• Aucun résultat trouvé

Deuxième partie : Les ateliers du MAN, période Abel Maître (1862-1894)

3 De la fouille au musée : une continuité dans le traitement de l’objet

3.2 Le travail de terrain

3.2.1 Abel Maître et les fouilles archéologiques

Le travail de terrain a régulièrement occupé Abel Maître tout au long de sa carrière. Sa pre- mière intervention semble datée de 1866-1867, sur la fouille d’Alésia, peut-être dans le but d’élaborer le plan-relief du site. Il aurait fait diverses interventions et notamment des dessins. Le tableau présenté ci-après (Tab. 7) a été élaboré à partir des informations trouvées dans les archives sur les travaux de terrain d’Abel Maître249. Nous ne pouvons assurer l’exhaustivité de

celles-ci, néanmoins les principales fouilles effectuées et/ou surveillées par le chef d’atelier y sont recensées. Ainsi, l’activité de fouille d’Abel Maître se concentre sur les années 1870, et notamment entre 1872 et 1873 où Maître est envoyé dans divers endroit de France pour faire des fouilles, des relevés de terrain et des acquisitions pour le compte du musée. La plupart de ses fouilles, très méthodiques, ont fait l’objet d’un rapport publié dans la Revue archéologique par Alexandre Bertrand. Les remarques du restaurateur-fouilleur citées dans le tableau provien- nent de son rapport d’activité de fin de carrière. Les précisions qu’il y apporte montrent toute l’importance qu’ont représentées à ses yeux ces missions fouilles, qui témoignent également de la grande marque de confiance du directeur du MAN envers Abel Maître.

Les fouilles de 1872 qu’il fait dans la Marne à la demande d’Alexandre Bertrand sont motivées par les nombreuses découvertes faites à cette époque dans ce département. Le conservateur a l’idée de l’envoyer sur le même secteur que les récentes découvertes afin qu’il fasse des re- cherches exhaustives. Confiant, il sait que son expérience de terrain lui permettra de faire toutes les observations nécessaires. C’est ainsi qu’il fouille à nouveau une tombe à char de Saint-Jean- sur-Tourbe découverte par Jean-Baptiste Counhaye en mai 1868 (Fig. 35 et 36). Il y fait les mêmes observations de détails, notamment sur des traces témoignant de la présence de roues, et en fait un dessin « très-exact ». Comme Counhaye, Maître est reconnu par certains comme un véritable archéologue qui fouille avec « soin et méthode ».

Si, en 1872, Maître était déjà reconnu comme très bon fouilleur, on peut supposer que son expérience est en fait bien plus ancienne. Il s’est en effet rendu sur le terrain à de nombreuses reprises, pour des relevés, des dessins, des moulages. Par déduction, on peut penser qu’il a, une fois sur place, participé à certaines fouilles, comme celles d’Alésia par exemple, mais nous n’avons trouvé aucune archive permettant d’étayer cette hypothèse.

Le chef d’atelier était donc mandaté par Alexandre Bertrand pour faire des fouilles ou surveiller des travaux de terrain. Son intervention sur le site de Magny-Lambert en témoigne. Il a été chargé de fouiller quatre tumuli dans cette région : le tumulus dit de la Vie de Bagneux, le

tumulus dit Monceau-Laurent (le plus important), le tumulus dit de la Combe-Bernard, le tumulus dit de la Combe à la Boiteuse. Il a rédigé ce qui semble être son premier rapport,

publié dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de France (série 4) dans un article d’Alexandre Bertrand (Annexe 5).

Ce rapport décrit son travail de terrain : l’observation des différentes couches, la description des sédiments, les dimensions des structures, l’apparition des premiers objets dans le remplissage des couches. Ses descriptions des sépultures sont très précises et accompagnées de dessins et de relevés. Il détaille l’emplacement du squelette et des objets mais aussi leur état de conservation, leur position relative, leurs particularités (présence d’anciennes réparations, présence d’em- preintes de tissus). Tous les objets ont été restaurés et dessinés dans les moindres détails par Abel Maître, ce qui représente un travail de grande ampleur. À travers ce rapport nous avons la démonstration d’un suivi complet « de la fouille au musée » de l’ensemble du mobilier décou- vert sur un même site par une seule et même personne.

La précision de son rapport indique qu’Abel Maître a acquis un savoir faire qui, couplé à sa connaissance des matériaux via le moulage et la restauration, ont fait de lui un véritable expert de terrain. Bien que non scientifique, sa connaissance des objets du musée et des sites lui a per- mis de faire de véritables études d’objets par analogies. En témoigne un autre de ses trop rares rapports publiés qu’il fait pour les fouilles de Saint-Maur-lès-Fossés (Val-de-Marne, 94) (An- nexe 6). Ce cimetière gaulois a été découvert par Ernest Macé, architecte au Parc Saint-Maur. Il a très vite contacté le MAN pour faire part de sa fouille. Alexandre Bertrand a délégué Abel Maître « pour aller examiner les tombes et les armes afin de savoir à quelle époque elles re- montaient »250. En se rendant sur place, il a pu déterminer, en examinant une des épées, qu’elle

datait de l’époque gauloise, par comparaison avec celles qu’il avait lui-même découvertes dans les tombes gauloises de la Marne et de l’Aisne. Par la suite, Maître a suivi les fouilles de Saint- Maur et y a participé jusqu’à la fin, à savoir du 27 mai au 30 juin 1887. Son idée de départ s’est confirmée avec la suite des découvertes. Le mobilier funéraire s’est avéré vraiment similaire à celui des tombes de la Marne, comme le site de Saint-Etienne-au-Temple par exemple. Il effec- tue les dessins des objets dans les sépultures après avoir fait un dégagement soigneux.

Date Lieu Objets de la mission Remarques de Maître Du 27 avril au 7 mai 1872 Thenay (Loir-et- Cher), Pont- Levoy

Fouilles méthodiques avec quatre ouvriers, rapport publié en 1883 dans RA. Acquisitions (os et silex).

« Je suis allé en mission à Thenay pour faire des fouilles méthodiques et avec soin dans des terrains tertiaires de Thenay, désignée par M. l’Abbé Bourgeois, afin d’avoir des renseignements précis sur les silex trouvés dans les terrains tertiaires de cette localité. » Fouilles de tumuli (dix ouvriers),

relevés des plans de chacun, Maître a rédigé un rapport sur ces fouilles en 1873, publié dans Mémoires de la Socitété des Antiquaires de France, série 4. Fouille du Monceau Laurent éprouvante (second tumulus) : Maître ne pense pas pouvoir fouiller un troisième.

Acquisition : don de la collection Gaveau.

Fouille de vingt-sept tombes gauloises, relevés des plans et dessins des tombes (précisions sur la place des objets dans la tombe). Ouvriers Larinet, Liébeau, Hanusse, Jules Gavet.

Acquisition : achat à Liébeau : sept vases, épée, poignard, bracelet, torque.

Du 14 au 26 avril 1873 Département de la Marne, Vitry-les- Reims (Marne)

Fouille de 16 tombes gauloises, relevés des plans et dessins des tombes pour avoir les emplacements exacts des objets et des squelettes.

« Je suis allé une seconde fois faire des fouilles de tombes gauloises dans le département de la Marne, j’en ai fouillé 16 à Vitry-les-Reims, relevé les plans et fait les dessins de chaque tombe pour avoir l’emplacement exact du squelette et des objets qui l’accompagnaient. » Fouilles de tumuli à Cosne-sur-

Loire et Magny-Lambert (cinq tumuli) avec relevés des plans, six à huit ouvriers pour chaque fouille dont Emile Grapin. Maître a, entre autre, trouvé une épée en fer « cela est rare je n’en ai jamais vu », « chose nouvelle dans les tumulus de la Bourgogne ». Il considère qu’il a fait une mauvaise campagne.

Acquisition : don d’ex-voto de Mr Gaveau. Du 29 avril au 15 mai 1873 Magny-Lambert (côte-d’Or), Cosne (Nièvre)

« Je suis allé à Magny-Lambert (Côte-d’Or) et à Cosne, j'ai fouillé 7 tumulus et relevé les plans des fouilles. »

Du 11 au 25 septembre

1872 Magny-Lambert (côte-d'Or)

« J’ai été envoyé en mission à Magny-Lambert pour faire des fouilles de tumulus. Le résultat a été d’un grand intérêt pour l’archéologie, j’ai relevé les plans de chacun des tumulus fouillés et les ai joints au rapport des fouilles que j’ai remis à mon directeur. »

Du 7 au 31 mars 1873 Département de la Marne (Bussy le Château, la Cheppe, Lacroix, Auve, St Jean, Berru)

« Je suis allé en mission dans le département de la Marne, pour faire des fouilles. J’ai fouillé 27 tombes gauloises, relevé les plans et fait des dessins des tombes pour avoir exactement la position du squelette et la place des objets qui l’accompagnaient. »

Fig. 35 : Relevés des tombes de Saint-Jean-sur-Tourbe par Abel Maître reproductions de planches imprimées, épreuves photographiques, album photographies,

musée de Saint-Germain, salles 6 à 16, salle IX, © MAN, archives.

Fig. 36 : Dessins du mobilier des tombes de Saint-Jean-sur-Tourbe par Abel Maître reproductions de planches imprimées, épreuves photographiques, album photographies,

Le rapport d’Abel Maître à Alexandre Bertrand sur la fouille de Saint-Maur251 est éloquent. La

précision des descriptions des structures et des objets mis au jour, du travail de terrain effectué mais aussi les nombreuses références aux autres sites gaulois pour établir des comparaisons montrent toute sa connaissance de la science archéologique. Le vocabulaire technique et scien- tifique utilisé est parfaitement adéquat. Ses observations sur les objets sont pertinentes. Ainsi Maître ne s’est-il pas contenté d’être présent durant toute la fouille, il a également étudié et dessiné les objets. Il a acquis une grande expérience du matériau métallique, de ses caractéris- tiques et de ses altérations, comme un restaurateur sait le faire. Bien que cela ne soit pas précisé, il paraît évident qu’il a effectué les nettoyages nécessaires à ses observations, les objets ayant rejoint rapidement les vitrines du musée (Fig. 37).