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L’influence structurelle du contexte opérationnel sur la pratique policière

2.3 Cadre théorique

2.3.1 L’influence structurelle du contexte opérationnel sur la pratique policière

cadre théorique qui nous permettra ultérieurement de formuler notre problématique de recherche. Des concepts et des théories issus des domaines de la sociologie et, plus particulièrement, de la sociologie de la police nous seront utiles afin d’établir la l’assise de notre réflexion. Cette toile de fond, lorsque croisée avec les observations sur les opérations de paix présentées précédemment, est en quelque sorte la bougie d’allumage de nos travaux.

Lorsque Monjardet (1985) constata que les policiers avaient, dans le cadre de leur travail, la latitude de choisir entre une infinité de tâches ainsi que la possibilité de choisir de quelles façons elles seront performées, il fut conduit à se questionner de manière plus approfondie sur les déterminants43 de cette action policière. À la suite de ce questionnement, il constata qu’il n’arriverait à ses fins que s’il prenait en compte chacune des dimensions de la condition policière soit : la situation de travail, le rapport à l’environnement, le rapport à l’évènement qui suscite l’action ainsi que les caractéristiques individuelles et collectives des exécutants. Ainsi analysé, le travail policier peut donc être conçu comme une action influencée par plusieurs dimensions. Dans le cadre de cette étude, nous nous attarderons à l’une de ces dimensions qui semble particulièrement structurante dans le contexte des opérations de paix. Ainsi, de nombreux chercheurs s’accordent sur le fait que l’action de police soit dictée, entre autres choses, par la situation dans laquelle elle se déploie.

À cet effet, les outils développés par Pierre Bourdieu apparaissent particulièrement utiles et pertinents. Selon Bourdieu, la pratique culturelle est définie comme étant le

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Le terme « déterminants de l’action policière » fait référence aux différentes variables qui vont interférer dans le raisonnement sélectif des policiers à savoir s’ils feront telle ou telle tâche, et de telles ou telles manières.

résultat de l’interaction entre des dispositions culturelles (habitus44) et des positions structurelles (champs45). La notion de champ est expliquée par Bourdieu comme étant un espace social dans lequel sont confrontés différents acteurs qui vont modifier la structure du champ par leurs actions (Chan 1997; Champagne et Christin 2004). À titre d’exemple, dans le cadre de notre recherche, le théâtre d’opérations d’Haïti pourrait représenter un champ au même titre que le contexte opérationnel domestique québécois. L’habitus, quant à lui, génèrerait des stratégies permettant à un policier de faire face à des situations données dans un Champ structurel précis, qui est lui-même l’élément déclencheur de cet habitus (Wacquant 1992 : 18 cité dans Chan 1997). On remarque que la notion d’habitus policier s’apparente au concept d’« éthos constabulaire » proposé par Brodeur (1998) dans ces travaux. Selon ce dernier, l’éthos constabulaire serait la culture professionnelle policière, qui elle est composée des principes, des croyances et des valeurs qui guident l’action des policiers sur le terrain.

Bien que le modèle de Bourdieu ait été repris par plusieurs chercheurs, il n’en demeure pas moins que ces derniers ne nient pas l’élément relationnel existant entre le champ et l’action pratique (Chan 1997). Les travaux de Manning (1978) viennent eux aussi souligner l’importance du contexte situationnel dans l’action policière. En effet, il soutient que la décision d’agir s’appuie sur l’expérience et le sens commun du policier et se justifie finalement par le contexte situationnel dans lequel la décision prend place (Manning 1978 cité dans Tanner 2010). Quant à Monjardet (Brodeur et Monjardet 2003), il décrit les pratiques singulières des policiers comme étant des modes d’adaptation à des contraintes externes, étant elles-mêmes associées au contexte et à la situation dans laquelle la pratique prend place. Tanner (2010) abonde aussi dans le même sens lorsqu’il affirme que la connaissance lexicale et les

44 L’Habitus serait un système de référence inscrit dans le corps des hommes de façon inconsciente. C’est une subjectivité socialisée, un système de disposition ouvert qui est constamment confronté aux expériences personnelles des individus et donc, qui est modifié par celles-ci (Champagne et Christin 2004).

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Les champs sont des sous-univers sociaux qui se constituent avec leurs propres références, leur histoire spécifique, leur mode de recrutement, leurs enjeux particuliers et leur capital spécifique (Champagne et Christin 2004).

catégories opérationnelles qui permettent à la police d’agir sont tributaires de la sphère, ou du champ dans lequel le policier a été formé et socialisé à son métier (Tanner 2010).

Selon ces différents modèles conceptuels, l’action de la police, via le développement d’un éthos constabulaire, serait donc structurée/influencée, jusqu’à un certain point, par le champ dans lequel elle s’actionne. Ainsi, il nous est possible de postuler que si deux champs sont réellement différents, ils devraient conduire à des actions policières différentes. En effet, il serait logique de croire que le fait de faire la police dans une métropole nord-américaine ne conduirait pas au développement des mêmes habitus que le fait de faire la police dans un pays autoritaire d’Afrique. Issu de cette réflexion, voici un schéma représentant notre premier postulat :

Figure 1

Dans la présente recherche, si la situation à Haïti diffère réellement de la situation au Québec, il serait rationnel de penser que le contexte opérationnel d’Haïti produirait des actions policières différentes de ce que le contexte québécois pourrait susciter.

Toutefois, dans le but de vérifier cette hypothèse, il nous sera nécessaire de croiser ces deux théâtres d’opérations afin de s’assurer qu’ils présentent suffisamment de différences pour être considérés comme des champs bien distincts. C’est à cette démonstration que seront consacrées les prochaines pages.

Étant donné que notre recension des écrits nous a permis d’opérer une première définition du contexte opérationnel des opérations de paix46, il ne nous reste plus qu’à définir le contexte de travail des policiers au Québec. Il existe suffisamment de recherche sur la police pour nous permettre de présenter une description générale de l’action de police dans un contexte tel que celui du Québec.