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l Dès le plus jeune âge : par ignorance !

Dans le document L’ÉMERGENCE DES RISQUES (au travail) (Page 133-137)

Nos écoles n’enseignent pas à les identifi er et à les prévenir. Ils émergent au fur et à mesure que l’on avance dans la vie professionnelle. C’est ce que nous pourrions éviter en agissant plus sérieusement sur la connaissance et l’enseignement des risques de maladies professionnelles que sont les troubles musculo-squelettiques (TMS) et les lombalgies.

Nous devrions éduquer dès le plus jeune âge à une véritable hygiène vertébrale, ensei-gner les bons gestes qui permettent de manipuler les charges, la façon de marcher, de s’asseoir, de respirer, aider à acquérir une bonne posture, à choisir le bon sport, etc.

Il me paraît indispensable que ce sujet fasse l’objet d’une formation dans les écoles primaires et secondaires et, de toute façon, avant l’arrivée dans le monde du travail. De quelle manière ? La question reste ouverte, car mon combat pour que les professeurs de gymnastique dispensent cette formation date des années 1980. Je reste malheureuse-ment en échec dans ce domaine. Pourtant, des économies considérables pourraient être faites. Il suffi t pour s’en convaincre d’analyser le tableau des maladies professionnelles

où les lombalgies et les troubles musculo-squelettiques (TMS) tiennent le haut des statistiques.

Écrivant cela, nous ne négligeons aucunement les solutions techniques qui sont de la responsabilité de l’employeur et qui contribuent à restreindre très fortement le port des charges. Tandis qu’en 1971 nous déchargions 30 tonnes de ciment à trois tous les deux jours, des silos à pulvérulent (ciment en vrac) et l’assistance informatique permettent aujourd’hui de gérer automatiquement la fabrication des coulis de ciment sur certains chantiers. C’est bien entendu ces solutions qu’il faut aussi privilégier.

– L’innovation dans la prévention : silos, enrouleurs, protection électrique…

Les silos sécurisés

Quand je passe devant un chantier de fondations spéciales, je constate que les silos sont désormais « sécurisés ». Quelle que soit l’entreprise, ils sont tous équipés d’élingues latérales qui permettent de les mettre en position verticale. Le contrôle des niveaux s’effectue par pesée à l’aide d’un vérin et n’oblige plus à entreprendre de périlleuse escalade. Je tire même une certaine fi erté de cette évolution, car j’y ai participé…

Sur le chantier du central EDF du pont de l’Alma, où j’étais conducteur de travaux, était installée une batterie de silos munis d’échelles, bien sûr sans crinoline (protec-tion contre les chutes de hauteur) et même d’une échelle de corde pour le moins haut.

Comme ils étaient tous reliés entre eux, c’est celui-ci qui devait être visité pour contrôler le niveau de la bentonite. J’en entrepris donc l’ascension à l’échelle de corde. Pas très facile, et encore moins facile une fois en haut, car le chemin d’accès à la trappe de visite était rendu glissant par un dépôt de bentonite. Ayant effectué mon contrôle, je suis vite redescendu en me demandant quel système pourrait permettre d’éviter ce genre d’acro-batie, très dangereuse.

Quelques mois plus tard, devenu animateur sécurité, j’étais présent au dépôt de matériel de mon entreprise à Villeneuve-le-Roi et j’observais de loin la manœuvre de stockage à la verticale de ces fameux silos. À l’aide d’une élingue à quatre brins fi xée au niveau du plateau supérieur, la grue du dépôt relevait le silo. Une fois celui-ci dressé sur ses quatre pieds, un ouvrier y grimpait à l’aide d’une grande échelle pour défaire les brins de l’élingue. Manœuvre simple, mais au moment où le compagnon entreprend de redes-cendre, l’échelle ripe et tombe, et le laisse dangereusement suspendu au rebord du silo.

Tétanisé, le grutier assistait à la scène sans pouvoir faire un geste. Par chance le chef de chantier Rouault passait là à cet instant et il eut le réfl exe de se précipiter pour remettre l’échelle en place, évitant au pauvre compagnon une chute de 12 m… Cet incident a été le point de départ d’une réfl exion conjointe avec le service Matériel pour que l’on n’ait plus à grimper sur les silos. C’est Rouault, le chef de chantier sauveur, qui m’a

apporté trois jours plus tard une idée qui fut à l’origine de la solution : une élingue fi xée à demeure sur le silo au moyen de deux manilles et coulissant du haut en bas sur deux tubes verticaux établis de part et d’autre de l’appareil.

Quelques mois plus tard, dans mon entreprise, tous les silos étaient modifi és, ne compor-tant plus ni échelle ni crinoline. Je dus faire un aller-retour en Corse pour expliquer à l’inspecteur du travail que nos silos qui, d’après lui n’étaient pas conformes à la loi, étaient en réalité « sécurisés ». Aujourd’hui, ce système équipe pratiquement tous les silos de la profession. Aucun brevet n’a été déposé pour permettre à tous de bénéfi cier de cette avancée. C’est une belle image du partage qui fait progresser la prévention.

– L’enrouleur de Denis Zante

Le même principe a été appliqué pour une autre invention, elle aussi mise au point dans mon entreprise (avant d’être industrialisée par un concurrent), née du constat que les injecteurs avaient tous très mal au dos. Pour remonter les tiges d’injection, ceux-ci devaient en effet se mettre à deux de chaque côté de l’outil et le saisir à l’aide d’une clé à griffe. Or leur geste, systématiquement inapproprié, entraînait de nombreux arrêts de travail.

Très ingénieux, le service matériel a réussi à remplacer les tiges par des fl exibles. Ce système a révolutionné la pratique de l’injection. Toutefois, au cours d’une visite sur un chantier en Normandie, je me suis aperçu que les fl exibles, longs de 20 m, restaient au sol. Leur nombre représentait un très important risque de chute de plain-pied pour les injecteurs, qui se déplacent en permanence. J’ai alors sollicité Denis Zante, le conduc-teur de travaux du chantier, et lui ai demandé de chercher un moyen pour enrouler les fl exibles sur un touret. La solution lui a été assez facile à trouver car, dans sa carrière, il avait eu l’occasion d’utiliser un axe avec biellette permettant de tourner sans faire de nœud au fl exible. Ce système s’est lui aussi imposé, et toutes les entreprises sont aujourd’hui équipées de l’enrouleur de fl exible de Denis Zante… dont elles ignorent le nom.

– L’électricité sans risque

L’invention sécurité que je souhaite évoquer maintenant est elle aussi due à l’entre-prise Bachy et remonte à l’époque où, chef de chantier sur les opérations de fondations spéciales, j’effectuais des coulages de béton de 60 à 100 m3 quotidiens pour réaliser des parois moulées. Sur ces chantiers, l’interruption du coulage était impossible. Or l’humidité ambiante occasionnait souvent des coupures de courant. En tant de respon-sable de chantier, j’avais l’obligation de dépanner. Mais, mes connaissances en élec-tricité se limitaient à peu près à la formule U = RI apprise à l’école, bien insuffi sante

pour entreprendre le dépannage d’armoires électriques. Muni de mon testeur de phase, j’ouvrais l’armoire à la recherche du défaut. Une fois sur deux, je trouvais par hasard.

Et pour ne plus être perturbé, je réglais le disjoncteur différentiel sur 500 mA au lieu de 30. Dès lors, plus de risque de disjoncter. Mais les hommes n’étaient plus protégés.

C’est pourquoi ma première initiative comme préventeur fut de trouver une solution à ce problème avec les électriciens.

Là aussi la solution a son auteur, Bernard Morgny. Il faisait partie du groupe d’électri-ciens de l’entreprise que j’avais réunis pour recenser les types de matériels utilisés et les pannes rencontrées. Mission apparemment impossible puisque environ 50 types de pannes avaient été identifi ées. Or l’idée géniale de Bernard Morgny est d’avoir ramené toutes les pannes possibles des chantiers (ça marche aussi à la maison) à trois cas de fi gure sur lesquels il est facile d’agir : l’armoire qui ne s’enclenche pas ; l’armoire qui se déclenche en cours de fonctionnement ; le moteur qui ne tourne pas. De là ont pu être élaborés un organigramme de dépannage et des procédures d’intervention permettant aux opérateurs de faire leur travail sans risque – le type même de formation, si je puis me permettre une suggestion, qui devrait être dispensée à tous nos futurs responsables de chantier avant leurs débuts opérationnels.

– Nettoyage des banches et bassin d’acide formique

De retour des chantiers, les banches sont parfois souillées de béton et doivent être remises en état avec des nettoyeurs haute pression 400 bars. L’opération se déroule ordinairement dans les dépôts de matériel de l’entreprise et elle a récemment fait l’objet d’une étude ergonomique qui a mis sa diffi culté en évidence. En effet, ou bien l’opéra-teur reste à l’abri du garde-corps, comme il le doit, et son travail n’est pas effi cace, ou bien il le franchit et son travail est impeccable. Mais il s’expose au danger des projec-tions d’eau à très forte pression. Devant cette injonction contradictoire, l’utilisation d’un bain d’acide formique est apparue comme solution alternative. L’aménagement d’un bassin expérimental a pu se concrétiser en région Sud-Ouest grâce à un fi nan-cement de la CRAM Aquitaine. Avec ce procédé, trois trains de banches peuvent être immergés simultanément et l’opération n’entraîne aucune nuisance pour les compa-gnons car elle se déroule de nuit. Jugée très effi cace, cette solution est désormais vive-ment recommandée.

– L’approvisionnement sur échafaudage (la recette à matériaux)

L’approvisionnement en pierres de taille de gros volume sur les échafaudages confron-tait les tailleurs de pierre à un dilemme : soit ils s’accommodaient du garde-corps, ce qui gênait beaucoup la manœuvre, soit ils le retiraient pour opérer à l’aise mais

n’étaient plus en sécurité. La solution s’est esquissée alors que nous buvions un café dans un bistrot parisien avec Maurice Amphoux. Nous avons vu une trappe ménagée dans le sol s’ouvrir par moitiés, laissant apparaître les caisses de bouteilles acheminées du sous-sol par un monte-charge. L’originalité du système, c’est que les deux moitiés de la trappe, en se relevant, faisaient offi ce de garde-corps. La transposition du procédé pour l’approvisionnement sur échafaudage fut immédiate et un dispositif put être rapi-dement expérimenté grâce à une aide fi nancière de la CRAMIF.

Non seulement l’utilisation du système sécurisait et facilitait l’approvisionnement, mais elle contribuait à diminuer considérablement sa pénibilité, car la plate-forme du monte-charge une fois refermée, était compatible avec l’utilisation d’un lève-palette.

Là encore, une idée à suivre, pour l’approvisionnement de tous les échafaudages.

Dans le document L’ÉMERGENCE DES RISQUES (au travail) (Page 133-137)