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Abel Maître, le protégé de Verchère de Reffye et de Bertrand

Deuxième partie : Les ateliers du MAN, période Abel Maître (1862-1894)

2 La création des ateliers au MAN

2.4 Abel Maître au Musée des Antiquités nationales

2.4.2 Abel Maître, le protégé de Verchère de Reffye et de Bertrand

Cet aperçu de la carrière de Maître, à partir de 1860, témoigne de l’importance des deux per- sonnalités que sont Auguste Verchère de Reffye d’abord, Alexandre Bertrand ensuite, dans la vie professionnelle du mouleur. Il a d’abord été largement soutenu par le premier qui a expé- rimenté son savoir-faire en matière de moulage pendant plusieurs années durant lesquelles il dirigeait les opérations de restauration à Meudon. Dans le sillage de l’officier d’ordonnance, il a pu compléter sa formation à Mayence et créer des liens avec Lindenschmidt. De Reffye a monté le projet de l’atelier de moulage de l’Empereur, rue de Sèvres, pour officialiser le travail de Maître. Les ateliers de moulage du MAN ont finalement été créés afin qu’il en prenne la di- rection. On peut considérer que Maître a littéralement été coopté par de Reffye pour faire partie de l’équipe du MAN.

Mais de Reffye ne s’arrête pas là ; dans son projet de règlement du musée de 1870, il explicite

les raisons pour lesquelles il est nécessaire que ce musée archéologique puisse bénéficier d’un règlement distinct de celui des musées d’art. Parmi ces arguments, la présence du chef des ate- liers qu’il est nécessaire d’intégrer « dans la hiérarchie », c’est-à-dire de le fonctionnariser avec un salaire supérieur à celui d’un gardien étant donné son savoir faire. Il justifie son importance de cette façon :

« Le musée de St Germain doit sans contredit, la plus grande partie de son succès, aux repro- ductions qui figurent dans ses collections. L’artiste qui en est chargé est tour-à-tour mouleur, peintre, galvanoplaste, fondeur, dessinateur, géomètre. Il a rendu au musée des services excep- tionnels et ce sont précisément ces services qui font obstacle à sa nomination par le ministre. Ses fonctions n’ont en effet pas d’analogues dans les musées d’art et dès lors on ne peut le faire entrer dans la hiérarchie ; cela serait contraire au règlement229. »

Il explique qu’un musée en formation qui a un besoin indispensable des ateliers et de leur di- rigeant ne peut plus fonctionner si ceux-ci sont amenés à « disparaître », alors qu’un gardien peut lui être remplacé par un ouvrier. En effet, lors des inaugurations ou autre événements, les ouvriers endossent régulièrement le rôle de gardien pour renforcer l’équipe :

« Les jours de réception du public, ces ouvriers endossent l’uniforme et font office de gardien ; aussi je suppose que du jour au lendemain, tout le personnel hiérarchisé vienne à disparaître, le musée n’en continuerait pas moins son fonctionnement, mais que l’on supprime les ateliers, et le musée est immédiatement arrêté.230 »

Il précise ainsi que, afin de pouvoir embaucher le personnel réellement « utile » au musée, il est nécessaire de faire une infraction au règlement. Il suggère ainsi d’établir un budget spécial au musée, séparé de celui des autres musées d’art, puisqu’il s’agit en réalité d’un musée historique qu’il propose d’ailleurs de nommer « musée archéologique de St Germain ».

Abel Maître a ensuite obtenu la totale confiance du directeur Alexandre Bertrand, lui permet- tant ainsi une grande liberté d’action dans le musée mais aussi lors de nombreuses missions de moulage, de fouille et d’acquisition d’objets, en France et à l’étranger.

Les divers courriers de Bertrand pour obtenir une distinction à son protégé sont tout à fait élo- quents. Le premier, a priori, est adressé à l’administrateur Barbet de Jouy le 10 avril 1880 : outre la volonté de donner un caractère officiel à l’ouverture de neuf nouvelles salles par une inauguration, la première sous la République, le directeur du MAN sollicite à cette occasion la croix de chevalier de la Légion d’honneur pour son chef d’atelier qui a assuré l’achèvement de

229 AMN, série G1, 25 avril 1870, lettre de Verchère de Reffye au Comte de Nieuwerkerke 230 AMN, série G1, 25 avril 1870

ces nouvelles salles :

« Une très grande part dans le succès dont nous nous félicitons revient, vous le savez, à l’habile et zélé chef de nos ateliers Mr Abel Maître. Les excellents fac simile en galvanoplastie que le public admire, les moulages peints, véritables trompe-l’œil, qui remplissent les vitrines du musée sont son œuvre exclusive. Grâce à son dévouement, à son désintéressement, à son ingé- niosité des bas-reliefs de nos plus grands monuments, l’arc d’Orange et le tombeau des Jules à St Rémy, des collections entières comme celles des musées de Besançon, de Lyon, de Toulouse, de Rouen, de Sens ont pu être moulés à peu de frais et nous ont permis avec un budget très restreint de faire revivre dans vingt grandes salles l’histoire primitive de nos pères. […] Enfin Monsieur Maître est à la fin un homme de devoir et un homme de progrès. Républicain de la veille, il a été, à St Germain un des plus actifs promoteurs de la Bibliothèque populaire. »231

Suite à cette demande, Edmond Jacquet, sous-secrétaire d’Etat au Ministère des Beaux-Arts, reçoit une lettre de Barbet de Jouy où l’on peut lire :

« Cette haute distinction récompensant un travail et une intelligence reconnus par tout un per- sonnel actif serait un encouragement profitable aux intérêts du Musée. »232

À travers ces deux extraits on mesure à quel point le rôle de Maître a été essentiel dans la réali- sation des salles de ce musée. L’insistance de Bertrand est significative, il écrira ainsi plusieurs courriers jusqu’à ce que Maître soit nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1894. Ce ne sont pas seulement ses qualités techniques qui sont vantées, mais également ses qualités intel- lectuelles. En outre, sa discrétion et son dévouement sont particulièrement appréciés.

Maître semble avoir démontré tout au long de sa carrière une aptitude technique, artistique et des qualités humaines qui ont toujours été très appréciées. Il a ainsi pu bénéficier d’une liberté d’action et d’une certaine autonomie. On notera que ce qui est mis en avant concerne le travail de reproduction et de moulage, l’installation des salles, ses talents de dessinateur, mais nulle- part il n’est question de son activité de restauration des objets.

231 AMN, série G1, 10 avril 1880 232 AMN, série G1, 7 mai 1880

3 De la fouille au musée : une continuité