• Aucun résultat trouvé

D ISCIPLINES R HÉTORIQUE / S ÉMIOTIQUE S ÉMANTIQUE H ERMÉNEUTIQUE

3. La métaphore vive

3.1. L’innovation sémantique

a) Nouveauté

Enchaînons là où nous avions laissé la tension métaphorique dans notre précédent chapitre : seul l’énoncé qui demande à ce que sa pertinence soit reconstruite accède au statut conjoint d’événement et de sens. Ricœur emploie parfois les termes « innovation » et « événement » comme synonymes : « nous pouvons parler d’innovation sémantique, ou d’événement sémantique[…]168 ». Cette identification peut paraître douteuse dans la mesure où l’événement a été identifié comme une caractéristique de tout discours, de toute parole en contexte, même celle, commune, qui n’apporte aucune nouveauté au plan sémantique. En la rattachant à l’événement, peut-être Ricœur cherche-t-il à accentuer le caractère fugitif de l’innovation pour aggraver son opposition au sens, qui détient une certaine stabilité du fait qu’il est réidentifiable. L’innovation n’est-elle pas en effet corrélée au statut

165 Elle ne se trouve au total qu’une quinzaine de fois dans l’œuvre du même nom qui compte 400 pages

(pp. 107, 127, 141, 156, 242, 271, 289, 325, 361-362, 370-373). On compte aussi quelques utilisations des locutions « expression vive » et « expérience vive » (pp. 61, 391-392).

166 Ibid., p. 61.

167 Ce couple compose l’alternative présente dans le postulat b entre le trope motivé par un choix stylistique

ou par une lacune lexicale. Cette distinction remonte au moins jusqu’à Fontanier qui distinguait entre tropes libres (figures) et forcés (catachrèses).

74

événementiel, c’est-à-dire unique, situé et actuel de la figure? Et inversement, l’événement ne se tient-il pas dans le voisinage de la nouveauté, voire de l’avènement? Appliqué à la métaphore dans le cadre de la théorie de l’interaction, cela signifie que « la nouvelle pertinence est corrélative de l’énonciation et de son contexte : sans parole vive, pas d’innovation sémantique. Mais, complétons l’assertion : sans identification et réidentification, pas d’innovation sémantique169 ». Puisque la métaphore vive allie les deux caractéristiques, il faut que la tension entre fugacité de l’événement et identification du sens Ŕ qui supprime par la répétition le caractère inédit de la nouveauté Ŕ soit atténuée d’une certaine manière. Ricœur y réussit en traitant « la nouveauté d’une signification émergente comme l’œuvre instantanée du lecteur170 ». Le poids de l’innovation sémantique se voit de la sorte posé sur les épaules de la pragmatique du langage, à laquelle Ricœur s’est référé maintes fois pour modérer certaines analyses structuralistes. La nouveauté du sens n’est pas quelque chose qui arrive en soi, mais qui arrive pour et à quelqu’un. Cette solution repousse les nombreuses difficultés inhérentes à une conception « objective » ou « réaliste » du nouveau comme quelque chose qui viendrait simplement à l’être. Le nouveau n’est-il pas de l’ordre de la surprise, de l’inédit, de l’inouï Ŕ c’est-à-dire de ce qui apparaît tel aux yeux et aux oreilles de quelqu’un? Si cela est vrai, le contraire du nouveau ne sera pas l’ancien, qui est défini par une durée d’existence, mais l’habituel et l’usé, qui suggèrent l’appropriation et la familiarité.

b) Traits rhétoriques de la métaphore

Pour faire une place à la notion de nouveauté au sein de l’analyse de la métaphore, nous avons commencé de délaisser la linguistique au profit de l’impression du lecteur. C’est en fait vers la rhétorique que nous nous dirigeons, dont la visée irréductible, la persuasion, exige de théoriser l’appréciation subjective des personnes auxquelles est adressé le discours. Trois traits rhétoriques du discours, que Ricœur déniche dans la

Rhétorique d’Aristote, intéressent sa philosophie de la métaphore. Il nous faut

préalablement souligner que cette analyse s’affranchit en partie de l’intention de la rhétorique Ŕ persuader (rappelons au passage que la notion de « persuasion » est aussi

169 Gérald HESS, « L’innovation métaphorique et référence selon Paul Ricœur et Max Black : une antinomie

philosophique », Revue philosophique de Louvain, vol. 102, no. 4 (novembre 2004), p. 644.

75 mobilisée par Aristote dans sa Poétique) Ŕ pour se tourner vers la perception du lecteur; ce en quoi elle s’applique à la métaphore poétique puisque le langage poétique, sans doute, cherche aussi à produire certains effets et pas seulement à transmettre une « simple description de ce qui est donné là171 ».

La première de ces caractéristiques a trait à la clarté et la hauteur de l’élocution (dont la métaphore fait partie). En effet, le langage doit être facilement saisissable tout en étant élégant et noble, c’est-à-dire dans un style élevé172. Cette élégance relève d’une certaine étrangeté introduite dans le langage; or, ce sont les mots communs et courants qui sont les plus clairs. Il faut donc qu’un juste équilibre s’instaure entre nouveauté et banalité pour que « l’art se dérobe » (1404b32), c’est-à-dire soit présent et subtil sans être empesé. Muni d’une permission d’Aristote173, nous complétons cette explication par une citation tirée de la Poétique :

Ce qui contribue pour une grande part à la clarté de l’expression sans qu’elle soit pourtant triviale, ce sont les allongements, les raccourcissements et les modifications des mots, car l’écart par rapport à l’usage courant allant à l’encontre de l’habitude évitera la trivialité, tandis que ce qu’ils auront de commun avec l’usage habituel produira la clarté (1458b1-5).

Le second attribut rhétorique du discours Ŕ qui mêle des considérations sociologiques Ŕ est lié à la convenance, que nous avions déjà rencontrée dans notre analyse de la Poétique : l’élocution doit être appropriée à son sujet selon une « juste proportion » (1408a10)174. Le ton et l’art déployés dans le discours doivent être à la hauteur du sujet et des circonstances traités, ce qui a pour effet de rendre le sujet en question probable. C’est là une des composantes de la règle de vraisemblance notamment chère au classicisme français. Lorsque ce n’est pas le cas, l’inconvenance devient sensible, comme lorsqu’on fait « parler le beau langage à un esclave ou à un tout jeune homme, ou qu’on l’applique à des sujets tout à fait secondaires » (1404b17-18). Pour tenter une transposition sommaire dans le

171 Ibid., p. 61.

172 La métaphore contribue à ce rehaussement : « la substitution d’un mot à un autre donne à l’élocution une

forme plus élevée » (ARISTOTE, Rhétorique, trad. C.-E. Ruelle, Le livre de poche, Paris, 1991, p. 302, 1404b9).

173 « Quant à ce qui a pour effet de lui ôter la bassesse et de lui donner de l’élégance, ce sont d’autres termes

qui ont été expliqués dans le traité de la Poétique » (1404b8).

174 Rappelons en outre que la tragédie se définissait dans la Poétique comme l’imitation d’une action noble et

achevée, et ce dans un langage relevé d‟assaisonnements. L’hypothèse interprétative de Ricœur, qui aura des répercussions au niveau de la référence métaphorique, est que le registre de langage doit correspondre à celui de l’action imitée.

76

domaine théâtral, un registre de langue extrêmement soutenu pourrait paraître dissonant dans la cuisine de Germaine Lauzon, où se prépare le vol de timbres dans Les Belles-Sœurs, tout comme l’expression en argot populaire de la vengeance se tramant à la cour royale du Danemark dans Hamlet pourrait, ceteris paribus, avoir pour effet de tourner la pièce en comédie175.

Le dernier trait que nous souhaitons mettre en lumière est le plus important dans le cadre de la présente recherche. Celui-ci concerne la surprise : « Voilà pourquoi il faut donner au langage un cachet étranger, car l’éloignement excite l’étonnement, et l’étonnement est une chose agréable » (1404b11-12). Cette affirmation contient deux propositions. Premièrement, pourquoi l’éloignement excite-t-il l’étonnement? Justement parce qu’étant hors de l’ordinaire, inhabituel, inusité, cet écart par rapport au commun provoque le dépaysement et avive l’attention. L’inhabituel a le caractère de l’exception et de la rareté, et ressemble en cela au véritable nouveau, celui qui surprend176. La surprise et l’étonnement paraissent à leur tour devoir être compris par rapport à l’inattendu, au non préparé, au sens où ils prennent place là où ils ne correspondent pas à ce qui est attendu, voire là où il n’y a rien d’attendu. Deuxièmement, en quoi l’étonnement comporte-t-il une part d’agrément? Il faut à l’évidence lier celle-ci au plaisir d’apprendre dont il est question dans la Poétique. Apprendre et connaître ne sont-ils pas des activités intimement liées à la nouveauté? Est-il possible d’apprendre quelque chose qui ne recèle pas quelque élément neuf aux yeux de l’apprenant? Le problème se laisse reformuler dans les termes du paradoxe du Ménon, considéré en son aspect épistémologique : peut-on connaître quelque chose dont on ne sait absolument pas ce que c’est; et d’autre part, pourquoi chercher à connaître quelque chose que l’on sait déjà? La solution Ŕ mythique Ŕ platonicienne présente une avenue médiane où le savoir a été possédé avant que d’être perdu dans l’oubli. Des traces subsistent toutefois en nous et nous permettent, notamment au choc du sensible, de retrouver ce savoir, de se ressouvenir, de re-connaître. Telle est aussi la situation délicate de

175 Ce risque, appliqué à la tragédie de son temps, est relevé par Aristote à propos de Cléophon (1408a13). 176 Connivence entre nouveauté, surprise et création qui est aussi aperçue par Freud dans Le mot d‟esprit et

ses rapports avec l‟inconscient de 1905 : « En second lieu, nous comprenons cette particularité du mot

d’esprit, qui consiste en ce qu’il ne réalise son plein effet sur l’auditeur que lorsqu’il a pour lui le charme de la nouveauté, lorsqu’il le surprend. Cette propriété, responsable de la vie éphémère des mots d’esprit et de la nécessité d’en créer sans cesse de nouveaux, tient apparemment à ce qu’il est dans la nature même de la surprise ou du traquenard de ne pas pouvoir réussir une seconde fois » (trad. M. Bonaparte, 1930, p. 136 [En ligne]).

77 la nouveauté, qui sera celle de la métaphore vive : bien qu’encore inouï, le nouveau doit entretenir une certaine parenté avec ce qui est déjà connu; il doit s’inscrire, pour être saisi

en tant que nouveau, dans un réseau d’attentes et de vécus déjà établi; il doit déroger à une

norme. Il n’y a pas de nouveau sans ancien et vice-versa. Il n’y a pas non plus de vérité poétique sans fiction, dirons-nous.

Le recoupement entre étonnement et apprentissage via l’agrément qu’ils provoquent est autorisé par le Stagirite lui-même qui, un peu plus loin dans la Rhétorique, écrit :

Le fait d’apprendre aisément est naturellement agréable pour tout le monde; or les mots ont toujours une certaine signification et, par suite, tous les mots qui contribuent à nous enseigner quelque chose sont les plus agréables. Mais le sens des mots étrangers reste obscur et, d’autre part, celui des mots propres est chose connue. La métaphore [proportionnelle] est ce qui remplit le mieux cet objet; car […] [elle] produit un enseignement et une notion par le genre (1410b10- 15).

Ce qui peut être appris se situe à son tour entre l’étranger et le familier, entre l’inconnu et le connu. La métaphore, est-il dit, instruit par la formation d’un genre. Dans l’exemple « la vieillesse est un crépuscule », la vieillesse et le crépuscule sont soudainement rapprochés parce qu’ils se trouvent tous deux à la fin Ŕ respectivement de la vie et de la journée. La suture des mots est effectuée par le poète, mais c’est au lecteur de reconnaître la paroi sémantique commune; à lui de produire, à partir des propriétés spécifiques qu’il sait appartenir à chaque objet, un genre qui les unit. La surprise, qui est aussi une réaction courante à la question socratique, a cette faculté d’induire la perplexité et, avec elle, le désir de chercher et de faire sens. C’est dans ce sillage qu’Aristote affirme la supériorité de la métaphore sur la comparaison, que Ricœur résume ainsi : « plus ramassée, plus brève que la comparaison [en ce qu’elle escamote le marqueur de l’analogie “comme”], la métaphore surprend et donne une instruction rapide; c’est dans cette stratégie que la surprise, jointe à la dissimulation [de ce marqueur de comparaison], joue un rôle décisif177 ». Un pas déterminant en direction d’une formulation positive du savoir propre à la métaphore est ainsi franchi.

Se rattache enfin à ce troisième trait rhétorique de la métaphore que celle-ci « met sous les yeux » [pro ommatôn poieî] (1410b33), comme le traduit maintes fois Ricœur. Elle « fait voir », ce qui n’est pas sans lien avec sa disposition à donner à faire l’expérience vive

78

de ce qu’elle exprime. Elle dépeint les choses sous l’angle de leur rapprochement en faisant voir l’une « comme » l’autre (la vieillesse comme un crépuscule, par exemple). Ce « voir comme », sur lequel nous reviendrons, peut « échouer, comme dans les métaphores forcées, parce qu'inconsistantes ou fortuites, ou, au contraire, comme dans les métaphores banales et usées; réussir, comme dans celles qui ménagent la surprise de la trouvaille178 ». L’inconsistance et le fortuit séparent les « bonnes » des « mauvaises » métaphores. Singulièrement plus intéressants pour notre étude sont les cas et les caractéristiques qui distinguent la métaphore morte de la métaphore vive. La métaphore morte a déjà été vivante; si elle ne fait plus rien voir, c’est parce que la tension entre le sujet et le modificateur ne se fait plus sentir, sa banalité empêchant toute surprise. L’usage l’intègre graduellement au lexique disponible de la langue. Un sentier permettant de restaurer la pertinence sémantique de l’énoncé a été suffisamment foulé pour qu’il soit balisé et facilement accessible179. La métaphore vive demande au lecteur un travail de défrichement et d’invention : le résultat de la recherche de sens prend alors les traits de la trouvaille.

N’y a-t-il pas un paradoxe à parler simultanément d’invention et de trouvaille, de vraisemblance/convenance Ŕ qui se rapportent à des attentes remplies Ŕ et de surprise Ŕ qui bouleverse ces attentes? Depuis le début de ce mémoire, la métaphore se tient en équilibre sur à peu près toutes les lignes de faille des distinctions évoquées : entre mot et phrase, sens et événement, identification et prédication, etc. Il en va de même ici. La prédication métaphorique doit répondre à des exigences rhétoriques opposées : elle doit être neuve mais appropriée, étrange mais évidente, surprenante mais satisfaisante. On reconnaît la métaphore réussie lorsqu’elle « met sous les yeux » et, pourrions-nous même dire, lorsqu’elle « saute » aux yeux. Le rapprochement qu’elle inaugure est si juste qu’il paraît évident, et l’invention prend les traits d’une découverte qu’on ne peut plus ignorer.

c) Le travail de l’interprétation

Avancer que la métaphore est le fruit du travail de sens opéré par le lecteur revient à accorder à l’interprétation une place prépondérante. L’intitulé d’un article de 1972, qui

178 Ibid., p. 270.

179 Il faut bien spécifier qu’« un » ou « quelques-uns » de ces sentiers de sens sont tracés; rien n’empêche que

des métaphores usuelles comme « l’homme est un loup » causent étonnement et perplexité dans un certain contexte ou poème, et forcent l’ouverture de nouvelles avenues. Leur potentialité de sens est alors ravivée.

79 préfigure et condense La métaphore vive, marque explicitement l’interrelation des deux thématiques : il s’agit de « La métaphore et le problème central de l’herméneutique »180. Cet article place la métaphore dans une relation croisée avec le texte, interrelation qui explicite le cercle herméneutique entre explication et compréhension : la métaphore est la clé de l’explication du texte car, comme nous l’avons souligné en introduction, nous « construisons la signification d’un texte d’une manière semblable à celle par laquelle nous faisons sens avec tous les termes d’un énoncé métaphorique181 »; le texte pris comme un tout est la clé de la compréhension de la métaphore, puisque « certains traits du discours ne commencent à jouer un rôle explicite que lorsque le discours prend la forme d’une œuvre littéraire182 ». À l’explication est ainsi relié le sens immanent à l’unité de langage; la référence est pour sa part rattachée à la compréhension183. Nous n’emprunterons ici aucune de ces deux voies. La seconde est réservée pour la section 3.2., et la première fait de la métaphore un spécimen, un « cas de figure » instrumental dont l’analyse devrait apporter une certaine lumière sur le concept d’interprétation. Là n’est pas notre dessein; nous cherchons inversement à comprendre le rôle de l’interprétation dans la constitution du sens de la métaphore vive.

Avant et après tout encadrement par une discipline ou un canon (que sont diverses formes prises par l’herméneutique), « interpréter » est une action, celle de « donner signification à » ou de « tirer signification de ». Ces sens constituent généralement les premières entrées dans les dictionnaires. C’est à cette acception commune que parait se référer Ricœur lorsqu’il avance que la tension entre le sujet principal et le sujet secondaire au sein de l’énoncé métaphorique est doublée par une tension au niveau des interprétations de cet énoncé, entre d’une part une interprétation littérale qui se bute à une impertinence sémantique, et d’autre part une interprétation métaphorique qui doit composer un sens à partir du non-sens. Pour le répéter en d’autres mots : « Challenged by a live metaphor, the

180 Reproduit dans Écrits et conferences 2 Ŕ Herméneutique, Éditions du Seuil, Paris, 2010, pp. 91-122. 181 Ibid., p. 108.

182 Ibid., p. 112. Nous verrons en 3.2. que le déploiement de la référence de la métaphore demande à ce que

celle-ci soit traitée comme un texte, ou au moins comme un « poème en miniature ».

183 En transposant la distinction frégéenne à l’échelle de l’œuvre, « nous ne nous contentons pas de la

structure de l’œuvre, nous supposons un monde de l’œuvre. La structure de l’œuvre est en effet son sens, le monde de l’œuvre sa dénotation. Cette simple substitution de termes suffit en première approximation; l’herméneutique n’est pas autre chose que la théorie qui règle la transition de la structure de l’œuvre au monde de l’œuvre » (Paul RICŒUR, MV, pp. 277-278).

80

reader is obliged to take the initiative in redefining the word’s meaning and so in defining a world of sense that is constructed through reading or, more broadly, through interpretation184 ». C’est la métaphore vive qui défie le lecteur par son inconsistance, et c’est elle qui demande de « reporter toujours plus loin la frontière du non-sens; il n’est peut-être pas de mots si incompatibles que quelque poète ne puisse jeter un pont entre eux; le pouvoir de créer des significations nouvelles paraît bien être illimité185 ». Mais le lecteur doit être interpellé, il doit « prendre l’initiative » d’attribuer de nouvelles significations aux mots pour que la métaphore lui dise quelque chose. Ces nouvelles significations ne se trouvent pas déjà au sein du code ou de la langue sédimentée, mais sont tirées d’un certain contexte ou, plus radicalement encore, des choses auxquelles réfère ce contexte. D’où le leitmotiv qui rythme La métaphore vive : « Il n’y a pas de métaphore dans les dictionnaires »! Tant qu’elle est vive, la métaphore demande un travail toujours en cours, continuellement recommencé; elle est comme à chaque fois nouvelle puisque son caractère événementiel prime sur toute lexicalisation.

Interpréter, c’est-à-dire faire sens de l’énoncé métaphorique, revient ici à tirer une intelligibilité d’un divers en apparence inconciliable. Mais la question demeure : comment donner sens? L’interrogation demande à ce que soient mis au jour les mécanismes à l’œuvre dans la construction même de cette intelligibilité. Ricœur, sur ce sujet, s’en remet à l’analyse de Monroe Beardsley qui assoit cette construction sur une logique composée de deux principes186. Le premier est celui de sélection ou de congruence : le lecteur de la métaphore doit identifier et retenir, dans le registre complet des significations pouvant être accordées au mot sur lequel se focalise la métaphore, celles qui sont susceptibles de résister dans le contexte énonciatif. Le second est le principe de plénitude, qui vient équilibrer le premier : toutes les significations qui survivent dans ce contexte doivent être attribuées à ce