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La décision de créer le MAN, le rôle du roi du Danemark

européenne et la création du Musée des Antiquités nationales

89 GRAN-AYMERICH,

3.4 La décision de créer le MAN, le rôle du roi du Danemark

Depuis sa jeunesse, le roi Frédéric VII, roi du Danemark de 1848 à 1863, est passionné par l’ar- chéologie préhistorique. Il y participe de différentes façons : il dirige des fouilles, il dessine, il collectionne et effectue même des restaurations d’objets préhistoriques. Il fait des conférences lors de réunions de la Société Royale des Antiquaires du Nord et il est l’auteur de plusieurs ouvrages102.

En 1861, un cadeau diplomatique de Frédéric VII, fait à Napoléon III, arrive à Paris par chemin de fer « grande vitesse ». Il s’agit d’une collection d’antiquités préhistoriques danoises excep- tionnelle par son contenu et par son classement d’après le système de chronologie relative dit « des trois âges ». Elle est composée de 347 objets (307 de l’âge de pierre, 12 de l’âge de bronze et 28 du premier âge du fer) provenant de la collection du roi mais également des copies du Musée des Antiquités du Nord de Copenhague, et elle est avant tout une leçon d’organisation archéologique, un modèle réduit de musée103.

Alors qu’en France, la recherche en préhistoire n’est pas encore reconnue officiellement, elle fête ses cinquante ans au Danemark. C’est, entre autre, avec la visite de Louis Léouzon Le Duc (1815-1889), un archéologue français envoyé par l’Empereur au Danemark afin de rechercher « les traces des Romains et des Celtes », que l’idée d’offrir une collection préhistorique à Napoléon III est suggérée, afin de s’attirer la sympathie de l’Empereur pour la cause danoise dans le contexte politique très tendu de cette région européenne (conflit avec la Prusse et l’Autriche-Hongrie).

Le don est accompagné d’une lettre autographe de Frédéric VII qui, fort de l’expérience des Danois en matière de création de musées depuis cinquante ans, propose d’aider l’Empereur à constituer un musée national :

« Ayant appris, que votre Majesté Impériale s’est proposé de faire établir un Musée des Anti- quités du Nord, pour y joindre et conserver des choses du temps le plus reculé, trouvées dans la terre et les tombeaux antiques, il me vint tout de suite dans l’esprit, si je pouvais en quelque manière être utile à un dessein qui m’intéresse par lui-même et (…) je prends la liberté d’offrir à Votre Majesté Impériale-ci-joint-cette petite collection accompagnée de son catalogue. Je serai vraiment charmé, si votre Majesté Impériale daignerait l’accueillir de ma main pour base et commencement du Musée futur et qu’Elle voudrait bien me permettre, si je pourrais (sic), de

102 LUNDBECK-CULOT, 1994, pp 42-43 103 LUNDBECK-CULOT, 1997

l’augmenter et perfectionner de temps en temps. »104

Christian Jürgensen Thomsen a été choisi pour accompagner et transmettre ce cadeau. Retenons que Thomsen entretient des correspondances avec des personnalités du monde archéologique de toute l’Europe, et en particulier avec Ludwig Lindenschmidt. Celui-ci va l’aider dans son entreprise diplomatique par ses liens avec Hortense Cornu. Il l’encourage à profiter de cette opportunité pour mettre en place l’idée d’un musée national français qui se révélera le véritable but de cette visite.

Thomsen est une référence au Danemark en matière de conservation des antiquités. Rappelons qu’il a publié en 1836 le Guide des antiquités du Nord où il explique pour la première fois le système de la chronologie relative des trois âges105. Il sera traduit en allemand puis en anglais.

Copenhague semble jouer ainsi un rôle d’expert en ce qui concerne la préhistoire en général et l’organisation des musées en particulier, bon nombre de figures de musées européens (en Suède, en Norvège, en Allemagne, en France) consultent les Danois.

Thomsen rencontre l’Empereur aux Tuileries le 11 décembre 1861, cette entrevue est une vraie consécration pour l’archéologue, il en fait le compte-rendu suivant :

« À 11 heures, je suis parti aux Tuileries accompagné du comte Moltke. L’Empereur présidait le conseil des ministres, qui était sur le point de se terminer, et le comte m’a accompagné dans le cabinet de travail de l’Empereur, aux côtés de qui se trouvait son bibliothécaire privé, M. Maury, un savant connu. […] Il a lu la lettre de Votre Majesté et en compagnie de M. Maury il a traversé plusieurs salles pour arriver jusqu’à celle où étaient exposés les objets. […] J’essayais alors d’expliquer les différentes parties de la collection. Les trouvailles des bancs d’huîtres étaient les premières, bien entendu. On en sait très peu de chose en France, mais l’Empereur avait pourtant vu plusieurs des objets considérés comme les premières traces de l’homme en France et m’en a parlé. Ensuite, nous sommes passés à la technique de fabrication et cela l’a intéressé de voir les pierres à aiguiser de l’antiquité, ce qui était nouveau pour lui. […] L’Empereur a pris le beau couteau en pierre avec la poignée ornementée dans la main et l’a montré à son entourage, pendant que je faisais remarquer l’habileté avec laquelle il avait été exécuté ; il a également beaucoup regardé les objets déjà restaurés dans l’antiquité, et quand nous sommes arrivés aux bronzes, il s’est exclamé « c’est tout à fait comme chez nous ». Il n’avait jamais vu de « lur », j’ai dû lui raconter que Votre Majesté avait perdu deux originaux dans l’incendie de Frederiksborg, et qu’on avait trouvé du bois datant du deuxième siècle après Jésus-Christ, ce qui lui était également nouveau. Malgré deux interruptions, il a pris le temps de voir et d’écouter avec un intérêt évident. Il disait souvent « comme c’est intéressant » et à

104 Archives de Frédéric VII, Rigsarkivet, d’après LUNDBECK-CULOT, 1997 105 LUNDBECK-CULOT, 1997

la fin, il m’a tendu la main en disant à moi et à Steinhauer « vous resterez bien quelques jours, j’espère vous revoir plus tard ». »106

Napoléon III remercie les messagers par une décoration : Thomsen obtient la cravate de Commandeur de la Légion d’Honneur, et Steinhauer la croix de Chevalier.

La visite de l’archéologue a eu l’effet escompté, Napoléon III fait savoir à Frédéric VII, dans sa lettre de remerciement, sa volonté de créer un musée :

« Je remercie bien Votre Majesté du beau cadeau qu’elle m’a fait en m’envoyant par un savant distingué une collection d’antiquités qui m’a vivement intéressé et qui formera la base d’un musée où les progrès de la civilisation sont constatés par la différence des armes. »107

C’est en effet peu de temps après la visite de Thomsen, le 8 mars 1862, que la création adminis- trative du musée est publiée (Fig. 8). Plusieurs savants européens ont ainsi attribué les mérites de cette fondation à Thomsen (comme Lindenschmidt à Mayence, Keller à Zürich). La collec- tion danoise constitue les 347 premiers numéros de l’inventaire du MAN, Frédéric VII est donc le premier donateur du musée.

À sa création, le nom du musée n’est pas précisé dans le décret qui parle d’un musée gallo-

romain. Le 13 mars 1862, le Moniteur Universel le qualifie de musée d’antiquités celtiques et gallo-romaines. C’est la Commission consultative pour l’organisation du musée, qui comporte

treize membres dont sept de la CTG, qui va préciser ses orientations scientifiques et de fait le nom définitif. L’article du Moniteur est très précis quant au contenu du futur musée, preuve que la réflexion était déjà très avancée :

« Le Musée du Louvre fournira d’abord une collection d’armes de pierre ou de bronze et des poteries, premier fond auquel viendront se réunir le produit des fouilles entreprises sur divers points de notre sol et la riche collection formée spécialement par l’Empereur. Des moulages pris, soit sur de grands monuments celtiques, soit sur les sculptures (statues et bas-relief) grecques, romaines ou autres, représentant des gaulois, donneront un intérêt considérable au nouveau musée, dans lequel la France pourra en quelque sorte, contempler son berceau. Des modèles de machines de guerre exécutés par ordre de l’Empereur par le Capitaine de Reffye, des fac-simile d’ustensiles de toute nature, dont les musées de l’étranger et nos départements s’empresseront certainement de faciliter l’exécution, viendront se classer dans les séries et aider à l’intelligence des monuments originaux.

106 Archives de Frédéric VII, Rigsarkivet de Copenhague, microfilm n° 4683, d’après LUNDBECK-CULOT, 1994, pp 64-65

Fig. 8: Ampliation du décret impérial de création du musée gallo-romain, 8 mars 1862 AN 20144782/1

La belle collection récemment envoyée à l’Empereur par S.M. Le roi de Danemark occupera une place distincte au musée de Saint-Germain. »108 (Fig. 9)

On réalise à la lecture de ce passage que le projet de mouler les monuments français et d’effec- tuer des fac simili d’objets archéologiques de toute l’Europe était déjà structuré en 1862. Son exécutant, Abel Maître, était sans doute déjà désigné puisque le premier travail de moulage qu’il effectue pour le futur musée est daté de 1861. Tous ces projets impériaux autour des antiquités celtiques et gallo-romaines sont ainsi intimement liés : l’écriture de l’histoire de Jules César, la création de la CTG et les programmes de fouille, la création d’un musée, le moulage des objets et des monuments celtiques. Tout se déroule avant et après la date charnière de 1860 en regrou- pant les mêmes acteurs, parmi lesquels Auguste Verchère de Reffye et Abel Maître jouent des rôles centraux.

108 Le Moniteur universel, 13 mars 1862, d’après LUNDBECK-CULOT, 1994, p. 245

Fig. 9: Façade ouest du château de Saint-Germain-en-Laye avant sa restauration, août 1862 numérisation d’après un ekta, Photo © RMN-GP (MAN)/ Loïc Hamon

3.5 Auguste Verchère de Reffye et les ateliers de