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Failles organisationnelles reliées à la participation policière aux opérations

2.2 La participation policière aux opérations de paix

2.2.8 Failles organisationnelles reliées à la participation policière aux opérations

aux opérations de paix qui ne sont pas nécessairement métabolisés par l’organisation participante. Plus précisément, il existe des retombées positives potentiellement exploitables par les organisations participantes qui demeurent non utilisées ou non réinvesties par ces dernières. En ce sens, Dupont et Tanner (2009) dépeignent les missions de police civile sous un tout autre angle de vue. En effet, ceux-ci ont étudié ces missions sous une perspective temporelle et organisationnelle plus élargie que la

perspective opérationnelle habituellement choisie pour étudier le sujet. Leur article traite, dans un premier temps, du processus de sélection et de préparation en vue d’un déploiement et, dans un deuxième temps, du processus de réintégration des policiers revenant de mission. L’étude traite, entre autres, des problématiques internes des corps policiers quant au déploiement et à la réintégration des policiers participant aux missions de maintien de la paix de l’ONU. Les conclusions de cette recherche nous indiquent que les organisations policières portent énormément d’attention à la phase précédant le déploiement du policier, mais que la phase de réintégration suscite très peu d’attention. À la suite de ce raisonnement, les auteurs constatent l’échec général des organisations policières à tirer profit des compétences et de l’expérience acquises par leurs policiers pendant leur participation à des missions de l’ONU. Cette constatation est intéressante puisqu’elle est en parfaite contradiction avec ce qui est véhiculé par la GRC au sujet du programme policier d’opérations de paix internationales40. En effet, la GRC affirme qu’en retour de la participation à des missions de maintien de la paix de l’ONU, « les services de police canadiens profitent de ces expériences en disposant de policiers plus forts dans certains domaines, notamment le leadership, la résolution de problèmes et la capacité d’interagir plus efficacement avec diverses cultures »41. Les conclusions de l’étude de Dupont et Tanner ouvrent donc la porte à des recherches plus approfondies au sujet des bénéfices que retirent les organisations policières qui participent aux missions de l’ONU.

Ces observations sont en adéquation avec les réserves que nous avons émises au sujet du développement des ressources humaines dans une section précédente. En effet, quand la majorité des services de police s’accordent pour dire qu’ils bénéficient de meilleurs policiers au retour des missions, très peu nous confirment empiriquement le processus par lequel ces policiers sont transformés. Timothy Donais (2004) fait quant à lui des constats similaires quant au processus de

40 À noter que cette information est issue d’une section du site web de la GRC visant à faire la promotion des missions internationales. Étant donné l’objectif de ce site, Il est normal de retrouver des commentaires louangeant les bienfaits des opérations de paix.

participation du Canada aux opérations de paix. « Tandis que les policiers canadiens sont, et continuent d’être, largement respectés outre-mer pour leur professionnalisme, les mécanismes canadiens pour identifier, préparer et déployer les policiers pour le travail post-conflit continuent d’être largement ad hoc et provisoires. » (Donais 2004 : 4)42.

Certaines conclusions issues d’un rapport écrit par Lebrun et Laforge (2006) s’inscrivent dans la voie qu’ont ouverte Dupont et Tanner. Les auteurs cherchaient à évaluer l’impact de la participation aux missions de l’ONU sur les policiers participants et sur leurs supérieurs immédiats au Québec. De façon générale, les entrevues téléphoniques montrent que la participation de la SQ à ces missions est perçue de façon très positive. Toutefois, la conclusion qui nous intéresse est le fossé qu’ont découvert les auteurs entre les perceptions des participants aux missions et celles de leurs supérieurs immédiats quant à la question des compétences développées en mission et leur application au Québec. En effet, la majorité des policiers ayant participé à des missions jugent avoir développé et/ou acquis des compétences dans le cadre de leur déploiement. De plus, la moitié d’entre eux affirment utiliser ces compétences dans le cadre de leur travail au Québec. Quant aux supérieurs immédiats, ils ne reconnaissent pas ces compétences et prétendent que l’expérience acquise en mission ne s’applique pas au Québec. Cette rupture entre les perceptions est certainement l’une des manifestations d’un problème plus profond. À notre avis, le fait que les gestionnaires ne reconnaissent pas les compétences développées en mission vient renforcer la conclusion tirée par Dupont et Tanner au sujet de l’échec des organisations à tirer profit de l’expérience acquise par leurs policiers avec l’ONU.

Selon nous, ces divergences de perception pourraient très bien provenir de caractéristiques propres à la structure organisationnelle des corps policiers. En effet, ne pourrait-on pas attribuer cet écart de perception aux concepts d’inversion hiérarchique et d’absence d’encadrement fonctionnel? À notre avis, l’écart de

42 Traduit de l’anglais.

perception illustré dans le rapport de Lebrun et Laforge est possiblement attribuable à la position qu’occupe le gestionnaire policier par rapport à ses subalternes. Tel que Monjardet (1996) le mentionne, l’une des caractéristiques du fonctionnement des institutions policières est la présence d’une inversion hiérarchique dans sa structure. En effet, malgré l’existence de règles formelles, Monjardet note que très peu de policiers se conforment à celles-ci et que les policiers possèdent une très grande marge de manœuvre face à ce qu’ils peuvent ou doivent faire. Le phénomène d’inversion hiérarchique force les gestionnaires à s’adapter aux actions de leurs patrouilleurs. Cette particularité est notamment attribuable au fait que les policiers sont souvent seuls et non supervisés dans le cadre de leur travail (Monjardet 1996 ; Fielding 1984). Dès lors, de quelle façon les supérieurs immédiats de policiers ayant participé à des missions de paix peuvent-ils juger adéquatement du fait que leurs policiers ont développé, ou non, des compétences et qu’ils les utilisent dans le cadre de leur travail? En fonction de la supervision limitée qu’ils ont sur le travail de leurs policiers au Québec, la perception des gestionnaires sur la question des compétences peut difficilement représenter la réalité. Étant donné la position des gestionnaires et le choix de cet échantillon par les auteurs, il semble que l’écart de perception découvert par Lebrun et Laforge soit tout à fait normal. En définitive, il apparaît essentiel d’effectuer une étude plus approfondie sur la question du développement et de l’utilisation des compétences développées par les policiers en mission de maintien de la paix.

Étant donné que la présente recherche porte plus spécifiquement sur la participation des policiers de la Sûreté du Québec à la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH), nous traiterons cette dernière en détail dans les prochains chapitres. Il convient toutefois de garder à l’esprit que notre étude porte spécialement sur cette mission de paix.