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Des évolutions contradictoires, et le sentiment d’une plus grande pénibilité du travail

Dans le document L’ÉMERGENCE DES RISQUES (au travail) (Page 190-193)

Une conclusion provisoire

2. Quand tout semble aller de plus en plus mal…

2.5. Des évolutions contradictoires, et le sentiment d’une plus grande pénibilité du travail

Même si objectivement certaines caractéristiques des conditions de réalisation du travail semblent avoir été améliorées au cours du temps, que ce soit du fait de la diminution de l’exposition à des ambiances pénibles ou du recul des semaines longues, elles ne contribuent toutefois pas à contrebalancer l’image négative du travail et de ses condi-tions de réalisation. Cette représentation est donc à prendre plus au sérieux qu’elle l’est parfois aujourd’hui, car, comme le confi rment les résultats de l’enquête SUMER, entre 1994 et 2003, l’exposition aux risques et pénibilités du travail s’est accrue malgré des évolutions hétérogènes. L’adaptation des entreprises à leur environnement fait croître les contraintes de type « organisationnel » qui se manifestent par une forte dépendance à la demande externe et le développement des situations de face à face avec les clients.

L’exposition au bruit, aux contraintes visuelles s’accroît. Si le travail répétitif tend à diminuer, le port de charges lourdes demeure et les ouvriers et employés sont de plus en plus exposés aux produits chimiques (Arnaudo, 2004).

Ces évolutions des conditions de réalisation du travail débordent d’ailleurs le cadre hexagonal puisque les résultats des trois premières enquêtes européennes, la dernière datant de 2000 (Merlié et Paoli, 2001 , Valeyre, 2006) et les enquêtes françaises montrent une légère dégradation de l’environnement physique de travail et convergent pour dresser un tableau de pénibilités qui subsistent, se combinent ou se durcissent (Paoli, 1999). Rester longtemps debout, ou longtemps dans une posture pénible ou fatigante à la longue, porter des charges lourdes, respirer des poussières, manipuler des produits toxiques ou dangereux. Tous ces risques sont de plus en plus déclarés par les salariés, et pas seulement dans l’industrie. Simultanément, dans le même temps, les indicateurs de pénibilité ou de charge, physique ou mentale, progressent. Cet accrois-sement de la pénibilité du travail est souvent associé au fait que des « erreurs » dans la réalisation de leur activité professionnelle pourraient entraîner des conséquences pour

la qualité du produit ou du service, voire des conséquences graves pour les collègues de travail et des coûts importants pour l’entreprise.

Cette appréciation d’une augmentation de la charge de travail est aussi liée à des transformations de la manière dont le travail est organisé et les conséquences que cela implique dans sa réalisation. Les interruptions dans le travail engendrées par des diffi -cultés de planifi cation ou par la nécessité de répondre à des sollicitations diverses et imprévues sont nombreuses. L’impression est alors de ne pas avoir le temps suffi sant ou de ne pas disposer des informations claires et suffi santes pour effectuer correctement son travail. Le sentiment de vivre des situations de tension avec le public, mais parfois aussi avec les collègues, est assez fréquent.

Si le temps du taylorisme semble révolu, les contraintes temporelles dans le travail demeurent. Le sentiment de devoir travailler autrement, souvent vite et bien, peut être suscité par des situations aussi diverses que :

– la surveillance de machines automatisées dont les pannes doivent être résolues rapidement ou prévenues en raison de leur coût et de leurs effets sur le rendement ou sur le contenu du travail lui-même ;

– des organisations par projet qui génèrent de nouvelles formes d’interdépen-dance ;

– des organisations en juste à temps ;

– les situations de relation de service et la pression exercée par les niveaux d’attentes et d’exigences souvent manifestées par l’usager ou le client sans que l’assistance de l’organisation soit toujours à la hauteur des besoins des salariés pour réaliser correctement leur travail et atteindre les objectifs implicitement fi xés.

En 2003, c’est 55 % des salariés qui déclaraient devoir répondre à une demande exté-rieure, soit 6 % de plus qu’en 1994, et si les ouvriers sont moins concernés par cette caractéristique de leur travail, c’est pour eux que celle-ci s’accroissait le plus. Cette tendance renforce l’idée d’évolutions de fond, le client « arrivant » dans l’atelier.

Manque de temps, tensions, sentiment que tout cela s’amplifi e : la nature des questions posées apparaît comme des impressions puisqu’elles sont le refl et d’opinions et font appel à la subjectivité des personnes. Pourtant, les résultats des différentes enquêtes convergent, et ceux des études et interventions en entreprises viennent objectiver et conforter ces représentations. Simultanément, et de façon liée, le travail tend à s’in-tensifi er du fait d’une multiplicité de contraintes et de leur extension à des secteurs jusqu’alors protégés et sous la pression de cadences élevées ou de délais serrés accrois-sant les pénibilités du travail et leurs conséquences sur la accrois-santé, renforcées souvent par les dynamiques de certifi cation qui formalisent l’informel et rendent diffi ciles les petits

« arrangements ». Ces tendances s’accompagnent d’une augmentation des atteintes à la santé perçue comme liées au travail (Gollac et Volkoff, 2007).

Face à ces évolutions, force est de constater les limites du débat social sur les conditions de travail, lorsqu’on le compare au contenu de l’accord cadre interprofessionnel de 1975 qui, peu après la création de l’ANACT, intégrait non seulement les réfl exions sur l’organisation du travail et ses effets (effectifs, cadences, charge de travail), mais aussi l’aménagement du temps de travail (fl exibilité, réduction du temps de travail), les rému-nérations, l’hygiène, la sécurité et la prévention, ou encore le rôle de l’encadrement.

Accord signé par le Conseil national du patronat français d’hier, alors qu’aujourd’hui la tendance des organisations d’employeurs est de faire prévaloir une approche restrictive des conditions de travail, ne retenant que les risques professionnels identifi és, inscrits dans les tableaux des maladies professionnelles, dont les déclarations et les reconnais-sances minimisent la réalité.

Cette manière d’appréhender les conditions de travail et des risques associés corres-pond à une représentation classique de la prévention, mécaniste et de type causal, qui conduit à l’idée qu’il suffi rait soit de supprimer la source, soit d’extraire le salarié de celle-ci, soit de respecter les consignes de sécurité. La réalité actuelle n’est pas aussi simple et il est rare que les objectifs de production puissent être atteints sans s’exposer à des risques divers, y compris ceux pour lesquels toutes les précautions ont été prises, mais dont les principes ne peuvent pas toujours être respectés.

Cette représentation de la prévention est en fait très idéologique. Elle est souvent destinée à exclure du débat social, d’une part certaines des questions actuelles du travail, ses évolutions profondes et ce qu’elles créent aujourd’hui comme insatisfaction et comme désordres, d’autre part les caractéristiques auxquelles il faudrait accéder pour que le travail et ses conditions soient perçus comme des facteurs de satisfaction, de réalisation et des perspectives de développement.

En effet, malgré ces positions, l’encadrement, les responsables d’entreprise, confrontés à des diffi cultés diverses (absentéisme, maladies professionnelles, plaintes diverses), s’entourent de conseil pour tenter de les résoudre. Malheureusement, bien souvent, ils disposent rarement d’un large pouvoir d’action (le pouvoir de décision se trouvant de plus en plus éloigné des lieux de production), sauf de manière superfi cielle, alors qu’ils sont, la plupart du temps, parfaitement conscients de la nature des mesures qu’il conviendrait de prendre.

Songeons par exemple au fait que les coûts liés à des conditions de travail ayant des effets négatifs sur la santé sont de l’ordre de 2,5 à 3 % du PIB dans des pays comme la Suède ou les Pays-Bas, et que ce sont aujourd’hui les risques psycho-sociaux qui vien-nent largement en tête, devant les TMS, les premiers ayant d’ailleurs un fort impact sur

l’occurrence des seconds. En juin 2005, devant le Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, Gérard Larcher, ministre délégué à l’Emploi, au Travail, et à l’Insertion professionnelle, rappelait la forte progression des maladies professionnelles reconnues par rapport à 2002, celle des TMS étant la plus importante et soulignait l’urgence de mise en œuvre du Plan Santé-Travail fi xant en ce domaine des objectifs particulièrement ambitieux au regard des effets modestes des politiques de prévention actuellement mises en œuvre.

Dans le document L’ÉMERGENCE DES RISQUES (au travail) (Page 190-193)