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Depuis l’établissement des colonies en Nouvelle-France, le Québec passe d’une agriculture essentiellement de subsistance vers une agriculture intégrée au productivisme agro-industriel. Ce changement s’effectue en quelques décennies. Cette mutation nous plonge dans le contexte global du procès de l’industrialisation ayant lieu en Occident et au sein des diverses colonies des puissances impériales et continentales du capitalisme naissant (Dupont, 2006, pp. 37-38). Cette intégration progressive de l’agriculture au sein de diverses filières de spécialisation n’est donc pas étrangère au processus historique ayant court au sein des entreprises naissantes ayant besoin de main d’œuvre provenant de la campagne pour se développer. Par la même logique, la concentration agro-industrielle assure un approvisionnement en denrées alimentaire au sein d’une intégration de ses diverses chaînes

de production. Le développement de l’agriculture québécoise passe ainsi par différentes étapes historiques qui conjuguent à la fois les tendances mondiales vers la spécialisation et les spécificités québécoises. Parmi celles-ci, nous retrouvons aujourd’hui le secteur coopératif agricole qui est intégré au sein du modèle de mise en marché collectivisé régi par un syndicat agricole centralisé.

Le tournant du XXième siècle au Québec voit une transformation progressive du paysage agricole sous la forme d'une coopérativisation des activités agricoles, un mouvement fortement soutenu par l’Église catholique québécoise, par l’État et par les agriculteurs représentés par l’Union des cultivateurs catholiques (fondé en 1924) (Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, 2007). Globalement, le contexte de la grande dépression et de la Deuxième Guerre mondiale entraîne des modifications profondes dans les modes d’organisation de l’économie politique, celle-ci se tournant progressivement vers le keynésianisme (l’État) ainsi que le fordisme (le marché) comme mode industriel de production intégrée à la grande entreprise. Dans le secteur de l’agriculture canadienne, cela se traduit dès les années 1930 par l’existence de diverses filières de spécialisation au sein de l’agriculture (Dupont, 2006, pp. 114-115). Parallèlement, le gouvernement canadien apporte une mécanisation substantielle de l’agriculture et rationalise la production en la compartimentant selon les diverses régions du Canada, y intégrant de plus en plus les intrants mécaniques et chimiques nécessaires à l’augmentation de la productivité (Silvestro, 2009).

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les efforts de reconstruction entraînent des fluctuations importantes dans le prix des denrées alimentaires, au point où l’économie agricole entre en période de crise au début des années 1950 (Dupont, 2006 ; Silvestro, 2009). C’est dans ce contexte et avec ses particularités historiques que l’agriculture québécoise fait son entrée dans le productivisme agricole, époque à laquelle un comité d’enquête pour la protection des agriculteurs et des consommateurs (Commission Héon de 1951) est mis sur pied et dépose un important rapport en 1955. Les recommandations de la commission d'enquête se déclinent en deux points importants : (1) mettre en place des plans conjoints agricoles, revendiqués depuis longtemps par l’UCC (Poirier, 2010, pp. 23-25) ; (2) favoriser une baisse drastique du nombre de fermes québécoises (officieusement de 70%). L'idée était

de permettre une intégration plus substantive de l'agriculture québécoise au sein de l’économie agricole capitaliste (Décary-Gilardeau, 2007, p. 32). L’entreprise de modernisation de la production agricole et son industrialisation s'inscrit dans le développement d'une consommation de masse des produits agricoles. Celle-ci se fait au profit d’une plus grande efficacité des filières agricoles, mais toujours plus aux dépens des éleveurs et des cultivateurs, qui voient le poids de leur endettement prendre de l’ampleur et qui doivent de plus en plus fermer les portes de la grange pour déménager en ville.

L’élan caractéristique de modernisation de la société québécoise des années 1960 se concrétise avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement libéral de Jean Lesage. Le nouveau ministère de l’Agriculture de l’époque affirme qu’il y a deux fois trop de fermes au Québec, s’inscrivant ainsi en rupture avec l’idéal d’occupation du territoire par le travail de la terre, tout en étant en continuité avec l’esprit du rapport Héon de 1956 (Dupont, 2006, p. 111). Les objectifs de l’État se caractérisent alors par l’instauration d’une série d’institutions au sein de la politique industrielle québécoise ayant entre autres comme visée la « transformation des entreprises familiales en entreprises modernes » (Bourque, 2000, p. 43). Par ailleurs, les experts de l’agriculture font leur entrée massive avec l’arrivé de l’État centralisateur des années 1960. Ces agronomes professionnels s’immiscent dans les différents corps institutionnels du monde agricole (Coop Fédérée, l’UCC, le ministère) avec comme dessein de remplacer le « laisser-aller économique » des campagnes par une « prise en charge par les experts technocratiques du monde agricole » (Dupont, 2006, pp. 109-110). C’est à cette époque que la ferme familiale subit de grandes transformations. Elle fait plus de place aux productions agricoles spécialisées et le fermier devient un producteur quasi industriel. Ainsi, la concentration des terres agricoles s’amplifie, de même que l’exode rural.

La consolidation du modèle agro-industriel québécois se poursuit au sein des années 1970 avec la reconversion de l’ancienne Union des cultivateurs catholiques en appareil unique de représentation syndicale au sein de l’Union des producteurs agricoles en 1972. Au fil des années, ce syndicat soutient la concentration des fermes agricoles et leur compétitivité tout en consolidant le modèle particulier du Québec et son mode de gestion de l’offre en tentant de le protéger face à la concurrence mondiale grandissante (Bouchard, 2002). Ce modèle de mise

en marché vise à protéger les producteurs d’ici. Il ne prévient cependant pas le secteur agricole du mouvement de forte concentration des entreprises. Au contraire, il est observé que le quart des producteurs soumis aux plans conjoints disparaissent au courant des premières années de son implantation (Silvestro, 2009). Même les politiques mises de l’avant pour favoriser l’autosuffisance alimentaire du Québec à la fin des années 1970, sous l’égide nationaliste du Parti Québécois dans un contexte de régionalisation de certains secteurs de l’économie québécoise, ne vont pas empêcher l'hémorragie démographique. De 1981 à 2001, c’est environ quinze fermes par semaine qui disparaissent du paysage québécois (Dupont, 2006, p. 119). Les caractéristiques de l’évolution des fermes à cette époque révèlent à la fois une diversification de leurs productions, avec par exemple une augmentation des productions de porcs, moutons, bovins, céréales et oléagineux ; et une augmentation de la spécialisation des fermes qui se consolident autour de ces productions. Bref, il y a une augmentation des monocultures et du mono-élevage. Le phénomène de concentration des fermes se caractérise ainsi par une augmentation des dépenses d’intrants agricoles, mais également par une diminution des revenus bruts, entraînant ainsi une diminution des revenus totaux et une augmentation de l'endettement (Dupont, 2006). Cette tendance prend une tournure particulièrement alarmante au courant de la décennie 1990.

2.2 Intégration de l’agroalimentaire au sein de l’échiquier mondial : les années 1980