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L'identification du changement culturel en archéologie

Chapitre 2 : Cadre théorique

2.3. L'identification du changement culturel en archéologie

idéalisé sera abordé pour décrire les schémas d'exploitation idéalisés de certaines industries lithiques sur KcFs-2.

2.1.1.3 Économie de la matière première

Le concept d’économie de la matière fait référence aux stratégies de gestion des ressources lithiques. Ce concept permet d’articuler les stratégies d’acquisitions des matières dans le territoire, les stratégies de production des supports ainsi que les stratégies de production de l’outillage, tout en intégrant les notions de méthodes et de techniques. L’identification d’une économie de la matière première repose sur l’existence dans un assemblage lithique d’une « utilisation simultanée de matières premières différentes pour des catégories techniques différentes, […] c’est-à-dire d’une gestion intentionnellement différenciée de plusieurs sources de matières premières » (Perlès 1991 : 41). Dans le cadre de cette étude, l’économie de la matière première sera étudiée en cherchant à identifier les formes d’introduction des différentes matières sur le site ainsi que les choix de matières selon les intentions de production.

2.3. L'identification du changement culturel en archéologie

2.3.1 Définir la Culture

Avant de discuter des méthodes d'identification du « changement culturel » tel qu'il est perceptible en archéologie, il semble approprié de définir le concept de « culture ». Selon Brumann, il est fondamental de dresser une distinction entre « Culture » et les « culture(s) ». La Culture, selon l'interprétation de Brumann (1999 : 6), ''...refers to the general potential of human

individuals to share certain not genetically inherited routines of thinking, feeling, and acting with other individuals with whom they are in social contact and/or to the products of that potential.'' Il définit ici la Culture selon des dynamiques de transmission sociale entre individus.

« Les cultures » font plutôt référence à la variabilité inhérente à la manifestation des comportements humains. Cette division correspond à la prémisse de cette étude et à l'origine de la problématique de ce travail, à savoir l’identification des distinctions, à l'aide des outils

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analytiques discutés plus tôt, entre deux manifestations culturelles différentes ; celle de la maison 3 de Kcfs-2 et celle du Dorsétien classique tel qu'il fut défini par Desrosiers (2009). Le but de cette analyse est de circonscrire et de définir la variabilité qui a pu exister entre ces deux manifestations pour savoir si celles-ci correspondent à un réel « changement culturel ».

La définition même de la « Culture » s’appliquant à la période dorsétienne a été sujette à controverse lors du développement de la discipline archéologique dans l’Arctique (Linnamae 1975). Le Dorsétien, suite à l’augmentation de la recherche archéologique dans l’Arctique, est aujourd’hui reconnu comme répondant aux critères de définition d’une société distinctive à part entière. Selon Linnamae, le Dorsétien correspond aux caractéristiques établies par Clarke (1968 : 231) pour définir un assemblage culturel valide concernant la cohérence des artéfacts entre eux et possédant des limites spatiales et temporelles distinguables (Linnamae 1975 : 16). Le canevas théorique se complexifie lorsque l’on considère l’attribution d’unités culturelles plus petites, dans le temps et dans l’espace, aux variations observables dans la culture matérielle dorsétienne. Selon ce que livre la littérature, la démarche typologique traditionnellement employée dans l’Arctique n’est dans cette situation d’aucune aide et rien ne semble justifier la division chronologique tripartite du Dorsétien. Le problème principal est de déterminer si la variation à l’intérieur d’une culture est suffisamment significative pour définir les caractéristiques de ce que l’on nommerait des « sous-cultures » (Linammae 1975 : 16). Clarke définit ces sous-cultures « as an infra-cultural segment or activity aligment characterized by a specific type complex—a

polythetic set of different and specific artifact types repeatedly found together in assemblages within a population of assemblages » (1968 : 235). Ces « variations » au cours de la période

dorsétienne sont identifiées par la chronologie tripartite. À la lumière des problématiques issues du contexte archéologique et du recours à la typologie dans l’Arctique, les types spécifiques que Clarke propose d’identifier pour définir les divisions au sein d’une culture ne semblent pas justifier l’attribution actuelle des collections à l’une ou l’autre des trois périodes du Dorsétien. Le même constat est fait en considérant la révision chronologique du début du Dorsétien issue de la thèse de Desrosiers (2009).

2.3.2 Définir la « variabilité significative »

Les divisions chronologiques ont deux objectifs principaux : celui de situer un assemblage dans le temps (ainsi que dans l’espace) et celui de différencier les assemblages les uns des autres. Ces

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divisions sont librement nommées cultures ou sous-cultures par les archéologues, mais elles font nécessairement référence à des « cultures archéologiques », c’est-à-dire des construits d’interprétations et de concertations entre chercheurs (Clarke 1968 : 232, Desrosiers 2009). Lors de la définition des limites entre les cultures, la méthode la plus répandue pour décrire les variations concerne l’identification de types qui changeront dans le temps. Dans certains cas, il est possible de parler de sériation, c’est-à-dire l’ordre chronologique de l’apparition et de la disparition de caractéristiques particulières dans le temps. Lorsque vient le moment de créer de grandes entités culturelles, la récurrente problématique des lumpers versus splitters fait surface. En effet, les chercheurs doivent déterminer le niveau minimal de différences entre deux entités culturelles pour justifier la différentiation. La notion même de division chronologique fait appel à une problématique plus large, celle du « changement culturel » qu’elle prétend décrire. Comment donner alors une valeur aux divisions établies? Que constitue réellement le « changement culturel » et comment est-il perceptible à travers la culture matérielle des sites archéologiques? Pour sa part, Renfrew propose que le changement « …is one of divergence

accomplished through successive episodes of fission » (1992 : 446). L’outil analytique privilégié

pour aborder ces questions en archéologie, comme en anthropologie, est celui de l’approche comparative des assemblages entre eux dans le temps et dans l’espace. Réside toutefois le problème de la variabilité significative : statistiquement, elle serait définie selon un seuil de signification et typologiquement par le degré de ressemblances des artéfacts de même type. Dans le cas de l’archéologie dans l’Arctique, la comparaison typologique a, comme nous l’avons déjà vu, échouée dans ses maintes tentatives. Clarke, définissant les caractéristiques d’un assemblage culturel cohérent, proposait les critères suivants :

(1) « The component assemblages share a large number of specific

artefact types one with another, although each assemblage need not contain all the types in the shared set.

(2) The artefact-types represented in the assemblages comprise a comprehensive selection of types from most of the material spheres of cultural activity – the exoskeleton of most of the sociocultural subsystems.

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(3) The same specific artefact-types occur together repeatedly in those component assemblages, albeit in varying combinations.

(4) Finally, the component assemblages must come from a limited, defined and continuous geographical area and a limited, defined and continuous period of time. » (Clarke 1968 : 231)

Le principal défaut de cette approche, à la lumière de ce qui est connu pour l’Arctique, est de reposer principalement sur l’identification typologique d’artéfact-types dont les stratégies de fabrication desquels ils sont issus sont entièrement occultées. C’est de cette problématique que découle la proposition de réaliser l’exercice à partir de la chaine opératoire dans cette étude, qui amènera une résolution plus grande à la perception des divisions chronologiques de la fin du Dorsétien.

La comparaison des chaines opératoires et l’analyse des méthodes, des techniques et des conceptions volumétriques partagées ou non d’un assemblage à un autre permet de s’approcher des notions telles que l’invention ou l’innovation dans les systèmes techniques. Elles nous permettent également d’aborder les thèmes de la cognition, des traditions culturelles, pour s’éloigner de la « culture archéologique » et espérer s’approcher des constituants véritables de la culture ou société dont est issue une culture matérielle donnée.

En ce qui a trait à la « variabilité significative », qui justifie les divisions chronologiques et témoigne du « changement culturel », il semble que la chaine opératoire et la résolution permise par son application à un assemblage adéquatement documenté et contextualisé permettrait d’émettre des comparaisons plus valables que l’approche typologique. Ces comparaisons, ne reposant plus uniquement sur des artéfact-types, mais plutôt sur une perception plus globale du registre des connaissances techniques, permettraient d’identifier les différences au point de vue des traditions techniques et de leurs variations dans le temps.

Il sera particulièrement intéressant d’approcher les notions de changements dans les traditions techniques à partir de la courte période de temps qui est à l’étude. L’exercice comparatif proposé ici concerne en effet la comparaison de collections ayant entre 600 et 1000 ans de différence, laps de temps plutôt court comparé aux sujets d’études les plus documentés par les adhérents

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aux écoles de technologie culturelle françaises, du Paléolithique par exemple, qui s’étendent sur des centaines de milliers d’années. Le court laps de temps à l’étude dans ce travail contraste également avec les travaux qui ont donné naissance aux théories du changement culturel en archéologie et qui abordent les grands bouleversements de l’histoire humaine ; la transition entre les Paléolithique moyen et supérieur, les révolutions agraires (néolithisation) ou autre événement archéologique et humain ayant engendré les théories en évolution sociale (Renfrew 1992).

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