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Chapitre 1. Les frémissements avant-coureurs de l’engagement : Claire Martin et la

1.2. Une lutte dans l’ombre

1.2.2. Femmes et luttes individuelles

puis Yourcenar, Gracq, George Sand » (Vigneault, 1975 : 44). Son fonds d’archives témoigne d’ailleurs de ses nombreuses relations provenant de France; on y retrouve plusieurs échanges épistolaires avec des ami·e·s européen·ne·s. Grâce à sa langue littéraire, les critiques la célèbrent comme la « Colette de la région outaouaise » ou la « Françoise Sagan canadienne » (Vigneault, 1975 : 48). Une anecdote à Bernard Pivot explique d’ailleurs sa venue à l’écriture :

Pourquoi écrit-elle? Claire Martin l’a confié hier. - … Parce que j’habite Ottawa…

Et il paraît qu’à Ottawa, il n’y a rien d’autre à faire qu’écrire… (Pivot, dans Le Figaro, 6/10/1960)

Par sa démarche d’écriture, Claire Martin affirme qu’elle écrit ce qu’elle connaît du monde. Dans le manuscrit de la conférence, elle confirme : « je n’aime pas parler des choses que je ne connais pas » (Martin, 1972 : 3), notamment sur la question de la langue, comme l’illustre son éducation dans un milieu bourgeois, sa carrière de speakerine à Radio-Canada et sa situation d’écrivaine à Ottawa. Ce qu’elle connaît, c’est la langue parlée dans ces milieux aisés et instruits. Or, ses premières œuvres dénotent un langage argotique, qu’elle défend en 1972 :

C’est seulement après, quand on me l’a reproché, que je me suis dit que j’avais sûrement eu tort d’employer ce langage, non seulement parce que ça froisse les gens qu’on emploie de l’argot français (comme chacun sait

la francophobie a toujours existé au Canada et au Québec, on n’aime pas s’identifier si peu que ce soit avec la France, avec Paris, ou avec quoi que ce soit d’étranger), mais je me suis dit, d’autre part, que c’était un langage

incorrect, que je n’avais aucune raison de l’employer et que si je voulais vraiment écrire, il fallait que je me prenne bien en main et que j’emploie une langue aussi correcte que possible. (Martin, 1972 : 3) [Nous soulignons.]

Ce commentaire que nous soulignons rappelle la constance de ses prises de position sur la langue et sur la culture québécoise, dans la mesure où elle accuse maintenant les Québécois de xénophobie, alors qu’elles et ils n’aiment pas s’identifier aux étrangèr·e·s. Dans la perspective d’universalité que prône Claire Martin, cette critique la pose encore en anti- modèle : elle se défend contre son peuple, alors qu’elle lui reproche son manque d’ouverture. Elle rejette cependant l’argot dès sa deuxième publication. D’une part, elle se défend de son emploi de l’argot, mais donne en partie raison à ses détracteurs en affirmant

qu’elle n’avait « aucune raison de l’employer » (Martin, 1972 : 3). Elle semble donc reconnaître implicitement ses propres contradictions : son opposition au joual rend illégitime l’utilisation de l’argot.

Selon Lise Gauvin, la surconscience linguistique, notamment dans le cas québécois, naît d’un sentiment d’étrangeté dans la langue, un sentiment de ne pas savoir où se positionner dans le langage. Gauvin affirme que les Canadien·e·s français·e·s ont cette tendance à trop penser leur langue littéraire, depuis la figure de Crémazie :

Les générations qui suivent sont elles aussi prisonnières de cette problématique, les unes cherchant à accentuer leur différence par la mise en évidence de particularismes langagiers, les autres se contentant d’afficher une langue désespérément lisse, jouant à fond la carte de l’universel confondu avec l’hypercorrection (Gauvin, 2000 : 210).

Ce phénomène qu’est l’hypercorrection a d’abord été analysé par le sociolinguiste Peter Trudgill. En étudiant les comportements langagiers selon les genres sexués, il perçoit que cette tendance serait « un trait caractéristique du parler féminin » (Aebischer et Forel, 1983 : 16). Il explique ce phénomène chez les femmes

par leur insécurité linguistique et par leur position sociale subordonnée à celle des hommes, position qu’elles cherchent à améliorer linguistiquement en accordant plus d’importance que ne le font les hommes à un parler correct et prestigieux (Aebischer et Forel, 1983 : 16).

Verena Aebischer et Claire Forel, quant à elles, avancent que cette première affirmation proposée par Trudgill démontre qu’il est « victime des stéréotypes qui affirment que la femme est faible, peu sûre d’elle-même, et qu’elle a besoin de paraître à défaut d’être » (Aebischer et Forel, 1983 : 16). Elles abordent plutôt l’hypercorrection dans une perspective « d’hyperadaptation » (Aebischer et Forel, 1983 : 16), dans la mesure où ces femmes se servent du langage à des fins de réalisation de soi. Nous croyons d’ailleurs que cette tendance de l’hypercorrection correspond bien à notre hypothèse de départ, qui explore les contraintes et les possibles de l’engagement au féminin. Aebischer et Forel expliquent ces tensions :

dans cet ordre d’idées, il est intéressant de constater que quelles que soient les méthodes employées, simple observation, analyse structurale, analyse textuelle, ou autres procédés, c’est le langage des hommes qui a été pris

pour norme, celui des femmes figurant du même coup comme déviance ou comme défaut (Aebischer et Forel, 1983 : 9).

La norme masculine, représentée comme dominante dans l’histoire littéraire des années 1960, est symbolisée par le joual, alors que le langage déviant et féminin serait représenté par l’utilisation d’une langue soutenue. La question de la légitimité et de l’autorité se répercute également dans ce raisonnement, alors qu’il est nécessaire pour les femmes de prouver un certain statut social qui contribue à assurer l’autorité d’une prise de parole. Sans pour autant qualifier la motivation des femmes à parler une langue soutenue comme utilitaire pour parvenir à une quelconque autorité, nous croyons qu’en trame de fond de cette carte de l’universel français se dévoile un besoin de se constituer en tant qu’écrivaine, qui s’élabore dans la construction d’une posture nonobstant les tensions déterminées dans le champ.

En somme, les principaux écueils de l’engagement de Claire Martin dans les années 1960 sont principalement d’ordres sexuel, nationaliste et géographique. Ces trois écueils, l’écrivaine doit les affronter pour se construire une posture d’écrivaine engagée. Nous avons vu que les femmes interpelées d’une manière ou d’une autre sur la question de la langue, Jeanne Lapointe, Judith Jasmin, Anne Hébert et Gabrielle Roy, sont toutes confrontées à la surconscience linguistique : elles pensent toutes aux possibles de la langue, à une époque où ces questionnements surgissent dans le champ littéraire. Nous percevons que le nationalisme de Claire Martin est québécois, mais fédéraliste et tourné vers l’universalité de la langue française. Le nationalisme de nos quelques écrivaines est également assez différent. Alors qu’elles visent toutes un français normé, Jeanne Lapointe est souverainiste, résolument depuis 1980 (Gosselin et Lessard [dir.], 1995 : 63), Judith Jasmin adhère au projet de l’indépendance du Québec (Beauchamp, 1992 : 239). Anne Hébert vit plus d’une quarantaine d’années à Paris, tout en inscrivant le Québec au centre de son œuvre, écrite dans une langue soutenue, mais accessible. Elle affirme, à la fin des années 1980 : « Le Québec est devenu mon arrière-pays, celui que j’ai aujourd’hui dans mon imaginaire, et j’ai besoin de le garder à distance pour en parler » (Laurin, 1998). Quant à Gabrielle Roy, elle témoigne tout au long de son œuvre de cette quête d’un lieu d’écriture, alors qu’elle se sent perpétuellement étrangère, inférieure en tant que francophone au

Manitoba puis comme Manitobaine au Québec : elle aborde « cette sensation de dépaysement » (Roy, 2008 : 11), cet « isolement tragique » (Roy, 2008 : 85).

Cette dissémination prouve une certaine individualité dans les prises de position, dans la mesure où ces femmes valorisent toutes une langue soutenue dans les échanges formels. Or, nous constatons également une multiplication des postures littéraires, alors qu’elles se présentent toutes individuellement dans le discours polarisé sur la langue, ce qui contribue à disséminer leur parole. Nous verrons maintenant comment Claire Martin contribue à se façonner une posture paratopique, qui la pose en contre-modèle dans l’écosystème littéraire de l’époque. Si les prises de position des femmes sont atomisées, Claire Martin insiste sur le caractère individuel de son engagement.

1.2. Une lutte dans l’ombre

Tel que nous l’avons vu, Claire Martin agit comme la bouc émissaire idéale des tenants du joual, en tant que femme et fédéraliste résidant à Ottawa. Si ses opposants dans la querelle linguistique sont pour la plupart des écrivains masculins, considérant l’écriture en joual comme un symbole de l’identité québécoise aliénée, Martin se construit une posture paratopique qui la pose comme anti-modèle pour ceux-ci. En tant que phénomène social et culturel, le joual s’intègre dans les revendications de nombreu·x·ses écrivain·e·s de la décennie 1960. Les premiers à l’adopter activement sont les membres du collectif

Parti pris, une revue à tendances révolutionnaire et polémique fondée en 1963. Comme

l’explique Lise Gauvin dans son ouvrage Parti pris littéraire : « la revue appartient à ce passé récent de la période post-duplessiste, des premiers mouvements indépendantistes […], des premières bombes du F.L.Q. et de cette révolution que certains intellectuels jugeaient trop tranquille » (Gauvin, 2013 : 7). Les partipristes se positionnent simultanément pour un Québec indépendant, socialiste et laïc, et la revue se situe à l’avant- garde du débat sur l’affirmation de l’identité québécoise. Alexandre Lafrenière, dans son mémoire « Le joual et les mutations au Québec », affirme que, pour les partipristes,

ces idéologies sont véhiculées dans le joual, et c’est en l’élevant à titre d’instrument de contestation et en l’utilisant à profusion qu’ils croient que

les Québécois pourront sortir de leur état d’aliénés, de colonisés (Lafrenière, 2008 : 14).

Les principales formes d’aliénation contestées par Parti pris touchent tant les niveaux politique, qu’économique et culturel, mais sont débattues essentiellement dans la littérature. Les positions sont donc aux antipodes : alors que Claire Martin critique la complaisance linguistique et aspire à une universalité dans le langage, fondée sur la norme française, les partipristes s’engagent à utiliser la langue jouale dès leur première publication, en octobre 1963. Nous exposerons ici l’état de leurs prises de position, notamment dans une perspective de comparaison, selon les enjeux liés à leurs lieux d’écriture respectifs.

Nous proposons donc que Claire Martin correspond à l’anti-modèle de ce que l’histoire littéraire officielle retient de l’époque dans laquelle elle écrit, en ce que sa posture et ses positions s’inscrivent dans des lieux diamétralement opposés. Si nous envisageons le modèle dominant du champ littéraire de l’époque tel que décrit dans les synthèses historiques, il s’agirait de l’écrivain nationaliste engagé qui définit l’identité nationale dans ses œuvres littéraires, comme le font les intellectuels de la revue Parti pris. Le modèle, selon Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, « indique la conduite à suivre; il sert aussi de caution à une conduite adoptée » (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008 : 490). Nous précisons derechef que ce modèle tient compte de ce que l’histoire littéraire retient : les partipristes ne représentent pas le modèle dominant à l’époque. Ceux-ci, dans leur appartenance à un collectif, représentent maintenant l’archétype de la figure de l’écrivain engagé. Cette comparaison est nécessaire, dans la mesure où Claire Martin insiste sur la violence et sur l’incompréhension des critiques à son égard. Nous constatons que cette insistance prend une place prépondérante dans la posture de Claire Martin : son intégration dans le champ est difficile, vu son statut de femme, mais elle vit la décennie 1960 dans l’espace public, alors qu’elle publie ses premières œuvres. En effet, dans leur histoire littéraire, Biron, Dumont et Nardout- Lafarge affirment :

À partir des années 1960, il devient impossible de parler de la langue sans évoquer le sentiment d’aliénation nationale. L’écrivain se trouve presque

inévitablement entraîné sur le terrain de la politique, la langue étant

de la langue donne au débat linguistique une tournure nouvelle parmi les écrivains (Biron, Dumont et Nardout-Lafarge, 2010 : 456-457). [Nous soulignons.]

C’est donc dire que la langue devient une problématique pour la majorité des écrivain·e·s de l’époque et Claire Martin ne fait pas exception. Somme toute, celle-ci réussit à dépasser l’obstacle du féminin en étant un exemple représentatif du sous-champ littéraire féministe des années 1960 qu’Isabelle Boisclair expose dans Ouvrir la voie/x. Martin persiste à intégrer le milieu intellectuel, en écrivant pour des journaux, en accordant des entrevues, puis elle prend position dans et par ses œuvres sur des questionnements significatifs à l’époque, notamment la querelle linguistique.

Néanmoins, en tant que femme défendant un certain nationalisme et résidant à Ottawa, Martin semble correspondre à la bouc émissaire idéale pour les écrivains nationalistes, tels que certains partipristes. Cette position l’amènera d’ailleurs à s’exiler en France en 1972, en raison de la fatigue qui l’accable et de « la tristesse [que lui inspire] la dégradation volontaire » (Martin, 2006 : 158) de la langue française. Claude Jasmin dénonce cet exil dans un court article intitulé « Claire Martin aussi aveuglée que nos anciens exilés », dans sa chronique du Journal de Montréal le 3 décembre 1972 :

Devant le peu de culture des nôtres (qui étions fils de paysans illétrés [sic] pour la plupart) les ‘‘chanceux’’, les favorisés d’antan fuyaient en France. Face à nos réalités décevantes on peut retrousser ses manches et travailler (du mieux qu’on peut selon nos moyens, petits ou grands) en toute modestie à l’amélioration de ces réalités gênantes. Ou bien fuir lâchement comme nos rares instruits d’hier… et d’aujourd’hui. Il se peut bien que Claire Martin soit lasse et alors qu’elle parte pour le Midi de la France en se taisant. Il a fallu que le réalisateur Castonguay avec la questionneuse Andrée-Anne [sic] Lafond lui consacrent du ‘‘Formol 60’’ pour que le bon peuple édifié puisse entendre le souverain mépris de l’écrivain scandalisé bêtement des réalités illustrées par Michel Tremblay et cie. Pauvre Claire Martin, elle n’a jamais rien compris sur le plan social et politique. C’était une ‘‘artisse’’, une isolée et contente de l’être. Bon voyage et bon débarras! (Jasmin, Journal de Montréal, 3/12/1972 : 24)

Cet article place Claire Martin au banc des accusées. Jasmin dénonce, d’une part, la tribune accordée à Claire Martin par l’émission Format 60, un magazine d’information diffusé à l’antenne de Radio-Canada de 1969 à 1972. Le mépris de Jasmin à l’égard de Radio-

Canada – en taxant l’émission de « Formol 60 », une solution antiseptique et somnifère – est sans doute motivé, entre autres, par le traitement de la question linguistique fait par Radio-Canada, énoncé dans la première partie de ce chapitre. L’idée que le « bon peuple édifié » soit celui susceptible d’être interpellé par cette tribune confirme le mépris de Jasmin à l’égard de Radio-Canada. En somme, la façon dont Jasmin décrit Martin, comme « une ‘‘artisse’’, une isolée » appuie notre hypothèse de l’anti-modèle : la figure de l’artiste serait à l’antipode de la figure de l’intellectuel, alors que le caractère isolé de son engagement prouve derechef le caractère non collectif de son implication. Dans cette perspective, si l’intellectuel·le est enraciné·e dans sa cité par le caractère collectif de son engagement, l’artiste est isolé·e dans sa tour d’ivoire et regarde le peuple avec condescendance et mépris. De ce point de vue, la posture de l’artiste semble donc irréconciliable avec le statut d’écrivain engagé.

1.2.1. Entre anti-modèle et boys’ club

Les partipristes présentent le joual comme le symbole de l’identité nationale et le pose davantage en tant que phénomène social et politique qu’en tant que phénomène linguistique. À cet égard, il s’exprime plus précisément dans la littérature par la notion de sociolecte (Laurendeau, 1990), dans la mesure où il remet en cause les principaux fondements de l’identité littéraire des Québécois·e·s. Pour définir le joual, Alexandre Lafrenière affirme qu’« il traduit implicitement la mutation de l’identité québécoise » (Lafrenière, 2008 : 7). Ainsi, les partipristes s’engagent non seulement à défendre l’identité québécoise, mais également à utiliser la langue jouale dans leur revue. En effet, les membres ont contribué à faire naître le débat linguistique de cette façon. Comme l’affirme Pierre-Luc Bégin dans son article « Parti pris : Un phénomène majeur méconnu » :

Pour Parti pris, l’utilisation du joual en littérature devait illustrer l’aliénation linguistique d’abord par souci de réalisme. Mais il s’agissait aussi et surtout de provoquer une prise de conscience des Québécois à propos de leur aliénation afin de les pousser à la révolte politique (Bégin, 2009 : 49).

Il s’agit donc d’un « changement non pas dans les habitudes linguistiques mais dans l’ordre sociopolitique qui conditionne ce comportement linguistique » (Major, 2013 : 393). Ainsi,

la position du groupe est avant tout politique : les partipristes participent à la déconstruction de la langue littéraire afin de mobiliser le peuple. C’est d’ailleurs de Sartre que provient le nom de la revue, inspiré d’un recueil d’articles sur la Résistance française et la liberté,

Situations II : « Chaque jour, il nous faut prendre parti dans notre vie d’écrivains, dans nos

articles, dans nos livres » (Sartre, 1948 : 229). Il s’agit non seulement d’un appel à l’engagement, mais surtout d’un appel à l’engagement littéraire, car il se fait par la littérature et la posture de l’écrivain·e.

Dans le rapport à la querelle sur le joual, tant du côté de Claire Martin que des partipristes, le lien avec la maison d’édition dévoile un ressort particulièrement intéressant à analyser dans une perspective de comparaison. Les Éditions Parti pris sont fondées simultanément à la publication de la revue, et accueillent de nombreux écrivains, lesquels sont majoritairement masculins, qui s’inscrivent dans une lignée éditoriale relativement semblable à celle de la revue. Certains poètes, notamment Paul Chamberland et Gérald Godin, des romanciers tels que Claude Jasmin, André Major et Jacques Ferron, ainsi que des essayistes, Pierre Vallières étant l’un des plus influents avec Nègres blancs d’Amérique en 1968, seront publiés dès l’année 1964. Le joual a ainsi « fortement contribué à l’éclosion d’une relève intellectuelle dans les années 1960 et il apparaît telle une pépinière d’artistes et d’écrivains marquants » (Bégin, 2009 : 50). Ce caractère collectif que l’on reconnaît aux partipristes est conforme à l’esprit de la période, alors que la lutte collective est la principale clé de la dénonciation de l’identité canadienne-française et de l’accession à l’identité québécoise. C’est d’ailleurs l’une des motivations de l’avènement du joual en littérature selon Gaston Miron, cité dans l’essai Joual de Troie de Jean Marcel : « Notre langue, dans son exercice quotidien, est le reflet de notre asservissement social, politique et économique non moins quotidien » (Marcel, 2008 : 16). Les principaux intellectuels ou militants se démarquant à cette époque ont cette tendance à se regrouper dans une communauté de pensée, allant de pair avec les valeurs qu’ils revendiquent. C’est le cas par exemple dans des revues, notamment Cité libre, Parti pris et Liberté, mais également les groupes révolutionnaires, tels que le Front de libération du Québec.

L’aliénation culturelle se manifeste par « la dégénérescence de notre langue et l’abâtardissement de notre peuple [qui] témoignent du mal d’être collectif » (Gauvin, 2013 : 11), et constitue une raison suffisante pour prendre position dans la querelle linguistique. Nous pourrions parler d’ethos collectif, dans la mesure où ces individus se positionnent dans une collectivité liée à ses composantes paratextuelles et éditoriales : la revue Parti pris comme lieu d’énonciation regroupe des valeurs collectives auxquelles adhèrent les collaborateurs, celui-ci s’inscrivant dans une mouvance sociale particulièrement avant-gardiste et révolutionnaire. Sur l’ethos collectif, Patrick Charaudeau affirme :

Les individus, du fait de leur appartenance à un groupe, partagent avec les autres membres du groupe des caractères similaires, ce qui donne l’impression, vu de l’extérieur, que ce groupe représente une entité homogène. […] L’ethos collectif correspond à une vision globale, mais à la différence de l’ethos singulier, il n’est construit que par attribution apriorique, attribution d’une identité émanant d’une opinion collective vis- à-vis d’un groupe autre (Charaudeau, 2005 : 90).

Dans Parti pris, les signatures collectives ne sont pas rares et la présence du « nous » est récurrente dans les pages de la revue.

En outre, nous ne pouvons passer à côté de la forte présence des hommes, tant dans la revue que dans la maison d’édition. À notre connaissance, seulement trois femmes ont été publiées aux Éditions Parti pris de 1964 à 197411 : Clémence Desrochers, avec Le