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7.1 Bilan de la comparaison entre les collections du Dorsétien classique et du Dorsétien récent

La définition du système technique des occupants de la maison 3 de KcFs-2, daté entre 940±20 et 970±15 (datations effectuées sur os de mammifères terrestres), à l’aide de l’analyse technologique a permis de mettre en lumière les comportements techniques des occupants du site et de comprendre, au moins en partie, ce qui compose leurs traditions technologiques. La définition du Dorsétien classique repose quant à elle sur l’analyse de deux sites : GhGk-63 et le niveau II de Tayara (KbFk-7), respectivement datés entre 2050±85 et 1695±100 (charbons de bois, AMS) et entre 2125±40 et 1886±41 (charbons de bois, AMS). La comparaison de ces deux systèmes techniques, séparés dans le temps par un intervalle d’environ mille ans, a permis d’établir un grand nombre de continuités et très peu de discontinuités entre ces deux périodes.

Des discontinuités au sein des intentions de production sont perceptibles. Certains types d’outils standardisés sont abandonnés comme les pointes triangulaires à cannelures distales. La préférence de certaines matières premières pour certains types d’outils semble également s’être modifiée : c’est le cas du quartz cristallin pour les microlames à soie et de la néphrite pour les pseudo-burins. La trousse d’outils du Dorsétien récent est néanmoins en très grande continuité avec la trousse à outils du Dorsétien classique. Deux grands absents dans l’assemblage de KcFs-2, qui n’ont toutefois pas été retenus dans la définition des intentions de production du Dorsétien classique, sont le racloir concave et la microlame de Calaï (Desrosiers 2009 : 390). Les vases de stéatite de KcFs-2 étant trop fragmentaires, la comparaison avec les exemples du Dorsétien classique n’a pas pu être faite. La grande variabilité des matières premières, à l’échelle de l’assemblage au Dorsétien récent, s’inscrit dans une continuité par rapport au Dorsétien classique. Cela suppose des stratégies d’acquisition de matières premières similaires entre les deux périodes, d’autant plus que certaines matières exotiques comme le chert de Southampton et le quartzite de Ramah sont encore comprises dans l’outillage. La flexibilité du système technique au Dorsétien

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classique, observée à travers l’utilisation de matières premières multiples pour une seule intention de production, est également retrouvée mille ans plus tard sur KcFs-2.

La production et la gestion des trois types de supports identifiés pour le Dorsétien classique sont observables dans l’assemblage du Dorsétien récent. À ceux-ci s’ajouterait une production d’éclats-support d’intentions premières sur nucléus bifacial, identifié dans l’assemblage de KcFs-2, mais qui n’entre pas en contradiction avec l’économie de la matière première telle qu’elle est décrite pour GhGk-63 et le niveau II de Tayara. Les concepts volumétriques, particulièrement ceux impliqués dans la production de supports microlaminaires, sont considérés inchangés pendant les milles ans qui séparent les deux périodes. C’est aussi le cas des méthodes de préparation des nucléus à microlames qui demeurent flexibles à la nature et la morphologie des supports initiaux et essentiellement opportunistes. L’analyse d’un plus grand nombre de nucléus à microlames des deux périodes issues de contextes archéologiques solides serait bénéfique à la confirmation de cette similitude. Le « lien dynamique réciproquement inverse entre l’effort investi dans la

production des supports et celui investi dans leur transformation en outils » (2009 : 385)

est reconnu dans l’assemblage de KcFs-2. En règle générale, comme au Dorsétien classique, les occupants du site ont investi un grand effort dans la production de supports aux dimensions prédéterminées dans le but de minimiser l’effort de transformation de ceux- ci par la suite. Ce « lien dynamique réciproquement inverse » est également reconnu dans la sélection des supports opportunistes.

Les techniques impliquées dans la production et la transformation des supports s’inscrivent dans une forte continuité entre les deux périodes investiguées. Le savoir-faire et les compétences motrices nécessaires à ces techniques sont maîtrisés et partagés par les deux groupes d’artisans. Les exceptions à cette continuité concernent le rainurage associé à la production des outils abrasés, ainsi que la technique du coup de burin (ou de pseudo-burin) qui sont inexistantes sur KcFs-2.

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Le partage d’un bagage de connaissances techniques et l’existence d’une persistance dans le temps des traditions techniques du Dorsétien classique sont les deux éléments qui ressortent de l’analyse comparative. La standardisation des objets à l’intérieur des assemblages, mais également entre les assemblages, semble inhérente aux traditions techniques du Paléoesquimau récent. C’est également le cas lorsque l’on considère le niveau de rétention des connaissances techniques ainsi que la ressemblance entre les stratégies d’acquisition des matières premières des deux périodes. Cela est le plus fortement démontré par la rétention de la technique du coup de cannelure qui persiste au Dorsétien récent et qui constitue une technique maîtrisée et employée par les artisans de cette période sans être impliquée dans la finition des pointes triangulaires.

7.2 Implications pour l’histoire culturelle du Nunavik

La présente étude a cherché à contourner les problèmes méthodologiques associées à l’établissement du cadre chronoculturel de l’Arctique de l’est, discutées en début de texte, à l’aide de l’approche technologique et de la chaine opératoire. Cet exercice a permis de fournir une définition de ce qui constitue le Dorsétien récent du Nunavik en mettant en évidence les traditions techniques clairement documentées dans l’assemblage de la maison 3 de KcFs-2. L’analyse comparative des données de KcFs-2 et de celles ayant servi à définir le Dorsétien classique (le niveau II de Tayara et GhGk-63) a également fourni son lot de continuités et de discontinuités. Dans la mesure où les résultats de cette étude peuvent être étendues à l’ensemble des occupations du Dorsétien récent du Nunavik, un examen de la chronologie actuelle du Paléoesquimau s’impose.

Les changements technologiques dans l’Arctique de l’est au cours du Paléoesquimau s’inscrivent dans une continuité plutôt que dans l’événement de changements radicaux. C’est le cas de la transition du Prédorsétien au Dorsétien qui est perceptible à travers une transition lente entre 2300 et 2100 ans AA. Celle-ci est caractérisée par la multitude de formes intermédiaires impliquée dans l’évolution des burins taillés aux pseudo-burins entièrement abrasés (Desrosiers 2009). C’est également le cas du Dorsétien classique,