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Le contexte de renouvellement de l’engagement militant au sein de diverses initiatives économiques nous permet ainsi de réfléchir à notre étude de cas en tant que pratique économique alternative ancrée dans les mouvements sociaux. À titre d’initiative locale impliquée dans son milieu, cette mouvance s’inscrit également au sein d’un renouvellement de la pensée face à la conception même du développement. Ces éléments peuvent ainsi se transposer au sein de la question du développement local dans lequel semble vouloir s’ancrer ce type d’initiative.

Une rupture avec la notion de développement s’opère en Occident au sein des années 1970- 80 avec la crise économique et la période de libéralisation associées au début des années 1980 par les politiques néolibérales instaurées par les États-Unis et la Grande-Bretagne (Décary-Gilardeau, 2007). Parallèlement, cette montée en force des politiques associées à la libéralisation des marchés arrive en conjoncture avec la crise de l’État providence, entraînant un réaménagement profond du rôle de l’État nation au sein de la régulation de l’économie. Cette réorganisation donne davantage de responsabilités aux acteurs locaux pour s’occuper de la reconstruction économique de leurs régions. Une société civile locale de bonne gouvernance se déploie afin d’appuyer le développement d’organisations chargées du développement économique local (Wilson, 1996). C’est dans cette conjoncture que la notion de développement local fait son apparition. Cette mouvance aborde une autre façon de créer des emplois au sein des communautés et vise à lutter contre l’exclusion engendrée par le système économique dominant (Tremblay, 1996) :

Le développement local (…) est l’expression d’un changement social caractérisé par la montée du partenariat, l’émergence d’acteurs différents, la recherche de solutions alternatives à celles des appareils macroéconomiques (États, grands groupes), l’introduction de critères sociaux et culturels à côté de rationalités purement économiques (Tremblay, Klein et Fontan, 2010, p. 35)

La diversité des initiatives locales qui se manifestent dans ce contexte ne doit pas être uniquement abordée selon les caractéristiques contestataires et alternatives mentionnées plus haut. L’objet de notre étude nous permet d’y voir le croisement propre à un type d’initiative locale fortement ancré dans des valeurs socio-environnementales qui s’insère dans les théories du « développement local viable » (Beaudry, 2009). Cette perspective aborde ainsi l’autodéveloppement et le localisme comme éléments de base à sa réflexion :

L’émergence des acteurs locaux et la volonté d’empowerment qui s’expriment au sein du développement local se sont aussi accompagnées d’un « re-scaling » de l’action militante en faveur de l’échelle locale. Le localisme, qui représente une visée de recentrer au niveau local des relations d’échange, de production et de transformation, constitue un thème transversal du développement local. (Ibid, p. 18)

C’est ainsi qu’une initiative locale peut se définir comme un « projet individuel ou collectif » impliquant une diversité d'acteurs, tant sociaux qu’économiques (et dans ce cas-ci également environnementaux), rejoignant l’idée de construction sociale du marché indiquée plus haut. Selon l’approche sociale du développement socioterritorial, une initiative locale est portée par un groupe de personnes ayant une affiliation à un mouvement social et d'acteurs ancrés dans l’action collective ; comme par exemple un groupe écologiste comme les AmiEs de la Terre (Tremblay, Klein et Fontan, 2009).

Le lancement d’une initiative locale est l’étape initiale qui permet aux acteurs concernés d’élaborer un projet sans exactement connaître la composante du produit final. C’est au travers des interactions et des rencontres que ce projet se définit collectivement et en arrive à

mobiliser un plus grand nombre de joueurs. Bien que l’intérêt monétaire soit bien réel, cet élément est surtout révélateur des conditions culturelles qui prévalent au-delà des seules interactions marchandes afin d’y percevoir des préoccupations écologiques et de solidarité (Steiner, 2005). Par la suite, il est possible d’observer de quelle manière l’initiative en question se consolide et s’institutionnalise au sein du territoire. Elle peut ainsi entraîner le développement d’une conscience collective et territoriale favorable à l’empowerment des acteurs.

C’est à partir de ces éléments qu’il devient possible d’évaluer les impacts économiques, sociaux, culturels et environnementaux rendus visibles à partir d’une telle initiative (Beaudry (2009). C’est ce que nous pourrions appeler la « rentabilité sociale » propre à ce genre d’initiative sociale, celle-ci permettant une amélioration de la qualité de vie et du bien-être de la population. Cet aspect peut s’observer tant au niveau des emplois créés qu’au niveau de la qualité de vie démocratique développée et du renforcement du tissu social d’une communauté. Une plus grande reconnaissance sociale propre aux champs professionnel, social et familial des acteurs impliqués est également présente au sein de cette dynamique d’enrichissement sociétal (Marchand citant Honnet, 2009).

Avec l’évolution de telles initiatives, nous observons un paradoxe entre l’émergence d’initiatives localisées, posées en tant qu’alternatives face à l’ordre économique ambiant, et leur insertion progressive au sein du système économique dominant. Cette évolution vers l’institutionnalisation reflète une inscription de l’innovation dans les nouveaux schèmes de pensée ainsi que sa reconnaissance sociale. Ainsi, ce remodelage sociétal a le potentiel de métamorphoser la société dans laquelle cette initiative s’insère tout en opérant par la même occasion une transformation intérieure de l’initiative. Celle-ci évolue ainsi de manière à s’adapter aux contraintes empiriques rencontrées sur son chemin (Fontan, 2011).

Les espaces démocratiques libérés par ces diverses initiatives sont porteurs d’une richesse exceptionnelle. Ils forcent nos sociétés à questionner les paramètres dominants de l’économie politique et travaillent quotidiennement à sa transformation au sein d’un renouvellement des valeurs qui la sous-tendent. La question des circuits courts agroalimentaires s’inscrit de

manière complémentaire dans cette logique d’initiative locale. Malgré le fait que ces derniers ne portent pas nécessairement les caractéristiques des mouvements sociaux décrits ci-haut, ils portent tout de même en leur sein une logique de fonctionnement qui vient remettre en question la logique de mise en vente dans les grandes surfaces telle que nous la connaissons présentement.