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Protection sociale des religieux

36. Quel(s) conseil(s) pouvez-vous donner aux Eglises pour une meilleure organisation de la protection sociale de leur clergé ?

2.4. L’inculturation et la libération sociale

Les entretiens réalisés auprès de certains membres de la hiérarchie regroupés dans le Corpus 1 définissent l’Eglise-Famille à travers une approche de la réalité de l’inculturation. L’inculturation a été choisie par les Eglises d’Afrique – officiellement à l’occasion du Synode Africain tenu à Rome en 1994 – en vue de l’évangélisation en profondeur des Africains et de leurs cultures. Selon J. Sinsin Bayo, « elle est à la fois la proposition et l’accueil de Jésus-Christ, de l’Evangile, de la Croix avec toute leur force de purification, de libération, de guérison et d’accomplissement111

.» Elle est « l’insertion de l’expérience chrétienne d’une Eglise locale dans la culture de son peuple d’une manière telle que ladite expérience non seulement s’exprime dans les formes, selon la logique et l’esprit crucifiés, purifiés de cette culture, mais encore qu’elle y devienne un facteur de création et y fasse naître une culture chrétienne assumant et portant à sa perfection la culture initiale112.» Ainsi l’inculturation est-elle pour les Eglises d’Afrique l’accueil de

110

Cf. L. FEDI, Philosophie de l’éducation. Cours de Licence 3, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Strasbourg, 2010-2011.

111

J. SINSIN BAYO, Inculturation et libération & L’inculturation de la foi chrétienne en Afrique : pourquoi et comment

faire ? Abidjan : Cellule de communication du mont Thabor, Collection du Mont Thabor, 2004, p. 2.

108 Dieu chez elles en Afrique, « de sorte que la vie de l’Africain dans tout ce qui en constitue le contenu et la trame en soit touchée, déterminée et qualifiée113

[…] Dans la proclamation de L’Evangile comme Bonne Nouvelle, l’Eglise se doit de tenir compte de tous les domaines de la vie de l’homme africain. Une telle attitude permettra de lui prêcher non seulement le salut des âmes après la mort, mais également et dès à présent le salut qui se veut promotion intégrale de l’homme ici et maintenant. C’est d’ailleurs l’une des définitions de la protection sociale évoquées dans certains entretiens, en l’occurrence ceux du Corpus 6, lorsqu’ils l’inscrivent dans la mission de l’Eglise de prêcher la promotion humaine et un salut de tout homme

et de tout l’homme. Cela implique que l’Eglise travaille dans les domaines de la santé, de la justice,

du développement social, culturel, économique, de la lutte contre la pauvreté, de l’éducation, du respect des droits de l’homme, de la communication114

.

Dans cette perspective de l’inculturation, la problématique de la protection sociale du clergé interpelle l’Eglise-Famille en construction en Afrique, car elle met en exergue la libération sociale du clerc. En effet la véritable inculturation consiste dans la rencontre de Dieu avec l’homme, d’une rencontre qui a lieu dans le cœur et dans la vie de ce dernier. Il s’agit d’une rencontre qui donne à l’homme de grandir dans sa connaissance de Dieu et d’en être transformé, lui ainsi que sa vie. Mais cette connaissance de Dieu l’aide, et l’amène à libérer le monde autour de toutes ses forces négatives qui compromettent ou détruisent son avenir.

113

Id.

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2.5. Protection sociale, cultures africaines et engagements

religieux : problématique d’une triple thématique ?

« La protection sociale assure le versement de prestations destinées à compenser les dépenses (honoraires médicaux, hospitaliers…) ou la baisse de revenus (rente d’incapacité, indemnités journalières, allocation chômage…) générées à la suite de la survenance de risques sociaux […] Un risque (événement dont la survenance est incertaine, susceptible de causer un dommage aux personnes et/ou aux biens), social (partagé par un ensemble d’individus) qui va porter atteinte à la sécurité financière des personnes, soit en empêchant l’accès au revenu (maladie, invalidité, vieillesse, chômage…), soit en entraînant des dépenses particulières (santé, charges familiales…) Ces risques ont ainsi pour conséquences de diminuer le revenu d’un ménage ou de diminuer la capacité de travail d’un individu ou de la priver d’effet. Les risques sociaux peuvent être d’origine professionnelle (accident du travail et maladie professionnelle) ou non professionnelle (maladie, maternité, vieillesse, invalidité, incapacité, décès, accident du travail, chômage.) Il est également possible d’élargir la notion de risque social à l’intégralité des risques pris en charge par les politiques d’aide sociale : pauvreté, perte de logement etc.115

»

Telle qu’elle est définie ci-dessus, la protection sociale paraît étrangère aux habitudes africaines, voire étrange aux peuples noirs. Sur la question, deux avis émergent des témoignages recueillis à travers nos entretiens. Tout en reconnaissant que le mode de la protection sociale des pays développés n’existe pas dans les sociétés traditionnelles africaines, le premier avis fait remarquer que des formes de protection sociale ont toujours existé en Afrique. L’argumentaire significatif de l’habitude de la protection sociale chez l’Africain est bâti autour de deux éléments : les habitudes traditionnelles de la prise en charge du nécessiteux par le groupe, et le recours à cette forme d’assistance moderne que le contexte actuel de la postmodernité et de la mondialisation impose à tous ceux qui vivent dans les sociétés actuelles. Ce second argument montre bien que l’habitude peut se créer et ainsi devenir culture : pour un des responsables d’Eglise interrogé, le concept est peut-être nouveau pour les peuples d’Afrique, mais la réalité ne l’est pas, car « déjà dans nos traditions, dans le milieu traditionnel, lorsque quelqu’un est malade on ne le laisse pas crever, il y a une façon de le prendre en charge qui peut-être n’a rien à voir avec les sociétés d’assurance sous leur forme actuelle116

Un autre fait remarquer qu’« aujourd’hui avec l’évolution, les gens ont conscience qu’il faut s’assurer. Ceux qui tiennent l’Eglise sont des travailleurs du public comme du privé. Ils ont une notion de l’assurance grâce aux campagnes de sensibilisation de proximité menées par les sociétés d’assurance auprès des populations. Et pour ceux qui travaillent, ils savent ce qu’est la CNPS117

, ce qu’est l’assurance. Par conséquent ils en savent l’utilité, même si une grande partie de la population

115 J-P. CAVAILLE, La protection sociale en 200 questions. Le Mans: Editions Gereso, 2010, Coll. L’essentiel pour agir, p. 13-14.

116

Voir Annexe 1, ENT 1.

110 n’est pas assurée118.» A l’ère de la mondialisation, les sociétés, y compris celles de la Côte d’Ivoire, sont en pleine mutation. A cela s’ajoute le fait que les mass medias sont utilisés à longueur de journée par les sociétés d’assurance pour faire de la sensibilisation et de la publicité. Dans un tel contexte, l’assurance n’est plus une notion nouvelle pour nos populations, pour lesquelles d’ailleurs la protection sociale semble se concevoir naturellement. En effet, on reconnaît à l’homme africain, quel que soit son niveau social, sa promptitude, voire sa capacité naturelle à partager avec le prochain. On sait également qu’il existe depuis longtemps des pratiques informelles d’assistance des communautés à l’endroit de leurs membres en difficulté. Il existe même dans les grandes villes des associations de quartier, des corporations et des associations tribales dont les membres adhérents versent des cotisations qui servent à aider chacun d’eux à faire face aux problèmes qu’il peut rencontrer. […]

A la question de savoir si la protection sociale du prêtre serait en accord avec les engagements et la vie de détachement des membres du clergé et des religieux en général, toutes les réponses des enquêtes sont positives. La protection sociale du prêtre fait l’objet d’une double vision : il y a droit en tant que personne humaine dont la dignité de la vie mérite respect, et il la mérite par l’exercice de son ministère. Il s’agit pour ainsi dire d’une pratique de justice sociale. Voici quelques propos recueillis :

« Le prêtre est une personne humaine choisie par Dieu, une personne égale aux autres en droit et en dignité. Il est d’autant plus concerné par la protection sociale qu’il appartient à une société qui se doit de protéger ses membres. Si une protection est organisée, il doit en bénéficier119

« Le prêtre en tant qu’humain éprouve des besoins de sécurité vis-à-vis de la maladie, de la vieillesse. Il faut les satisfaire120

« Les prêtres assureraient leur protection sociale s’ils travaillaient pour leur compte, mais étant donné qu’ils travaillent pour le peuple chrétien, ce peuple peut les aider à prendre en charge leur santé121

« Le prêtre est consacré à Dieu par vocation. Cependant, comme tout être humain, il aspire à un minimum de bien-être. Donc, si on peut lui permettre d’être dans de bonnes conditions de vie et de travail, autant le faire122

« Après le ministère exercé, justice lui sera rendue si une protection sociale lui permet de passer une bonne retraite pour le respect de sa dignité et en reconnaissance de la tâche qui était la sienne123

118

Voir Annexe 1, ENT 2.

119

Voir Annexe 1, ENT 1.

120 Annexe 1, ENT 3. 121 Annexe 1, ENT 3. 122 Annexe 1, ENT 18. 123 Annexe 1, ENT 4.

111

« La protection sociale concourt à procurer au clerc le minimum qu’il lui faut pour mener une vie décente124

De cette triple thématique évoquée plus haut, ressort la question de la protection sociale des prêtres en contexte culturel africain.