les marchandises et les services. Parmi ceux-ci, 354 étaient en vigueur. Le point commun entre tous les ACR à l'OMC est qu'ils sont des accords commerciaux réciproques entre deux partenaires ou plus ».

246 Traité de Rome instituant la Communauté européenne, 25 mars 1957, disponible à l’adresse : <http://eur-lex.europa.eu/fr/treaties/dat/11957E/tif/11957E.html> (consulté le 6 juillet 2013). 247 Louis DUBOUIS et Claude BLUMANN, Droit institutionnel de l’Union européenne, 2e éd., Paris, Litec, 2005.

248 ASSOCIATION DE LIBRE-ÉCHANGE NORD-AMÉRICAINE, disponible à l’adresse : <www.dfait-maeci.gc.ca/nafta-alena/agree-fr.asp> (consulté le 6 juillet 2013).

249 B. LANDRY, A. PANET-RAYMOND et D. ROBICHAUD, préc., note 219, p. 28 : « L'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a succédé à l'Accord de libre-échange (ALE) signé en 1989 par les États-Unis et le Canada. Le premier accord bilatéral prévoyait une réduction progressive des barrières tarifaires entre les deux pays jusqu'à leur élimination sur une période de 10 ans. Entretemps, le Mexique s'est joint à ses deux voisins du Nord en signant avec eux l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui est entré en vigueur le 1er janvier 1994 ».

250 MERCADO COMÚN DEL SUR : <www.mercosur.int/> (consulté le 6 juillet 2013) ; B. LANDRY, A. PANET-RAYMOND et D. ROBICHAUD, préc., note 219, p. 33 : « Le Mercosur a été fondé le 26 mars 1991, avec la signature du Traité d'Asuncion. C'est la quatrième région intégrée au monde après l'Union européenne, l'ALENA et l'ASEAN, avec une population d'environ 213 millions d'habitants. Le Mercosur a pour objectifs la libre circulation des biens, des services et des

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incomplète, réunissant l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay. On pourrait

aussi citer la Zone de libre-échange des Amériques

251

(ZLEA), née lors du premier

Sommet des Amériques, tenu à Miami en 1994. L’Union des nations sud-

américaines (UNASUR)

252

et la Communauté des États latino-américains et

caribéens (CELAC)

253

restent des forums politiques, tandis que d’autres pays de la

région avancent vers une intégration et une ouverture accrues, grâce à l’Alliance

du Pacifique

254

.

En Asie, l'Association des Nations du Sud-Est asiatique

255

( Association of South

Eastern Asian Nations, ASEAN) a connu des débuts modestes du fait des conflits

dans les pays de la région

256

. Néanmoins, depuis 1992, un accord a permis la

facteurs de production, la création d'un tarif extérieur commun, le rapprochement des politiques économiques, et l'harmonisation des législations entre les membres ».

251 ZONE DE LIBRE-ECHANGE DES AMERIQUES : <http://www.ftaa-alca.org/view_f.asp> (consulté le 6 juillet 2013).

252 UNIÓN DE NACIONES SURAMERICANAS : <www.unasursg.org/ > (consulté le 6 juillet 2013).

253 COMUNIDAD DE ESTADOS LATINOAMERICANOS Y CARIBEÑO : <http://www.sela.org/view/index.asp?pageMs=97495> (consulté le 6 juillet 2013).

254 Lancée le 6 juin 2012, l’Alliance du Pacifique comprend : le Pérou, le Mexique, le Chili et la Colombie.

255 ASSOCIATION OF SOUTH EASTERN ASIAN NATIONS : <www.asean.org/ > (consulté le 6 juillet 2013). L’ASEAN se composait à sa création de cinq membres : Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande, États auxquels sont venus s’ajouter le sultanat de Brunei (1984), le Vietnam (1995), le Laos et le Myanmar (1997), ainsi que le Cambodge (1999).

256 B. LANDRY, A. PANET-RAYMOND et D. ROBICHAUD, préc., note 219, p. 35 : « La naissance et les débuts de l'organisation ont eu lieu dans un contexte d'instabilité régionale avec le conflit Vietnam - États-Unis qui s'est terminé en 1975, et le conflit cambodgien avec l'arrivée des Khmers rouges en 1978. Pendant 15 ans encore, les pays de la région sont demeurés dans un état de veille et de tension constante. La mission de l'ASEAN s'est par la suite transformée en celle d'une vraie coopération régionale avec l'adhésion en 1984 de Brunei, petit sultanat de moins de 300 000 âmes coincé entre l'Indonésie et la Malaisie, et en 1995 du Vietnam, pourtant encore communiste.

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création d'une zone de libre-échange appelée ASEAN Free Trade Area (AFTA). En

Afrique, nous retrouvons la Communauté économique des États de l'Afrique de

l'Ouest (CEDEAO), la Communauté économique et monétaire de l'Afrique

centrale (CEMAC) et le Marché commun de l'Est et du Sud de l'Afrique

(COMESA).

Les accords bilatéraux se multiplient aussi

257

. Il est manifeste que la volonté

politique de conclure des accords commerciaux bilatéraux ne faiblit pas et a, au

contraire, tendance à se renforcer dans une optique transcontinentale

258

. Par

exemple, le Canada et l'Union européenne ont ainsi complété la neuvième série de

négociations en vue d'un accord économique et commercial global

259

(AECG). Les

États-Unis ont créé deux forums de négociations. Le premier, le projet d’Accord

de commerce et d’investissement transatlantique (Trans-Atlantic Trade and

Investment Partnership, TTIP) avec l’Union Européenne

260

comporte deux volets :

En 1997, deux autres pays de la région y adhèrent : le Laos et le Myanmar. Le 10e pays à se joindre à l'ASEAN fut le royaume du Cambodge en février 1999 ».

257 Voir ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE, Système d'information sur les Accords Commerciaux Régionaux (SI-ACR), disponible à l’adresse : <http://rtais.wto.org/UI/PublicMaintainRTAHome.aspx> (consulté le 6 juillet 2013).Le Système d'information sur les Accords Commerciaux Régionaux est une base de données de l’Organisation Mondiale du Commerce. Elle contient des informations sur les accords ayant fait l'objet d'une notification ou d'une annonce préalable à l'OMC.

258 A. LÉON et T. SAUVIN, préc., note 12, p. 109.

259 AFFAIRES ÉTRANGÈRES, COMMERCE ET DÉVELOPPEMENT CANADA,

Négociations en vue d’un accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne. État des négociations, disponible à l’adresse :

<http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/eu- ue/negotiations-negociations.aspx?lang=fra> (consulté le 6 juillet 2013).

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un volet commerce des biens et services et un volet investissements directs à

l'étranger. Le second, le projet d’Accord de partenariat transpacifique

261

(Trans-

Pacific Partnership, TPP) couvre tous les sujets (biens, services, propriété

intellectuelle, investissement, entreprises publiques et politique de la concurrence).

La question souvent débattue étant de savoir si cette multiplication d’accords, qui

progresse dans le monde depuis plusieurs années, exprime un mouvement de repli

s’opposant, ainsi à la mondialisation ou au contraire en constitue une

composante

262

. En effet, le chevauchement de ces accords pourrait cloisonner les

marchés et entraver les flux commerciaux et par là même la croissance mondiale.

La multitude d'accords préférentiels conclus à ce jour peuvent discriminer les pays

exclus de ces accords et contredire le principe de non-discrimination, un des piliers

des règles de l'OMC.

260 COMMISSION EUROPÉENNE, Négociations UE/États-Unis sur le commerce et

l'investissement, disponible à l’adresse : <http://ec.europa.eu/trade/policy/in- focus/ttip/index_fr.htm> (consulté le 6 juillet 2013).

261 Le Trans-Pacific Partnership implique 11 pays : Australie, Brunei, Canada, Chili, Malaisie, Mexique, Nouvelle Zélande, Pérou, Singapour, États-Unis et Viet Nam ; pour une approche critique de cet accord, voir ELECTRONIC FRONTIER FOUNDATION, Trans Pacific

Partnership Agreement, disponible à l’adresse : <https://www.eff.org/issues/tpp> (consulté le 6

juillet 2013).

262 S. A. SHIRM, préc., note 184, p. 185 et 186 : “Regional cooperation fulfills the task of responding to transnational processes that are also effective in the territorial ‘inside’ and therefore shape domestic policy articulation. In this way, international relations in the form of regional cooperation are a continuation of national (economic) policy by other means”.

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Bien que l’Europe soit très en avance sur le plan de l’intégration régionale

263

, et

que les types de régionalisme soient très différents, le régionalisme et le

multilatéralisme sont apparus, ces dernières années, moins substituables ou

complémentaires qu'interdépendants

264

. La régionalisation n'est certainement pas

contradictoire avec le multilatéralisme

265

. En effet, les accords régionaux peuvent

servir de terrains d’essai pour de nouvelles approches de problèmes commerciaux

compliqués. Ils constituent les bases de futures règles commerciales multilatérales

et permettent en outre d'ouvrir d'autres marchés et de pallier les blocages du

multilatéralisme mondial. Ainsi, par exemple, l'ALENA réplique et, parfois,

duplique les principes et les institutions du GATT. Sur de nombreux points, les

mesures de l'ALENA ont précédé des mesures finalement adoptées dans les

accords de Marrakech

266

.

263 B. LANDRY, A. PANET-RAYMOND et D. ROBICHAUD, préc., note 219, p. 31 : « De toutes les organisations ou de tous les accords commerciaux dans le monde, l'Union européenne (UE) demeure le processus d'intégration le plus original et avancé ».

264 J.-M. SIROËN, préc., note 202, p. 69 : « Non seulement la constitution de zones régionales préserve la compétence du multilatéralisme dans le traitement des relations interzones, mais, de plus, dans un système multilatéral, régi par la règle du consensus, la constitution de zones intégrées facilite la coopération. Les négociations commerciales pourraient s’en trouver simplifiées ». 265 Alain CROCHET, « Mondialisation et régionalisation : les déterminants exogènes de l’ALENA », dans Martine AZUELOS, Marìa Eugenia COSIO-ZAVALA et Jean-Michel LACROIX (dir.),

Intégration dans les Amériques, dix ans d’ALENA, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 143.

266 J.-M. SIROËN, préc., note 202, p. 21. L’auteur souligne que : « La signature de L’Alena visait en effet à régler au niveau régional des questions qui étaient encore en suspens à L’OMC au début des années 1990, notamment dans les services et l’investissement ».

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Par ailleurs, le développement du concept de régionalisme ouvert

267

cherche à

libérer la régionalisation de son ambiguïté en la situant dans une perspective de

libéralisation multilatérale. L’idée de régionalisme ouvert a vu le jour dans le

cadre de la Coopération Économique de la zone Asie-Pacifique

268

(Asia-Pacific

Economic Cooperation, APEC). L’APEC est une organisation qui cherche à éviter

tout formalisme institutionnel

269

. En effet, il s'agit d'une intégration économique

régionale sans discrimination contre des pays tiers. Le régionalisme est alors,

davantage d'ordre coopératif, et l'ouverture des marchés nationaux se réalise sur

une base non discriminatoire

270

.

L’ancien régionalisme s’inscrivait dans l’ère de la mondialisation : il pouvait

s’analyser comme un mouvement d’ouverture réciproque d’économies nationales

conservant chacune leur consistance propre. Le nouveau régionalisme, en

revanche, s’inscrit plus dans l’ère de la globalisation. Dans une économie

267 Alexis SALUDJIAN, « Critiques du Régionalisme Ouvert à partir de l'économie géographique appliquée au Mercosur », (2005) 4 :2 Journal of Latin American Geography 77.

268 B. LANDRY, A. PANET-RAYMOND et D. ROBICHAUD, préc., note 219, p. 35 : « La Coopération économique de la zone Asie-Pacifique (APEC) a été fondée en 1989 en réaction à l'interdépendance croissante des économies de la région. Son champ d'action s'est élargi depuis et porte sur d'autres questions clés, notamment la sécurité, la santé, l'énergie et l'agriculture, dans le but d'améliorer le niveau de vie de ses membres. Le forum de l'APEC comprend 21 membres qui diffèrent de façon substantielle par leurs systèmes politiques, leurs institutions sociales et culturelles, et leurs niveaux de développement économique. Les économies qui participent sont: l'Australie, le Brunei, le Canada, le Chili, la Chine, les États-Unis, Hong Kong (Chine), l'Indonésie, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Pérou, les Philippines, la république de Corée, la Russie, Singapour, le Taipei chinois, la Thaïlande et le Vietnam ».

269 R. BÉNICHI, préc., note 108, p. 259.

270 Richard STUBBS, “Asia-Pacific regionalism versus globalization”, dans William D. COLEMAN et Geoffrey R. D. UNDERHILL (éd.), Regionalism and global economic integration, Londres/New York, Routledge, 1998, p. 68.

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mondiale qui se globalise, l’édification d’un plus grand espace économique fournit

aux économies et aux entreprises des États impliqués à la fois un stimulant, en

avivant la concurrence, et un tremplin vers le marché global

271

. Ainsi, si la

mondialisation est à la fois une série de processus et une idéologie de gestion

économique, la régionalisation doit être comprise comme un de ses instruments, et

les deux évolutions se renforcent mutuellement

272

.

271 Mohamed Mahmoud SALAH, « La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux, réflexions sur l’ambivalence des rapports du droit et de la mondialisation », (2000) 1 RIDE 251, 258 et suiv.

272 Sur les blocs régionaux et le multilatéralisme, voir E. NYAHOHO et P.-P. PROULX, préc., note 243, p. 311 et suiv.

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