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Chapitre 1. Les frémissements avant-coureurs de l’engagement : Claire Martin et la

1.1. Les écueils de l’engagement littéraire de Claire Martin

1.1.2. L’obstacle du nationalisme

Nous avons vu comment, dès l’année 1960, Claire Martin se construit une posture francophile, notamment par son texte de presse. Le même argumentaire est convoqué dans l’article « Faut-il trouver des catégories ! », publié sept ans plus tard, le 31 octobre 1967, toujours dans le quotidien Le Devoir. Le supplément littéraire dans lequel ce texte est publié regroupe des contributions d’écrivain·e·s invité·e·s à s’exprimer sur la « Situation

de la littérature québécoise » et plus précisément « dans le domaine littéraire français » (Le

Devoir, 31/10/1967 : I). Dans la description de la thématique choisie, Le Devoir informe

son lectorat : « Le débordement hors des frontières québécoises de la poésie et de la prose canadiennes françaises [sic], l’intérêt qu’elles suscitent dans le monde francophone nous ont fortement incités à cette tentative » (Le Devoir, 31/10/1967 : I). Aux côtés de Claire Martin se positionnent différent·e·s essayistes, critiques et écrivain·e·s sur la question, dont Jean Éthier Blais, Gilles Marcotte, Claude Jasmin, André Brochu, Françoise Loranger, Hélène Ouvrard et Hubert Aquin. Contrairement à ses cosignataires, Claire Martin aborde la question littéraire à l’aune du prisme linguistique.

Avant d’examiner le texte de Martin, arrêtons-nous sur ceux des deux autres femmes du supplément7. Hélène Ouvrard s’interroge sur les thématiques québécoises, différentes

des thématiques françaises. Elle aborde la littérature comme un moyen d’élucidation, elle cherche à donner aux Québécois·e·s « une image positive, une image de notre dignité » (Ouvrard, Le Devoir, 31/10/1967 : IX). Françoise Loranger, quant à elle, se fait accorder un espace exigu, alors qu’elle semble plutôt étrangère au débat : « Non, pour moi, cette question […] ce n’est pas vital. Moi, vous savez, je lis n’importe quoi […] Je ne sais vraiment pas quoi vous dire. J’aimerais bien vous dire quelque chose… » (citée dans Major,

Le Devoir, 31/10/1967 : IX). Nous en venons à nous questionner sur sa présence dans ce

supplément littéraire, qui n’apporte rien au propos. Le journaliste recueillant les témoignages, André Major, insiste sur l’incompréhension du lectorat face au premier roman de Loranger, Mathieu (1949), qui aurait d’ailleurs incité celle-ci à renoncer au

7 Il est intéressant d’analyser l’espace du journal accordé aux femmes dans ce genre de supplément littéraire,

dans la mesure où tous les individus convoqués sont issus du monde littéraire et se présentent dans une posture symboliquement légitime. Dans le premier texte d’opinion publié en 1960, Anne Hébert, Michèle Lalonde et Claire Martin sont les trois femmes convoquées, sur plus de onze signataires qui disposent d’un nombre de lignes relativement semblable. Claire Martin occupe une demi-page, Anne Hébert un peu plus d’un tiers de page et Michèle Lalonde une page complète. Les hommes de ce numéro disposent de plus ou moins une demi-page, également. Dans le supplément de 1967, Claire Martin se positionne aux côtés de onze hommes et trois femmes, Françoise Loranger, Hélène Ouvrard et Germaine Guèvremont. C’est toutefois Claire Martin qui occupe le plus d’espace parmi les femmes, à raison d’une demi-page, alors que Loranger, Ouvrard et Guèvremont occupent moins d’un quart de page chacune. Parmi les onze hommes interrogés, cinq ont accès à une page complète, deux occupent une demi-page, trois occupent un tiers de page, et un seul occupe moins d’un quart de page. Dans les deux suppléments, presque le même nombre de femmes ont été convoquées – trois en 1960 et quatre en 1967 – mais ce dernier leur accorde beaucoup moins de place.

roman : « C’est un auteur instinctif, qui écrit sous la dictée d’un besoin presque organique. Lui poser une question d’intérêt général, c’est la surprendre en flagrand [sic] délit de silence » (Major, 31/10/1967 : IX).

La critique littéraire est un pilier de l’institution, qui contribue à confronter les écrivain·e·s au modèle dominant du champ. Ce dernier exemple du critique André Major peut être mis en relation avec la misogynie latente dans le milieu littéraire de l’époque, notamment par l’idée de mise à mort symbolique de la femme dans le roman de la libération nationale. Alors que nous savons que le roman québécois de la décennie 1960 évoque fréquemment la thématique du nationalisme, les auteurs masculins sont nombreux à miser sur cette idée de mort symbolique dans l’élaboration des personnages féminins, comme l’affirme Lori Saint-Martin dans son ouvrage Contre-voix. Essais de critique au féminin. Pensons à Hubert Aquin dans Trou de mémoire ou encore à Jacques Godbout dans Le

Couteau sur la table. Dans ces deux romans, Saint-Martin constate que les deux

personnages féminins « mourront parce qu’elles “symbolisent” le Canada anglais » (Saint- Martin, 1997 : 96). Cette insistance à concevoir le féminin comme un obstacle à la libération nationale dans le roman peut avoir des échos dans le réel et expliquer, du moins en partie, pourquoi Claire Martin semble avoir joué le rôle de la bouc émissaire idéale pour les tenants du joual. Le fait qu’elle demeure à Ottawa durant ces années d’écriture, de 1945 à 1972, contribue à en faire une ennemie du projet nationaliste pour ses dissidents. Ces deux situations justifient aux yeux de ses adversaires que son implication soit discréditée sur les questionnements qui préoccupent les écrivains masculins de la décennie 1960, comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre.

Pour en revenir au supplément littéraire de 1967, Claire Martin intitule son texte « Faut-il trouver des catégories ! ». Celui-ci permet de préciser sa position sur les catégories en littérature, ainsi que sur les liens entre littérature québécoise et littérature francophone. Il s’inscrit dans la continuité de ses entrevues et de son précédent texte sur la langue, en ce qu’elle y poursuit toujours l’idée d’une littérature française universelle en déplorant le manque de perfection langagière de la littérature québécoise. Si les autres signataires de ce supplément accordent plus d’espace aux thématiques littéraires qu’à la

langue utilisée, nous percevons chez Claire Martin un réel cas de surconscience linguistique qui occupe une place prépondérante dans ses réflexions sur la littérature. Ce texte se situe presque au terme de la Révolution tranquille et s’inscrit directement au cœur du débat linguistique, ce qui permet d’observer la constance de sa posture d’écrivaine engagée contre le joual, alors que la question de la langue française normée demeure centrale.

Le point d’exclamation du titre témoigne d’emblée de la fermeté de l’affirmation de Claire Martin, et surtout de son absence de doute. Son constat : les catégories littéraires sont divisées selon la nationalité, ce qu’elle juge déplorable. Elle affirme : « [les critiques de la francophonie d’outre-mer] écrivent tous, en commençant, que voilà un auteur canadien et on a bien le sentiment qu’on sera jugé comme tel » (Martin, Le Devoir, 31/10/1967 : X). Ce que Claire Martin désigne comme la « dégénérescence linguistique » en 1960 devient finalement la norme québécoise en 1967, selon elle. Alors qu’elle déplorait en 1960 que « la faiblesse linguistique » des textes canadiens-français était souvent masquée par des remarques, dans le discours critique, « du genre “exotisme charmant, archaïsme, parfum de terroir” » (Martin, Le Devoir, 22/10/1960 : 11), elle trouve aberrant que, pour la critique française, la popularité grandissante du joual fasse en sorte que tou·te·s les écrivain·e·s québécois·e·s sans exception traitent de thématiques canadiennes en utilisant une langue galvaudée. Pour une écrivaine comme Claire Martin, qui écrit dans un français normé, sans marque d’oralité ou de vernaculaire, il est impossible de se faire reconnaître avec de tels critères, puisqu’elle ne peut être lue sans décevoir les attentes d’un lectorat français qui s’attend à un roman typiquement québécois. Elle donne d’ailleurs en exemple une critique parue dans la Tribune de Genève à propos de son roman Quand

j’aurai payé ton visage (1962) : « le recenseur se plaint amèrement de n’y pas retrouver

“les fortes descriptions d’une nature hostile aux efforts des pionniers” » (Martin, Le Devoir, 31/10/1967 : X). Pour Claire Martin, le fait de devoir rééditer un roman canadien-français pour le publier en France n’est pas une option : le lectorat de France devrait être en mesure de lire et comprendre la langue dans laquelle un·e Canadien·ne français·e écrit.

Par ces quelques critiques, force est d’admettre que le nationalisme de Claire Martin peut sembler faible. Ses entrevues dénotent qu’elle est assez ambivalente quant à ses publications outre-mer :

Il y a du bon, de l’indifférent aussi… Bien sûr, c’est encourageant pour un écrivain canadien d’être publié en France. Mais, pour moi, je veux surtout être lue par des Canadiens français. D’autre part, si un jour j’écrivais un livre qui obtenait un très grand succès là-bas, je n’en serais pas du tout fâchée ! (Marcotte, 11/12/1965 : 5)

Elle explique également son sentiment d’appartenance au Québec dans le manuscrit de la conférence de 1972 en affirmant : « Je ne crois pas que j’aie jamais considéré que c’était mon rôle de refléter le milieu québécois. C’est quelque chose de très vaste le milieu québécois, quelque chose de multiple » (Martin, 1972 : 4). Malgré ses aspirations à la littérature universelle, elle se définit comme « un auteur québécois » (Martin, 1972 : 4) et ajoute :

Je me sens profondément québécoise aussi. Mais je pense que ma façon de me sentir québécoise n’est peut-être pas celle qu’on a aujourd’hui chez les jeunes ; c’est normal, je ne suis pas jeune. Alors j’ai ma façon à moi, bien sûr. […] Mon enracinement est réel, mais […] il est tout à fait différent de ce qu’on croit être l’enracinement, maintenant chez les jeunes. (Martin, 1972 : 4)

Si cet enracinement est réel, il est tout à fait légitime de s’interroger sur la portée de son nationalisme, surtout à l’aune des critiques et des reproches qui lui sont adressés. Tel que mentionné précédemment, l’ambiguïté de son nationalisme la place dans une position de bouc émissaire, même si elle croit profondément à l’attachement à un pays, à des régions du Québec (Vigneault, 1975 : 162-163). Ce qui demeure équivoque dans le raisonnement de Claire Martin est son désir d’un Canada francophone et francophile, tout en n’identifiant pas ces particularités au contexte nord-américain de la Conquête, de la mouvance linguistique, ainsi que de la situation minoritaire du Québec en territoire anglophone. Alors qu’elle affirme se sentir « profondément québécoise » (Martin, 1972 : 3), nous la savons fédéraliste, ce qui contribue à l’ambiguïté de son nationalisme, surtout par rapport au nationalisme qui domine à l’époque. Nous pourrions sans doute lier son nationalisme à celui que Judith Jasmin prête au frère Untel :

tout en critiquant les méthodes d’enseignement traditionnelles, il attaquait le mal en plein cœur : une éducation qui faisait de nous des citoyens de seconde zone et des êtres dociles. Ce genre de formation, c’est exactement la méthode qu’aurait employée n’importe quel sadique pour nous annihiler. […] Quand le frère Untel parle et fustige le joual, il escompte un réflexe de fierté, un sursaut : le mal avoué, il nous reste à faire en sorte de l’extirper. Il n’a pas voulu humilier ses lecteurs, faire le masochiste inutilement : en éducateur, il a voulu corriger. (J. Jasmin, 1963)

Ce nationalisme, tel que le décrit Judith Jasmin, se perçoit dans le fait d’exposer le mal à sa source : l’enseignement du français. Cette critique, nous la constatons de façon marquée dans les différents discours de Claire Martin sur la langue. En effet, dans les deux textes de presse, Claire Martin critique l’enseignement traditionnel, et croit en l’importance de nommer le mal afin de le corriger. D’un texte à l’autre, un changement s’opère dans son attitude : alors qu’elle critiquait fortement la critique littéraire canadienne dans le texte de 1960, elle critique maintenant en 1967 la mollesse et l’indifférence de la critique française à l’égard des écrivain·es québécois·e·s qui ne font pas de l’identité nationale l’enjeu principal de leurs œuvres littéraires. Il est également intéressant de constater que cette position sur la langue est étroitement liée à des enjeux de reconnaissance, de légitimité littéraire et auctoriale, alors qu’elle s’interroge sur son lieu d’écriture. Ainsi, par ces deux textes de presse publiés au courant de la décennie 1960, Claire Martin demeure tournée vers l’universalité de la langue française. Elle ne s’est jamais réellement sentie comprise dans le champ littéraire québécois et ne trouve pas non plus sa place dans la littérature française.

Tel que mentionné précédemment, Claire Martin façonne sa posture d’écrivaine engagée contre le joual par la défense de sa langue littéraire : elle a horreur de la langue carencée qui dénature la langue française et qui jouit d’une popularité grandissante dans le paysage littéraire québécois de l’époque. Ses œuvres sont rédigées dans un français extrêmement soigné et exposent son besoin d’écrire et de parler le français le plus pur qui soit, position qu’elle défend également dans les suppléments littéraires du Devoir auxquels elle participe. À la sortie de son premier livre, Avec ou sans amour (1958), toutes les critiques font état du souci de perfection de sa langue littéraire. Le journaliste Pierre de Grandpré, par exemple, s’exprime longuement sur la langue littéraire utilisée par Claire

Martin. D’une part, il affirme qu’elle « apporte à nos lettres quelque chose de vif, de fort, d’assez imprévu. La nouveauté ici est surtout dans l’alacrité et la liberté de l’accent, du style, de la manière » (de Grandpré, Le Devoir, 13/12/1958 : 11). Il ajoute : « Pour ce qui est d’atteindre l’universel, Claire Martin “fait carton” à tout coup, pour emprunter son style. Aucun de ses récits n’est “situé” avec précision; ils sont démontables et transportables » (de Grandpré, Le Devoir, 13/12/1958 : 11). Pour sa part, la journaliste française Jeanine Delpech écrit : « ce recueil nous révèle l’existance [sic] d’une littérature canadienne bien éloignée de celle que nous connaissions jusqu’à présent » (La Presse, 30/1/1960 : 37). Le critique Jean Hamelin, dans La Presse du 8 octobre 1960, affirme quant à lui que le roman

Doux-Amer « correspond justement […] à l’idée qu’un éditeur parisien se fait d’un roman

canadien pouvant être diffusé en France » (Hamelin, La Presse, 8/10/1960 : 30). Il souligne, dans un autre article daté du 22 octobre 1960, que l’œuvre « pourrait passer partout et nulle part […] [qu’elle n’est] ni strictement canadienne-française, ni strictement française » (Hamelin, La Presse, 22/10/1960 : 32). Ces critiques reviennent constamment à l’idée du lieu de l’écriture, qui pose problème dans le cas de Claire Martin. Nous l’avons constaté, Claire Martin se construit une identité autour d’une norme francophone, alors qu’elle cherche à étendre la communauté linguistique française au Canada. En effet, la critique ne peut situer avec précision ses œuvres, ce qui rend son inscription dans le champ littéraire québécois problématique. Certain·e·s constatent que la liberté d’accent et de style donne toutefois lieu à « un choix de parisianismes d’un goût douteux et qui ne s’imposaient pas aux endroits où l’auteur s’en sert » (de Grandpré, Le Devoir, 13/12/1958 : 11). Le critique s’interroge : « L’écrivain a-t-elle écrit directement en vue de son futur public parisien, au-delà des lecteurs de sa ville et de son pays ? » (de Grandpré, Le Devoir, 13/12/1958 : 11).

Nous suggérons que la notion de paratopie exprime bien sa difficile reconnaissance en tant qu’écrivaine engagée dans le champ littéraire québécois. En effet, nous croyons que la quête du lieu d’écriture de Claire Martin la situe dans une « localité paradoxale […] qui n’est pas l’absence de tout lieu, mais une difficile négociation entre le lieu et le non-lieu, une localisation parasitaire, qui vit de l’impossibilité même de se stabiliser » (Maingueneau, 2004 : 52). De multiples façons, nous constatons la difficile incorporation

de Claire Martin dans le champ littéraire francophone. Alors qu’elle ne fait pas de l’enjeu national son cheval de bataille, à une époque où la majorité des œuvres écrites au Québec cherche à exposer cet enjeu, la critique française reçoit mal ses œuvres, car trop peu assimilables aux attentes entretenues à l’égard de la littérature québécoise. Cet « impossible lieu » (Maingueneau, 2004 : 70) doit être pensé par rapport à un référent, celui des écrivains masculins dont les romans de la libération nationale constituent le pôle dominant de la littérature de cette période, au moment où les femmes prennent des directions plus périphériques8. Cette quête du lieu d’écriture revient sur la question de légitimité et de

reconnaissance symbolique de l’écrivain·e. Nous verrons dans le deuxième chapitre comment la constitution d’un sous-champ littéraire féministe au Québec dans la décennie 1960 permet de nuancer cette idée de périphérie par la reconnaissance de l’implication des femmes dans le champ littéraire québécois.

À propos de l’argot, mentionné précédemment par Pierre de Grandpré, Martin affirme y renoncer dès son deuxième livre :

Dans Avec ou sans amour, il est vrai que j’ai employé beaucoup d’argot, je ne m’en suis même pas rendu compte. Je fais partie d’une famille où on employait assez volontiers l’argot comme ça, sans trop s’en apercevoir. […] Je n’ai pas du tout voulu, dans mon livre, faire de l’épate, employer un langage différent des autres. C’était mon langage (Martin, 1972 : 2-3).

Ainsi, cette question de lieu nous semble particulièrement intéressante dans l’élaboration de l’ethos9 de Claire Martin, dans la mesure où elle se construit une posture d’écrivaine

engagée dans l’universalité de la langue de par ses multiples référents personnels. Elle grandit dans une famille où la maîtrise du français est importante, elle fréquente le couvent de Beauport et des Ursulines, pratique les métiers de speakerine à CKCV puis à Radio- Canada et jouit d’une reconnaissance littéraire comme écrivaine au Cercle du livre de France10. Les modèles littéraires dont elle se réclame sont français : « Colette, bien sûr,

8 Maingueneau affirme d’ailleurs qu’ « un positionnement ‘‘dominé’’ n’est pas nécessairement

‘‘périphérique’’, mais tout positionnement ‘‘périphérique’’ est ‘‘dominé’’ » (Maingueneau, 2004 : 71), ce qui justifie l’implication de Claire Martin dans certains lieux dominants, notamment dans les pages du journal

Le Devoir.

9 L’ethos en tant qu’« l’image de soi donnée dans et par le discours » constitue selon Meizoz un « indice

postural » (Meizoz, 2007 : 21, 24).

puis Yourcenar, Gracq, George Sand » (Vigneault, 1975 : 44). Son fonds d’archives témoigne d’ailleurs de ses nombreuses relations provenant de France; on y retrouve plusieurs échanges épistolaires avec des ami·e·s européen·ne·s. Grâce à sa langue littéraire, les critiques la célèbrent comme la « Colette de la région outaouaise » ou la « Françoise Sagan canadienne » (Vigneault, 1975 : 48). Une anecdote à Bernard Pivot explique d’ailleurs sa venue à l’écriture :

Pourquoi écrit-elle? Claire Martin l’a confié hier. - … Parce que j’habite Ottawa…

Et il paraît qu’à Ottawa, il n’y a rien d’autre à faire qu’écrire… (Pivot, dans Le Figaro, 6/10/1960)

Par sa démarche d’écriture, Claire Martin affirme qu’elle écrit ce qu’elle connaît du monde. Dans le manuscrit de la conférence, elle confirme : « je n’aime pas parler des choses que je ne connais pas » (Martin, 1972 : 3), notamment sur la question de la langue, comme l’illustre son éducation dans un milieu bourgeois, sa carrière de speakerine à Radio-Canada et sa situation d’écrivaine à Ottawa. Ce qu’elle connaît, c’est la langue parlée dans ces milieux aisés et instruits. Or, ses premières œuvres dénotent un langage argotique, qu’elle défend en 1972 :

C’est seulement après, quand on me l’a reproché, que je me suis dit que j’avais sûrement eu tort d’employer ce langage, non seulement parce que ça froisse les gens qu’on emploie de l’argot français (comme chacun sait

la francophobie a toujours existé au Canada et au Québec, on n’aime pas s’identifier si peu que ce soit avec la France, avec Paris, ou avec quoi que ce soit d’étranger), mais je me suis dit, d’autre part, que c’était un langage

incorrect, que je n’avais aucune raison de l’employer et que si je voulais vraiment écrire, il fallait que je me prenne bien en main et que j’emploie une langue aussi correcte que possible. (Martin, 1972 : 3) [Nous