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L’évolution de l’activité de restauration en métier

Troisième partie : Les ateliers du MAN, période Benoît-Claude Champion (1896-

2 L’entre-deux-guerres

2.3 L’évolution de l’activité de restauration en métier

En cette période d’entre-deux-guerres, à travers ces deux conférences majeures de Rome et d’Athènes, se sont bien les bases du métier de restaurateur qui se posent à une échelle interna- tionale. Et cela va jusqu’à la question de leur formation.

Un groupe de conservateurs autrichiens publie dans Mouséion, en 1932, un appel en faveur d’une éducation professionnelle des restaurateurs d’œuvre d’art, reprenant une proposition du président de la Commission fédérale suisse des Beaux-Arts, Daniel Baud-Bovy, faite en 1929311. Ce texte traduit une préoccupation commune de sortir de l’empirisme et d’organiser la

profession de manière rationnelle afin de pouvoir conserver au mieux les œuvres. Ils déclarent ainsi que « parmi les causes de destruction qui menacent les œuvres d’art, les interventions de

311 SDN-CICI, Procès-verbaux de la Commission de Coopération intellectuelle, 1929, Annexe 11, La restau- ration des œuvres d’art dans les musées. Proposition de M. Baud-Bovy, soumise à la Sous-commission des Lettres et des arts, p. 104, d’après LEVEAU, 2014

restaurateurs incompétents sont les plus dangereuses et les plus regrettables ». Ils déplorent qu’on ne dispose aujourd’hui « d’aucune organisation technique spécialement affectée à cette tâche ». Ils prônent donc une formation rigoureuse des praticiens, à la fois artistique et technique, portée sur tous les matériaux, la spécialisation se faisant par la suite, comme c’est le cas en médecine. À terme, « avant de pouvoir exercer son métier, le restaurateur serait tenu de passer un examen et de faire la preuve de ses aptitudes. Sa capacité devra être certifiée par un diplôme. Le métier de restaurateur sera soumis à une licence spéciale. L’exercice du métier sans autorisation devra être poursuivie »312.

Afin d’appuyer le mouvement, des propositions faites antérieurement par M. Robert Maurer, restaurateur autrichien, responsable du Bureau d’Enquête sur l’Authentification et la Conserva- tion des Tableaux de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne, et Helmuth Rinnebach, conserva- teur et restaurateur en chef des musées d’État à Berlin, sont publiées dans le volume suivant de

Mouséion. Le premier insiste sur l’importance de restaurateurs « autorisés » recommandés par

l’État auprès de l’ensemble des responsables de collections (musées, particuliers), comme c’est le cas dans beaucoup de professions, et notamment les architectes. Il explicite en quoi les com- pétences d’un restaurateur formé sont nécessaires dans le cas de la restauration d’un tableau, en divisant celle-ci en trois séries de travaux complexes :

« 1° La restauration du support endommagé, de l’enduit de fond et de la couche peinte ;

2° Le nettoyage de la couche de couleur par élimination du vernis sali et jauni et la suppression des adjonctions postérieures, presque toujours obscurcies ou altérées, et souvent excessives ; 3° Le réfection des parties manquantes313. »

Le savoir-faire technique, la responsabilité, l’expérience, sont des qualités indispensables pour mener à bien ces opérations qui peuvent mener à mal l’intégrité de l’œuvre, si le restaurateur n’est pas compétent, d’où la nécessité de « restaurateurs autorisés ». Par cet exemple des ta- bleaux, il suggère également de distinguer différents niveaux de compétence et de responsabi- lité pour organiser la profession et protéger les œuvres.

Rinnebach plaide également en faveur, pour chaque pays, d’une commission d’experts chargée de contrôler la restauration des peintures et d’agréer les restaurateurs. Il ajoute une mesure déon- tologique majeure dans la pratique du métier : « toute restauration doit être exécutée de telle manière que le public puisse prendre connaissance des matériaux et des procédés employés. Les étapes successives du travail de restauration seront consignées dans des mémoires et sur des

312 « Pour une éducation professionnelle des restaurateurs d’œuvres d’art », 1932 313 MAURER, RINNEBACH, 1932, p. 144

clichés photographiques donnant l’attestation objective des divers états du tableau314. »

Ainsi, l’OIM mène une enquête au cours du second semestre 1932 sur l’enseignement de la restauration, sur son rapport aux disciplines scientifiques et sur la protection du titre de restau- rateur, enquête à laquelle sept pays répondent (l’Allemagne, l’Angleterre, l’Égypte, la France, la Hongrie, l’Italie et la Palestine). Il ne manquait que l’URSS et les USA. Les pays ainsi in- terrogés sont ceux comportant des laboratoires installés dans leurs musées, l’enquête s’adresse cependant uniquement aux administrateurs et non aux praticiens.

L’objectif principal de l’OIM est de dissocier restauration et fabrication, pour s’assurer de l’in- tégrité historique de l’œuvre et éviter les faussaires. En effet, « ces deux fonctions, consistant à remettre un objet dans un état proche de l’original ou – à l’inverse – à en créer un nouveau, n’étaient pas clairement dissociées. Le couplage de ces activités garantissait leur compétence aux yeux du public – celui qui sait faire étant le mieux placé pour refaire » mais ce positionne- ment était incompatible avec le modèle historiciste et scientiste de l’OIM 315. Le principe veut

également qu’il n’y ait pas de secret d’atelier, le diplôme est désormais la seule condition pour faire de cette activité une véritable discipline, et contrôler mieux les interventions et les inter- venants.

Les professeurs Wilhelm Waetzoldt, directeur général des musées d’État à Berlin, et Richard Graul, ancien directeur des musées d’art de la ville de Leipzig, répondent à cet appel en suggérant d’établir une liste des établissements qui forment déjà des restaurateurs d’objets d’art, comme en Allemagne par exemple. Après évaluation, il pourra être décidé de les multiplier. L’exercice de la profession serait conditionné par l’obtention d’un certificat. Cependant, des dérogations seraient mises en place pour gérer le « passif »: les restaurateurs déjà en activité dans les établissements de l’État seraient d’office agréés, les restaurateurs indépendants dont la grande compétence est reconnue ne seraient pas éliminés, mais leurs travaux seraient contrôlés316.

Ces travaux, menés par l’OIM, sur la question de la régularisation d’une activité en discipline, aboutit en 1938 à la parution, dans Mouséion, d’un Manuel de conservation des peintures, an- noncé comme le premier d’une série de manuels pour une conservation rationnelle des œuvres d’art. Il est surtout destiné aux conservateurs et collectionneurs, qui n’ont pas le savoir-faire du restaurateur :

« L’entretien et la restauration des œuvres d’art […] sont affaires de métier, métier délicat qui exige une longue préparation et une formation assez éclectique, car elle touche aux domaines de l’histoire, de la stylistique, de la chimie et de la physique, et, de plus, elle nécessite un

314 Idem, p. 147 315 LEVEAU, 2014

entraînement technique, une habileté manuelle qui ne sauraient s’acquérir sans un enseignement donné par des maîtres qualifiés, disposant d’un matériel d’expérience que seules possèdent les grandes institutions muséographiques. »317

Le premier chapitre, Doctrine générale de la conservation des peintures dans les musées, donne le ton en expliquant en sept points les principales considérations et recommandations en matière de conservation des peintures, et met en lumière des principes déontologiques en gestation depuis de nombreuses années (voire décennies !) qui régissent la profession de restaurateur. L’objectif est surtout d’attirer l’attention du conservateur sur l’importance de son rôle et de sa responsabilité professionnelle dans la question des restaurations. Le manuel offre ainsi 261 recommandations classées en différents chapitre. Le onzième nous intéresse particulièrement puisqu’il parle de la réglementation de la profession de restaurateur (points 92 à 101). Concernant la formation, celle-ci n’est pas encore formalisée, et l’on s’attache à mettre en valeur le rôle des laboratoires rattachés aux grands musées, seuls garants d’une bonne formation

in situ de quelques restaurateurs en nombre très limité.

Pour l’archéologie, la revue publie en 1939 un numéro entièrement consacré à La technique des

Fouilles, dont le neuvième chapitre détaille La conservation des ensembles archéologiques et des objets découverts. Ici encore, il ne s’agit pas d’un manuel destiné au restaurateur, mais à

l’archéologue de terrain. Le premier paragraphe est tout à fait significatif de la problématique que pose l’objet archéologique :

« La conservation des objets découverts au cours des fouilles est une discipline de l’archéologie pratique, encore trop souvent négligée sur l’emplacement même des travaux, du fait qu’elle requiert des connaissances techniques spéciales et les ressources d’un laboratoire de chimie. Peut-être cette conception du problème est-elle due, en partie, au développement de la notion du laboratoire telle qu’elle s’est développée dans les grands musées au cours de ces dernières années, ainsi qu’à l’assistance spécialisée que les fouilleurs peuvent recevoir dans leur travail de conservation en général, pour la mise au jour des motifs décoratifs et pour la préparation des pièces destinées à être exposées.318 »

On apprend alors que la conservation des vestiges est jusqu’ici principalement assurée par les « laboratoires de chimie » associés aux musées, et qu’il est absolument nécessaire que l’archéo- logue ait conscience des enjeux de cette conservation dès le terrain et qu’il s’en occupe. Les préconisations données dans ce chapitre, basées sur l’analyse des facteurs de dégradation, n’ont rien à envier à ce que l’on peut écrire aujourd’hui en matière de conservation in situ. Cependant,

317 « Avant-propos », 1938, p. 9