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Au cours des divers travaux effectués par le laboratoire, nous avons souvent eu à ré-intervenir sur des objets anciennement restaurés, sans toutefois pouvoir vraiment dater les campagnes de restauration. Néanmoins, lorsque la documentation le permet, nous avons pu travailler sur les traces d’Abel Maître. C’est le cas pour un objet très connu, il s’agit de l’oenochoe du Catillon en tôle de bronze chaudronnée. L’ensemble funéraire, dit du Catillon, de Saint-Jean-sur-Tourbe (Marne), est arrivé au MAN en avril 1883 puis en janvier 1884. En 1883, l’archéologue Edouard Fourdrignier, alors en poste à Versailles, fait d’abord don d’un « vase en bronze, avec 2 bandes de ronds concentriques » inscrit par Gabriel de Mortillet au registre d’inventaire du MAN le

269 BERTRAND, 1875, p. 244-245

Fig. 39 : Moulages des casques de la Gorge-Meillet et de Berru

27 avril 1883 sous le numéro 27 357270. L’objet y est indiqué comme provenant du « Tumulus du

C(h)atillon, C(ommu)ne de S(ain)t Jean-sur-Tourbe (Marne) » et se décrit de la façon suivante : « Récipient de type oenochoe (tôle d’alliage base cuivre) à pied à cuvette interne, panse bico- nique et col discoïde, doté d’un bec tubulaire et d’une anse rubanée. Les fragments incomplets d’un couvercle discoïde, relié originellement à l’anse par une chaînette en alliage base cuivre, incomplète, sont également conservés. Forme archéologiquement complète (diamètre externe à l’ouverture = environ 8 cm ; diamètre à l’épaulement = environ 17 cm ; hauteur = environ 28,5 cm) »271

Le reste du mobilier, entré en 1884, est enregistré sous les numéros suivants : « 27 594 : Epée en fer dans son fourreau, soie avec antennes

27 595 : Pointe et base de lance, fer 27 596 : Pincette cassée, fer

27 597 : 7 Anneaux, bronze

27 598 : Écuelle poterie noire, en fragments, plutôt assiette 27 599 : Vase élancé, poterie noire, en fragments »

C’est à l’occasion des fouilles menées par Louis Topin à la demande d’Edouard Fourdrignier sur l’éminence du Châtillon qu’est découverte, au début de l’année 1881, la sépulture contenant l’oenochoe dite du Catillon. Cette sépulture se trouve non loin de la tombe à char dite du

Malinet, fouillée en mars 1868 par Jean-Baptiste Counhaye et vérifiée en 1873 lors d’une fouille

de contrôle effectuée par Maître et Counhaye. Lors de cette opération, Maître aurait « constaté l’existence de nombreuses tombes sur le versant de la colline »272. La tombe du Catillon serait

ainsi une des sépultures identifiées à l’origine par Abel Maître.

Découvert en fragments en 1883, l’objet a été restauré la même année, au MAN, par les soins d’Abel Maître. Mentionnons un fait rarissime à cette époque : l’objet a été photographié avant restauration, sous sa forme fragmentée (Fig. 40). Le cliché est une plaque de verre conservée aux archives du MAN. Nous ne savons pas si l’intégralité des fragments a été photographiée, la comparaison avec la photographie après restauration semble indiquer qu’un certain nombre de petits fragments ne sont pas présents (Fig. 40). L’observation de l’objet aujourd’hui présenté

270 OLIVIER, 2009

271 Description faite par Laurent Olivier, conservateur en chef du département des Âges du Fer au MAN 272 FOURDRIGNIER, 1883b : note 5 p. 202, d’après OLIVIER, 2009

en salle d’exposition permanente du département du second Age du Fer montre un bon état de conservation. La tôle chaudronnée en alliage cuivreux est très fine et très fissurée, de nombreux manques sont visibles, mais l’ensemble est stable mécaniquement et le métal ne présente pas de signe de reprise de corrosion. Nous avons effectué, en 2009, une campagne de radiographies de cet objet au laboratoire du MAN, afin d’obtenir davantage d’informations pour son étude273

(Fig. 41). Ce que nous avons découvert est tout à fait inédit : le montage mis au point par Maître pour la restauration de l’oenochoé nous est apparu. Les clichés radiographiques274 montrent que

l’ancien chef d’atelier a remonté l’objet grâce à une structure de soutien en métal, probablement en laiton, fabriquée à la forme de l’objet et totalement invisible de l’extérieur. Elle comporte des éléments tubulaires se terminant en créneaux incisés pour permettre un assemblage méca- nique par emmanchement (au niveau du bec et au niveau du pied). Des bandages métalliques assemblés par soudure au niveau de la panse et du fond sont visibles, afin de maintenir la forme arrondie, ainsi qu’une toile armée permettant le doublage et le comblement de l’objet au niveau de la panse. Une tôle en laiton permet également le comblement de l’objet au niveau du pied. Le tout forme une structure de montage très élaborée, respectant parfaitement la forme de l’objet. Sur les images radiographiques nous pouvons voir la quantité de fissures et de petits fragments, le remontage a sans aucun doute été un long travail de patience. Le positionnement exact de ces différents petits fragments revêt cependant un certain caractère aléatoire, impossible à éviter si l’on veut remonter intégralement l’objet. Une interprétation un peu libre a été faite sur le bou- chon (fabriqué en bois et surmonté de fragments de tôle) et la chaînette (reliée au bouchon avec un ajout de chaînon). La jonction avec le pied est une estimation, car il n’y a qu’un très faible contact entre les fragments. Néanmoins, le souci de l’exactitude est globalement respecté, la distinction entre parties restaurées et parties comblées est bien visible. En outre, cet objet a sup- porté une prise d’empreinte et a traversé les décennies sans davantage d’altérations. En effet, l’oenochoe a été moulée après restauration par la technique du moulage à bon creux. Le tirage est en vente dans le catalogue des moulages.

L’oenochoe est publiée pour la première fois en 1883 par Edouard Fourdrignier dans la Revue

archéologique. Voici ce qu’il dit sur la restauration : « Ce vase était dans le plus déplorable état.

Il a été très habilement restauré dans les ateliers du musée des antiquités nationales. »

Il est présenté par la suite dans les salles du musée, dans une vitrine dédiée à la sépulture de Saint-Jean-sur-Tourbe (Fig. 42).

273 Ce travail a été effectué à la demande de Laurent Olivier, conservateur en chef du département des Âges du Fer au MAN, pour son article publié dans Antiquités Nationales paru en 2009

274 Paramètres de tir pour l’étude radiograhique : 80, 100 et 120 kV pour une intensité de 4 mA et un temps de pose de 30 secondes

Fig. 40 : Oenochoé du Catillon avant et après restauration, 1883 tirages d’après plaques de verre, © MAN, archives.

Fig. 41 : Radiographies de l’oenochoé du Catillon par Clotilde Proust, MAN, 2008

Il est frappant de constater que la plupart des restaurations « majeures », mentionnées ou pu- bliées notamment dans la Revue archéologique, concernent des objets de l’époque gauloise. Ceci n’est pas étonnant dans la mesure où l’archéologie gauloise s’est révélée en cette seconde moitié du 19e siècle et que les fouilles de sites gaulois se sont multipliées.

À travers la restauration du métal, c’est dans la restauration des objets gaulois qu’Abel Maître s’est avéré un partenaire indispensable pour la recherche archéologique. Il a, par exemple, restauré et moulé le célèbre ensemble funéraire de la Gorge Meillet, entré au musée en 1879, dans le but d’en faire une présentation muséographique identique à la découverte (Fig. 43). Ainsi, en cette période de fouilles abondantes dans la région de la Marne riche en sites gaulois, Abel Maître est un interlocuteur privilégié, voire un véritable spécialiste de la période. Les nombreuses découvertes de la Marne passent entre ses mains facilitant ainsi leur étude, notam- ment grâce à son expérience des matériaux et des assemblages.

Fig. 42 : Oenochoé du Catillon en vitrine, Musée des Antiquités, deuxième étage, salle IX (sépultures gauloises de la Marne), détail de la vitrine 3, sépulture de Saint-Jean-sur-Tourbe

3.3.2 Abel Maître, la référence en restauration archéologique