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l’émergence du « problème haïtien » dans l’espace Atlantique

Chapitre 2. Régimes de pouvoir et catégories raciales : historiciser la production du politique raciales : historiciser la production du politique

B. L’indépendance, ou la permanence de modes de gouvernementalité racialisés

Les conflits autour de la question raciale et identitaire se poursuivent durant et après le processus de décolonisation. En effet, le départ des Britanniques ne signe pas tant la fin des régimes de domination raciale que leur recomposition. De ce point de vue, l’invocation de la « race » - ou la négation de son existence – s’imposent comme un enjeu politique de premier plan durant la deuxième moitié du XXe siècle.

1. Le poids de l’héritage colonial : la mise en place du système de Westminster

La nouvelle donne politique qui émerge en 1938 marque le début de la « décolonisation institutionnelle », processus qui amorce la marche de la Jamaïque vers l’indépendance et pose les bases de son système politique contemporain589. Cette période

587 Nigel Bolland, On the March: Labour Rebellions in the British Caribbean, 1935 -9, op. cit., p.40. Notre traduction. Pour une synthèse efficace de l’idéologie de Marcus Garvey et de son héritage politique, voir Barry Chevannes, “Healing the Nation: Rastafari Exorcism of the Ideology of Racism in Jamaica”, Caribbean Quarterly, vol. 36, n° 1/2, 1990, pp.66-68.

588 Nigel Bolland, On the March: Labour Rebellions in the British Caribbean, 1935-9, op. cit., p.135. Pour un passage en revue détaillé de ces événements, outre l’ouvrage précité de Bolland, voir la partie 3 de Ken Post, Arise Ye Starvelings: the Jamaican Labour Rebellion of 1938 and its Aftermath, London, Institue of Social Studies, 1979.

589 Anthony Payne, “Adaptations et ajustements du système de Westminster : L’ordre politique dans la Caraïbe anglophone”, op. cit., pp.49-50.

est marquée par l’apparition de nouveaux modes de gouvernementalité où les rapports entre groupes sociaux, s’ils sont redéfinis, n’en sont pas moins régis par des relations asymétriques fondées sur des critères raciaux. Explorer les conditions d’émergence de cette nouvelle rationalité politique nous permettra de mieux comprendre pourquoi, en Jamaïque, l’accession à l’indépendance ne conduit pas à la fin des inégalités raciales.

Durant les grèves de 1938, deux dirigeants de syndicats issus de la classe moyenne mulâtre, Alexander Bustamante et Norman Manley, s’imposent rapidement comme les leaders de la majorité noire. Contestant les structures du pouvoir colonial, engagés en faveur de l’amélioration des conditions sociales de la population, ils gagnent le soutien des ouvriers et des paysans qui les voient comme leurs porte-paroles auprès des Britanniques. Le mouvement de 1938 permet également la mise en place des premières organisations politiques capables de prendre en charge les revendications anticoloniales exprimées dans l’espace public. Bustamante fonde ainsi son propre syndicat en mai 1938, le BITU (Bustamante Industrial Trade Union), tandis que Manley contribue à la création du premier parti politique moderne jamaïcain en septembre 1938, le PNP (People’s National Party).

Si Manley et Bustamante, qui sont par ailleurs cousins, militent ensemble lors de la grève de 1938, des dissensions se font progressivement sentir entre eux. Alors que Manley s’inscrit dans un socialisme inspiré du travaillisme britannique et prône une autonomie renforcée de la Jamaïque, Bustamante affiche sa proximité avec les milieux d’affaire locaux et apparait plus conservateur sur la question de l’indépendance. Ces oppositions entre le BITU et le PNP atteignent un point de non -retour en 1943, lorsque Bustamante décide de créer le Jamaica Labour Party (JLP). De son côté, Manley renforce ses liens avec le Trade Union Congress, une union syndicale de gauche. Dès le début des années 1940, la Jamaïque est ainsi dotée de deux grands blocs parti -syndicats, menés par deux dirigeants charismatiques suscitant l’enthousiasme des foules. Malgré ce moment de rupture qui consacre la bipolarisation de la vie politique jamaïcaine, Manley et Bustamante partagent un certain nombre de valeurs communes. Tout en con testant les injustices sociales, ils proclament les valeurs idéales de la nation colonisatrice et respectent l’ordre établi. Ils envisagent de s’emparer du pouvoir local, mais jamais de le démanteler. Ils affichent leur croyance au progrès social, aux politiques sociales engagées par l’État et aux principes démocratiques. Les techniques de mobilisation des

deux dirigeants, érigés en porte-parole des déshérités, empruntent aux appels prophétiques et les pare d’une aura religieuse590. Par ailleurs, le PNP et le JLP, ainsi que la classe moyenne dont émanent leurs directions respectives, constituent l’unique porte -voix de la majorité noire591. Cette relation asymétriques entre les couches défavorisées et la petite bourgeoisie constituera le terreau d’un clientélisme politique en devenir. Les différents éléments évoqués ici s’avèrent donc cruciaux dans la formation de l’espace politique national jamaïcain et marquent durablement la mise en place de l’architecture institutionnelle qui mène le pays vers l’indépendance.

À l’image des partis politiques dominés par les classes moyennes mulâtres, la direction du processus de transition s’avère largement canalisée par le colonisateur. Chacune des étapes de la décolonisation opérées durant les années 1940 -1950 – la mise en place du système ministériel, l’établissement d’un conseil des ministres et d’un Cabinet ministériel, le renforcement des pouvoirs des institutions locales – prend par conséquent davantage la forme d’un geste généreux des Britanniques que d’une conquête de la population locale592. L’édification d’un système politique calqué sur le modèle britannique est notamment facilitée par le fait que les élites locales, formée dans les universités anglaises, adhèrent pleinement à ses normes. L’adoption du système de

Westminster parait si naturelle que celui-ci est largement considéré comme autochtone et

non importé de l’extérieur593. Trois facteurs contribuent à ancrer le principe d’élections libres, compétitives et régulières comme mode de désignation incontesté des représentants politiques : l’instauration du suffrage universel dès 1944, de sorte que le vote constitue déjà une pratique enracinée lors de l’indépendance ; l’institution des partis de masse comme vecteurs structurants de la vie politique et comme porte -paroles des déshérités ; le principe d’une alternance au pouvoir entre les deux partis dominants, l’acceptation des défaites électorales étant favorisée par la possibilité d’un retour au

590 Denis-Constant Martin, “Culture politique et développement dans les Caraïbes du Commonweal th (Jamaïque, Barbade, Trinidad et Tobago)”, in Justin Daniel, dir., Les îles Caraïbes : Modèles politiques et stratégies de développement , op. cit. pp.257-258.

591 « Le caractère populiste de ces deux partis politiques et la forte fidélité émotionnelle qui anime leur base militante de masse puisent leurs origines dans le rôle qu’ils ont joué dans la démocratisation du système politique jamaïcain dans une société caractérisée par de vifs antagonismes raciaux et sociaux. Aux yeux de la majorité des classes pau vres, ces parties de masse représentaient le seul moyen par lequel ils pouvaient influencer la structure de pouvoir jamaïcaine. » (Carl Stone, “Power, Policy and Politics in Independent Jamaica”, in Rex Nettleford, ed., Jamaica in Independence: Essays on the Early Years, Kingston, Heinemann Caribbean, 1989, p.20.). Notre traduction

592 Anthony Payne, “Adaptations et ajustements du système de Westminster : L’ordre politique dans la Caraïbe anglophone”, op. cit., p.51.

pouvoir dans le futur594. Le processus de décolonisation arrive finalement à son terme lorsque la Jamaïque déclare son indépendance le 6 août 1962, après un référendum marqué par le refus du pays de participer à la Fédération des West Indies. Ce consensus autour du système de Westminster explique la stabilité et la longévité des instit utions politiques jamaïcaines qui, contrairement à de nombreux membres du Commonwealth, sont restées inchangées depuis 1962.

2. Clientélisme et pluralisme multiracial : la construction d’une nouvelle rationalité politique

À la faveur de ces mutations institutionnelles et politiques, s’opère une réorganisation des modes de gouvernement du pouvoir étatique. En effet, la mise en place d’un ensemble d’instruments, de discours et d’institutions disciplinaires – tels que le suffrage universel, la promesse du progrès social et les partis-syndicats – consacrent dès 1944 l’émergence d’une nouvelle rationalité politique595. Celle-ci s’appuie sur deux pivots qui deviennent les principes de conduite prédominants de la culture politique en Jamaïque entre 1944 et 1980 : l’idéologie pluraliste et la démocratie clientéliste.

Le pluralisme multiracial, également nommé « nationalisme créole » dans la littérature scientifique, émerge durant les années 1920-1930 au sein de la classe moyenne mulâtre jamaïcaine596. Il s’institutionnalise avec la création du PNP en 1938 et, sous l’influence de Norman Manley, devient le registre identitaire dominant l’espace politique jamaïcain à partir des années 1940597. Les principes du pluralisme multiracial s’articulent autour de deux axes, directement hérités de l’idéologie de la respectabilité en vigueur au début du XXe siècle : d’abord, l’idée qu’il faut mettre fin au caractère « arriéré » de la nation jamaïcaine par la mise en place d’un gouvernement représentatif et moderne élu par des citoyens responsables ; ensuite que l’accès à la « civilisation » n’est possible que dans l’acceptation du métissage et de la créolisation, définis en termes

594 Paul Sutton, “Politics in the Commonwealth Caribbean: The Post-Colonial Experience”, European Review of Latin American and Caribbean Studies, n° 51, 1991, pp.55-56.

595 David Scott, “Political Rationalities of the Jamaican Modern”, Small Axe, n° 14, 2003, p.20.

596 Sur les origines du nationalisme créole, voir Anthony Bogues, “Nationalism and Jamaican Political Thought”, in Kathleen Monteith and Glen Richards, eds, Jamaican in Slavery and Freedom: History, Heritage and Culture , Mona, University of the West Indies Press, 2002, pp.363-387. L’idéologie nationaliste élaborée à l’indépendance n’a pas de désignation « officielle ». Celle-ci est ainsi est nommée, selon les auteurs qui l’abordent, « nationalisme créole », « nationalisme des classes moyennes », « universalisme créole » ou « pluralisme racial ».

597 Peter Phillips, “Race, Class, Nationalism: A Perspective on Twentieth Century Social Movements in Jamaica” , art. cit., pp.105-106.

d’intégration598. Contrairement aux tenants du nationalisme noir, qui voient une destinée (raciale) commune à tous les descendants d’Africains, les promoteurs du nationalisme créole circonscrivent les frontières de la nation au territoire jamaïcain et s’appuient sur une conception commune de la culture et de l’histoire du pays. Le régime parlementaire, le métissage et la médiation des élites sont construits comme autant de « traditions communes ». L’accent est mis sur l’égalité entre tous les groupes raciaux et sur leur inclusion dans un moule commun, consacrant ainsi l’alliance de 1938 entre classes moyennes et classes défavorisées. L’État est érigé en garant de cet intérêt collectif et pensé comme un rempart face aux divisions sociaraciales599. Cette conception de la nation s’illustre notamment dans la devise de la nouvelle nation : « Out of many, one people600 ».

On le voit, il existe une certaine proximité entre les cadres de la pensée coloniale de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle et les postulats du pluralisme racial, tant parce que ce dernier porte l’ambition de « civiliser » les Noirs et de les transformer en citoyens respectables, que parce qu’il développe une vision de l’exercice du pouvoir relativement proche de celle du colonisateur. Dans le cas du nationalisme créole, la contestation de l’ordre colonial s’avère donc d’autant plus paradox ale qu’elle passe par la réappropriation de certaine de ses normes et la reconduction de ses formes de coercition. En témoigne une célèbre citation de Norman Manley : « Nous sommes toujours un peuple colonial. Les valeurs de la société de plantation préval ent encore. Allons de l’avant et transformons la Jamaïque en un État viable et moderne601. » Tout en reconnaissant les carences du « peuple colonial », Manley pense qu’il est possible de rattraper ce « retard » en s’éloignant de pratiques « arriérées » et en bâtissant un État respectable, démocratique et rationnel602. Outre la mise en œuvre d’une décolonisation graduelle, le pluralisme racial a pour corollaire l’évacuation de la question raciale de l’arène politique et la négation des tensions qui en résulte603. Les débats portant sur la

598 Anthony Bogues, “Politics, Nation and PostColony: Caribbean Inflections”, op. cit., pp.5 -6.

599 On retrouve chez M.G Smith cette conception d’un État unificateur face au risque de séparation des « communautés culturelles », qui a fortement influencé les leaders de l’indépendance. Sur les liens entre le pluralisme de M.G Smith et le nationalisme créole, voir David Scott, “The Permanence of Pluralism”, in Paul Gilroy et. alii., eds., Without Guarantees: In Honour of Stuart Hall, London, Verso, 2000, pp.282-301.

600 “Unis dans la diversité”.

601 Philip Sherlock, Norman Manley: A Biography, London, MacMillan, 1980, p.160, cité dans Anthony Bogues, “Politics, Nation and PostColony: Caribbean Inflections”, op. cit., p.8. Notre traduction.

602 L’idée que les Noirs doivent être « prêts » est en effet un élément central dans la politique coloniale durant la période post -émancipation. Pour un rappel des débats tenus à l’époque, voir Catherine Hall, “The Economy of Intellectual Prestige: Thomas Carlyle, John Stuart Mill, and the Case of Governor Eyre”, op. cit.

« race » sont en effet ignorés ou considérés comme des facteurs de division. L’esclavage et les luttes politiques menées par les Noirs depuis des siècles sont éludés, le colonialisme constituant la seule composante historique mise en avant par le nationalisme créole604.

Cette conception de la nation portée par Norman Manley se traduit notamment par la mise en place par le PNP dans les années 1940 et 1950 de programmes d’éducation de masse pour informer les citoyens sur leurs droits et leurs devoirs, développer leur sens des responsabilités, et leur transmettre la valeur « travail » ainsi que la croyance en un progrès social accessible à tous605. À l’indépendance, le pouvoir JLP poursuit cette entreprise et tente de (ré)inventer une culture « traditionnelle » par la valorisation d’un folklore rural et paysan censé incarner l’histoire du pays606. La construction de cet héritage « afro-jamaïcain » se base sur l’incorporation sélective des éléments d’une histoire partagée et la promotion d’une paysannerie pieuse et travailleuse607. Il y a donc, après l’indépendance, recours au consentement par le biais d’une idéologie légitimatrice dépeignant une société métissée, respectable, pacifique et disciplinée, censée être un modèle dans un monde déchiré par les guerres ethniques. Le modèle multiracial rencontre un large écho et contribue à l’arrivée au pouvoir d’une « élite hégémonique ». Celle-ci exerce, par le biais de l’appareil étatique, un « contrôle intellectuel, moral et politique » sur la société jamaïcaine608. La représentation nouvelle des classes noires défavorisées sur le plan politique marque ainsi non pas l’effacement, mais la réorganisation des lignes de fracture raciales et des rapports de pouvoir qui les produisent : la congruence entre couleur de peau et élites politiques demeure et se recompose. L’accès au pouvoir des « afro-saxons », pour reprendre une expression d’Edward Kamau Brathwaite, participe ainsi à la perpétuation d’un idéal de la blancheur, tout en cantonnant les origines africaines de la population au rang de folklore culturel. Dans cette perspective, ajoute Braithwaite, « la société n’est “plurielle” que

604 Anthony Bogues, “Politics, Nation and PostColony: Caribbean Inflections”, op. cit., p.9. Voir également Erna Brodber, “Socio-cultural Change in Jamaica”, in Rex Nettleford, ed., Jamaica in Independence: Essays on the Early Years, op. cit., pp.55-74. Cette vision de la nation jamaïcaine n’est toutefois pa s entièrement consensuelle au sein du PNP. Certains membres de l’aile gauche du parti s’opposent au projet porté par Manley, avant leur éviction durant les années 1940. Sur les di visions entre les différentes factions de la gauche jamaïcaine, voir Trevor Munroe, Jamaican Politics: A Marxist Perspective in Transition , Kingston, Heinemann, 1990.

605 Deborah Thomas, Modern Blackness: Nationalism, Globalization, and the Politics of Cultu re in Jamaica, Durham, Duke University Press, 2004, p.53.

606 Abdulaye Gaye, Jamaïque : la culture depuis l’indépendance, Paris, L’Harmattan, 2010, pp.46-47.

607 Un processus qui débute sous l’égide du British Council, lors de la création de ce dernier à la fi n des années 1930. (Deborah Thomas, Modern Blackness: Nationalism, Globalization, and the Politics of Culture in Jamaica , op. cit., p.61.)

dans la mesure où elle reste divisée selon les vieux schèmes coloniaux609. » Pour autant, dans un contexte marqué par de fortes tensions raciales, la contestation de l’identité officielle et la paupérisation de la majorité noire, cette politique de légitimation ne suffit pas à maintenir la cohésion sociale.

Lors du départ du colonisateur, la petite bourgeoisie qui accède au pouvo ir utilise en effet les moyens de l’État pour consolider sa position et reconduire la relation asymétrique qu’elle entretient avec les classes défavorisées. Cette entreprise est facilitée par les attentes alors très fortes envers le pouvoir politique, nota mment en termes de distribution des ressources, et par la fascination exercée par des dirigeants charismatiques ayant recours à des discours messianiques et à des postures autoritaires610. Les élections de 1944 et l’arrivée au pouvoir du JLP marquent le débu t de l’institutionnalisation des pratiques clientélistes. Alexander Bustamante et ses partisans, qui contrôlent les leviers économiques de l’État, mettent en place un système de patronage en redistribuant une partie des ressources publiques aux militants d u JLP et du BITU. L’opposition de Norman Manley y répond en systématisant les récompenses à ses partisans lors de ses victoires électorales en 1955 et en 1959. Le clientélisme s’impose progressivement comme un des modes privilégiés d’inclusion du politique en Jamaïque, et conduit à la construction d’identités politiques partisanes qui assurent la pérennité du système611. Il a également pour conséquence l’émergence des garrisons, des quartiers contrôlés par des chefs (area dons) et leurs gangs. En échange de leur allégeance à un parti, les garrisons reçoivent subsides et protection. Ce patronage politique a pour illustration la plus célèbre la rénovation de Tivoli Gardens à Kingston sous l’impulsion d’Edward Seaga, qui est transformé en quartier résidentiel populaire et devient un bastion du JLP. La conséquence la plus dramatique de cette territorialisation du clientélisme politique est l’utilisation de bandes armées pour tenter de prendre les fiefs électoraux du parti concurrent. S’ensuit à partir des années 1960 une véritable guerre politique entre partisans du JLP et du PNP, qui atteint son apogée durant les campagnes électorales de 1976 et de 1980, durant lesquelles plus de 1300 personnes sont tuées.

608 Brian Meeks, Radical Caribbean: From Black Power to Abu Bakr, Kingston, The University of the West Indies Press, 19 96, pp.90-95. Notre traduction.

609 Edward Brathwaite, The Development of Creole Society in Jamaica: 1770 -1820, op. cit., p.311. Notre traduction.

610 Cette conception du leadership messianique et autoritaire dans la culture politique jamaïcaine est étroiteme nt liée à la prééminence dans l’imaginaire collectif de la figure du héros prophétique guidant le peuple maintenu en captivité vers la terre promise – Israël. La corrélation entre la figure du messie et celle du chef politique est le produit d’une conscien tisation politique qui s’est essentiellement opérée par l’intermédiaire de la religion durant tout le XIXe siècle.

Pour Carl Stone, ce système de patronage politique est le p roduit d’un clientélisme social plus profond qui puise ses racines dans les inégalités qui parcourent le tissu social jamaïcain : « Le clientélisme informel est […] enraciné dans les structures sociales dans la mesure où les notables, l’élite et les classes privilégiées développent des liens d’obligation réciproques avec les pauvres et les exclus en agissant comme des patrons qui facilitent l’accès aux ressources matérielles et sociales612 ». Les partis ne font donc qu’institutionnaliser un clientélisme informel et préexistant, en l’érigeant en moyen d’exercice du pouvoir politique613. En réalité, le système de patronage s’impose progressivement comme un outil à part entière de contrôle de la population, visant à produire un soutien en faveur des institutions gouvernementales et à juguler les identités susceptibles de contester l’hégémonie des élites au pouvoir. Le développement de la violence politique partisane, note ainsi Amanda Sives, contribue à renforcer les liens verticaux entre les élites politiques et leurs partisans, tout en affaiblissant les liens