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1.4 Un environnement logistique et des besoins qui évoluent

1.4.4 L’Internet Physique, une direction stratégique à considérer

Fort des mêmes constats en transport et de bien d’autres sur toute la chaîne de d’approvisionnement, depuis la production jusqu’à la distribution, plusieurs cher- cheurs ont conceptualisé une feuille de route pour répondre à ces problématiques naissantes (Montreuil,2011) (Montreuil et al., 2012c). Nous détaillons dans les para- graphes suivants plusieurs propositions phares de cette nouvelle vision des activités logistiques.

Paradigme de base

Le concept d’Internet Physique (ou « Physical Internet ») a été décrit il y a bientôt 10 ans (Montreuil,2011) avec l’ambition emblématique de :

«Transformer la manière dont les objets physiques sont déplacés, entrepo-

sés, réalisés, fournis et utilisés, visant une efficience et une soutenabilité

Pilote-moi si tu peux, pertinence d’un colis opportuniste

Les auteurs constatent que la chaîne logistique des produits que nous consommons souffre de nombreux symptômes (Ballot et al.,2014), tant sur le plan économique, social, qu’environnemental. L’idée de l’Internet Physique et la feuille de route qui l’accompagne (ALICE, 2019; Zijm et al., 2019) ont pour objectif d’orienter et structurer les travaux de recherche vers un objectif commun. Parmi les idées et concepts développés, de nombreux s’inspirent très largement et transposent des concepts de l’Internet « digital » vers le monde physique (Sarraj,2013). Nous décrivons dans les paragraphes suivants quelques notions développées pour atteindre cet objectif.

PI-conteneur

Tout d’abord, afin d’améliorer l’interconnexion physique des nombreuses parties prenantes qui interviennent dans la chaîne logistique, est proposée une normalisation physique des colis, appelés PI-container. Cette idée s’inscrit pleinement dans la continuité des conteneurs (cf. partie1.1.3) qui ont révolutionné la logistique au 20e siècle.

L’idée centrale ici est de faire un parallèle entre les données, qui circulent encapsulées sur le réseau numérique, et les produits qui devraient circuler eux aussi encapsu- lés/conditionnés dans des contenants standards sur le réseau logistique (Crainic et al.,

2016). De nombreux travaux de recherche comme le projet MODULUSHCA (Land- schützer et al.,2015) se sont penchés sur la question des fonctionnalités nécessaires à ces briques de base de la chaîne logistique : couplables, convoyables, sécurisés, tracés voire « intelligents », réutilisables et/ou recyclables (Ballot et al., 2014; Landschüt- zer et al., 2015; Sallez et al., 2016). Ayant pour ambition de s’intégrer peu à peu dans l’environnement logistique actuel, déjà en partie normalisé, les questions de dimensions de conteneurs (lesquelles, quelle variété), de résistance mécanique, de standards de communication utilisés pour échanger avec l’extérieur se posent dans ces premiers travaux de recherche.

Les Hubs

Les hubs constituent un élément essentiel dans cet environnement dit hyperconnecté18. En effet, ce sont les nœuds du réseau en charge de supporter les ruptures de charges, a priori bien plus nombreuses qu’actuellement pour profiter pleinement du groupage des colis et de la multi-modalité (Ballot et al.,2014). Le recours au mode de transport le plus adéquat sur chaque segment, tant en type (poids-lourd, vélo, porte conteneurs, train, métro, etc.), qu’en fréquence de passage et en volume utile transporté devrait permettre une optimisation globale et une meilleure utilisation des ressources. L’hypothèse forte ici est que les avantages de la multimodalité ne seront pas neutralisés par les inconvénients des transbordements rendus plus nombreux. Ceci apparaît 18. Cette notion d’hyperconnection est développée entre autre par (Crainic et al.,2016) pour décrire l’interopérabilité des parties prenantes en jeu sur plusieurs niveaux : physique, numérique, de l’exploitation opérationnelle, de la gestion et commercial et juridique.

L’interopérabilité s’entend ici selon (É. Larousse, 2019) : Compatibilité des équipements, des procédures ou des organisations permettant à plusieurs systèmes, forces armées ou organismes d’agir ensemble.

Un environnement logistique et des besoins qui évoluent

possible grâce à la normalisation des colis et l’efficacité desPI-hubs adaptés. Se pose alors la question du tri et du routage des colis sur ces hubs qui n’ont pas tant pour vocation de stocker les colis sur de longues durées que de les (ré-)orienter, à la façon d’un routeur informatique. A noter également que ces hubs, suivant les moyens de transport qu’ils connectent et leur localisation, et donc le flux de colis à traiter, devraient être de tailles différentes avec des moyens de manutentions adaptés. De nombreux travaux de recherche sur les algorithmes de routage des colis à l’intérieur de ces hubs ouverts ont été réalisés jusqu’ici (Sallez et al., 2015; Sarraj et al.,2014; Walha et al.,2016), en particulier sur des hubs route/rail. La normalisation des colis apparait décisive pour rendre ces étapes les moins pénalisantes possibles, tant en matière de temps que de coût.

Les hubs de mise à disposition et réception des colis utilisés par les clients (poten- tiellement des particuliers) constituent un autre élément important de ce réseau hyperconnecté. Ces hubs représentent les « extrémités/portes d’entrée » du réseau. Plus petits que les hubs de triage à fort volume évoqués précédemment, il semble néan- moins essentiel de les surveiller et de les piloter pour router les colis automatiquement (Faugere et al., 2017; Orenstein et al.,2019).

Les protocoles

Autre élément essentiel en cours de développement, les protocoles standardisés qui définissent les interfaces entre les différents services logistiques eux même clairement définis dans leur périmètre et leurs objectifs. Ballot et al. (2014) définissent ces protocoles comme « un ensemble de règles métier à satisfaire par chacun des acteurs du réseau (camionneur, manutentionnaire, équipement, agent logiciel, prestataire, etc.) » et reprend, adapté à l’Internet Physique, le modèle en couche OSI (Open

System Innovation) (Zimmermann,1980) utilisé pour Internet. Le modèle OLI (Open

Logistics Interconnection) proposé est décrit suivant 7 couches : (1) physique, (2)

liaison, (3) réseau, (4) routage, (5) expédition, (6) encapsulation, (7) logistique. Ce système en couches (Montreuil et al., 2012a) offre d’intéressantes perspectives sur la capacité du réseau, de façon distribuée, de router et surveiller les PI-conteneurs. De plus, les premiers travaux sur l’Internet Physique tendent à considérer non pas un réseau logistique mais une interconnexion de plusieurs réseaux (Sarraj, 2013). Cette décomposition et cette vision en couches permettraient aussi a priori d’équilibrer les charges (les colis) sur les différents organes du réseau (véhicules, segments, hubs) global.

Pilotage et premières expériences

L’une des questions qui se pose alors, considérant lesPI-containers et les PI-hubs, concerne le pilotage des colis : est-il centralisé ou décentralisé ? Montreuil (2011) propose 3 options :

1. Décision complètement centralisée : Le colis capte et transmet des données

sur son environnement. Il sert de relai avec un système central de pilotage qui prend en charge potentiellement le pilotage de plusieurs colis.

Pilote-moi si tu peux, pertinence d’un colis opportuniste

2. Décision semi-centralisée : Un peu à la manière de ce qui est fait actuellement,

l’expéditeur ou la personne qui organise le transport définit la route par laquelle le colis doit passer, ou a minima quelques hubs, et le laisse ensuite "autonome" sur le réseau avec ces consignes.

3. Décision décentralisée : Le colis est complètement autonome dans sa prise de

décision sur le réseau, considérant son point de départ et d’arrivée, le temps disponible pour y arriver et, à chaque instant, l’environnement qui l’entoure, ses opportunités et ses contraintes.

Expérimentations Parmi celles menées jusqu’ici, Sarraj (2013) utilise comme données d’entrée concernant les colis le cas du transport de produits de consommation courante (épicerie, liquide, droguerie, parfumerie, hygiène). Il considère alors les usines des 100 plus gros fournisseurs d’un groupe de distribution national en France, ses centres de distribution, et ses magasins dans 2 régions. La création d’un réseau fictif dePI-hubs et de segments entre eux, basés sur les besoins en transport de ces colis, alors devenus PI-conteneurs, a permis de comparer un futur possible (avec toutes les hypothèses simplificatrices qu’il suppose) et la situation actuelle en terme d’efficacité et d’efficience. Pour router les produits, cette étude prend en compte leur conteneurisation dans les PI-containers, la détermination du meilleur chemin pour les PI-conteneurs (aux contraintes très différentes de celle d’Internet : vitesse de déplacement à prendre en compte et duplication quasi impossible par exemple) et l’optimisation des transits dans les hubs.

L’implémentation pour la toute première fois en France de ces principes a été l’occasion, pour cette équipe de recherche, de remporter le prix desROIs de la supply

chain en 2016 (GS1, 2016).