• Aucun résultat trouvé

Protection sociale des religieux

36. Quel(s) conseil(s) pouvez-vous donner aux Eglises pour une meilleure organisation de la protection sociale de leur clergé ?

2.9. Le clerc et sa parenté

La plupart des propositions des personnes interrogées pour une meilleure organisation de la protection sociale du clergé font appel à l’implication discrète ou directe de la famille du prêtre. Il est souhaité que celle-ci soit sensibilisée, de sorte qu’elle vive avec l’Eglise et avec le prêtre concerné ses moments d’invalidité, de retraite et de vieillesse. Ce souhait est émis comme une réponse à la question de la place de la famille dans la vie et le ministère du prêtre, et non sans être en rapport avec certaines situations malheureuses évoquées par mes interlocuteurs. En effet ils relèvent le fait que des prêtres en situation de précarité n’ont trouvé de secours qu’auprès de leurs parents. Du fait de son importance la question mérite qu’on s’y attarde.

On s’accorde à dire que la famille est la cellule de base de la société144. Elle est le lieu où la vie est donnée et reçue, où l’existence prend ses racines pour se développer. C’est le premier espace où se forge la personnalité et où commence à se construire la dimension sociale de la personne humaine. Jean Paul II dira que « l’ « être famille » de la vie humaine représente un grand bien pour l’homme145

[…] Que l’on se situe par rapport à la vision de la famille nucléaire ou de celle de la grande famille, tout homme est comme redevable vis-à-vis de sa famille. Chacun doit la vie à ses parents, et chacun a vis-à-vis d’eux une dette permanente de gratitude. Qu’ils soient encore vivants ou déjà entrés dans l’éternité, chacun leur reste uni par un lien étroit que le temps ne rompt pas146. Les rites vécus à intervalles réguliers dans la plupart des sociétés africaines en témoignent147. Le prêtre ne saurait être affranchi ou s’affranchir lui-même de cette pratique habituelle de sa société, et cela pour

144 Cette définition est de Balzac.

145

JEAN-PAUL II, Lettres aux prêtres pour le Jeudi saint, Avec vous je suis prêtre. Vatican : Editions des Béatitudes, 2009, pp. 192-201.

146 Id.

147

Chez les peuples Tagbana et Baoulé du centre de la Côte d’Ivoire, des sacrifices d’animaux sont faits, ainsi que des incantations prononcées aux moments importants de la vie des individus et de la vie sociale. Une des raisons visées est d’associer les ancêtres à la vie communautaire.

120 deux raisons. Premièrement, parce qu’elle relève du bon sens et du devoir de reconnaissance pour le commun des mortels à l’égard des aînés. Ensuite, à cause de la « part significative148

» qui revient aux parents et à la famille, dans l’appel et la consécration du prêtre pour le ministère, qui ne doit pas être ignorée.

Le devoir de gratitude du prêtre à l’égard de sa famille vaut son pesant d’or dans un contexte africain très ouvert à la vie, au mariage, à la procréation et à la rentabilisation des forces humaines, où laisser un fils devenir prêtre représente pour la famille d’énormes sacrifices. Il arrive qu’en Afrique le prêtre soit issu d’une famille chrétienne qui a respecté et accueilli son choix. Dans une telle hypothèse les parents ont fait « à Dieu l’offrande de leurs sentiments, en se laissant guider par une foi profonde, puis ont accompagné de leurs prières leur fils149

Sur le chemin emprunté pour sa formation à la prêtrise, le jeune homme rencontre plusieurs personnes, au nombre desquelles il se fait des amis dont parfois le soutien s’avère décisif dans son cheminement vers le sacerdoce. Le prêtre devrait se dire qu’il a contracté vis-à-vis de ces derniers et de ses parents une sorte de dette morale. […]

Le prêtre, je l’ai indiqué plus haut, est sollicité par sa famille pour résoudre des problèmes d’ordre économique et matériel. Lorsqu’il se trouve lui-même dans l’obligation de recourir à sa famille pour être matériellement pris en charge, parce que malade ou invalide, il constitue pour celle-ci un fardeau. Dans ce cas, on assiste avec impuissance à des réactions évidentes exprimées par des parents désabusés, devant leur prêtre de fils invalide et à leur charge, à travers des propos du genre : « Je ne t’ai pas demandé de te faire prêtre.. », ou bien « Tu aurais bien pu faire autre chose, plutôt que de te faire prêtre pour nous fatiguer. » Ce sont des propos et des réactions de nature à choquer, et le prêtre en détresse et les personnes qui en sont les témoins, en même temps qu’ils peuvent traduire le manque de charité, voire de scrupule de leurs auteurs. Cependant, force est de constater que devant la situation qui les suscite, l’Eglise perd toute crédibilité dans le domaine de l’assistance et du soutien à ses prêtres en difficulté. Au sein des populations on pense qu’après s’être servie des hommes qu’elle appelle au sacerdoce l’Eglise les abandonne à leurs familles, lorsqu’ils sont réduits physiquement ou psychologiquement, et donc invalides. L’image hyperbolique de la peau de l’orange jetée après avoir été vidée de son jus est utilisée par le parent

148

L’expression est de JEAN-PAUL II, pour signifier l’aide et le soutien des parents à leurs fils appelés au sacerdoce.

149

121 d’un prêtre malade, pour décrire la situation de son neveu, dont il est le seul à s’occuper150

. L’expérience permet de constater, et des entretiens réalisés dans le cadre de cette thèse le confirment, que la pitoyable fin de vie de certains prêtres n’a malheureusement pas aidé des membres de leurs familles à se faire une idée positive de l’Eglise, dans des sociétés africaines où le christianisme, du fait de ses origines et du contexte de son arrivée en terre africaine, a encore du mal à se faire accepter par une frange de la population comme la religion de tous151.

Ces lignes parcourues invitent à prendre en considération le rapport des clercs à leurs familles lorsqu’il faut faire face à la problématique de la protection sociale du clergé en contexte africain d’édification d’Eglise-Famille.

150 Cf. A.J-R. TOURE, Prise en charge des prêtres âgés et/ou malades en Côte d’Ivoire : défis ecclésiologique et pastoral. Mémoire en vue de l’obtention de la Licence canonique de Théologie, Option pastorale, Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest-UCAO/UUA, Abidjan, 2005. Cette expression est tirée du témoignage fait en 2005 par monsieur KOUAKOU K., oncle maternel d’un prêtre malade résidant à Abidjan.

151

J.P. MESSINA, Culture, Christianisme et quête d’une identité africaine. Paris : L’Harmattan, 2007, pp. 57-76. L’auteur rappelle que les difficultés du christianisme africain résident entre autres raisons dans le fait qu’il est venu en contexte de colonisation.

122

2.10. Possible protection sociale du prêtre en phase avec le contexte