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2.8 Vers l’unité des mondes .1 L’unité virtuelle des mondes

2.8.3 L’Homme Universel

L’homme dans l’univers, est comme dans un réseau qui l’enserre et le contient. Il n’a pas « une place privilégiée et hors série dans la hiérarchie indéfinie des états de l’être total, il y occupe son rang comme n’importe lequel des autres états » (SC, 140). Et le problème

essentiel pour lui, c’est d’échapper à cette contention pour trouver ou pour atteindre la libération, imaginaire ou autre et cette libération ne s’obtiendra qu’à partir des conditions limitatives de toutes les modalités et de tous les états.

A ce propos, René Guénon nous montre le moyen traditionnel pour obtenir cette libération humaine : la totalisation, laquelle a pour synonymes la réalisation, la délivrance, l’identification, l’obtention de la sagesse, l’union finale, la centralisation, etc.. Laissez-nous regarder la réalisation, par exemple : « pour se réaliser totalement, il faut que l’être échappe à cette enchaînement cyclique et passe de la circonférence au centre, c’est-à-dire au point où l’axe rencontre le plan représentant l’état où cet être se trouve actuellement ; l’intégration de cette état étant tout d’abord effectuée par là même, la totalisation s’opère ensuite, à partir de ce plan de base, suivant la direction même de l’axe vertical » (SC, 133). Cette réalisation « embrasse tout dans la parfaite simultanéité d’une compréhension synthétique et ‘non-distinctive’ » (SC, 141), elle résorbe tous les êtres dans son centre. Et la réalisation peut s’effectuer à partir de n’importe quel être : « cet être, en principe, peut être quelconque, puisque tous sont parfaitement équivalents quand ils sont envisagés de l’Infini ; et le fait que l’état humain n’est en rien distingué parmi les autres comporte évidemment, pour lui aussi bien que pour n’importe quel autre être, la possibilité de devenir cet état central » (SC, 141).

Mais, métaphysiquement, en ce qui concerne celui qui atteint la réalisation, à savoir celui qui réunit le macrocosme et le microcosme, René Guénon le désigne souvent comme l’Homme Universel. Nous savons que dans le Vêda, le Purusha signifie l’Homme Universel, or, René Guénon remarque que le thème est emprunté à l’islamisme, ce qui cependant ne nous mine aucunement notre idée de l’Homme Universel. Dans le Vêda, surtout dans l’hymne XC consacré au Purusha, on lit «de Purusha, le Brâhmana fut la bouche, le Kshatriya les bras, le vaishya les hanches, le shûdra naquit sous ses pieds. La lune est provenue de son coeur, de son Oeil est venue le Soleil, Indra et Agni sont nés de sa bouche, et Vayu de sa respiration. La partie au dessus de son nombril est l’atmosphère, le ciel est venu de sa tête, la terre de ses pieds, donc tout cela forme le monde entier »25.

25 « The Brahman was his mouth, of both his arms was the Rajanya made. His thighs became the Vaisya, from his feet the Sudra was produced. The Moon was gendered from his mind, and from his eye the Sun had birth; Indra and Agni from his mouth were born, and Vayu from his breath.Forth from his navel came mid-air the sky was fashioned from his head Earth from his feet. Thus they formed the worlds »

Par la notion de l’Homme Universel, René Guénon nous montre le lien étroit entre la manifestation universelle et la modalité individuelle humaine. En effet, l’être humain est juste un être miniaturisé de l’Homme Universel. Dans ce sens là, d’après René Guénon, il existe analogie, non pas similitude entre l’homme et l’être total : « si l’Homme Universel est le principe de toute la manifestation, l’homme individuel devra en être en quelque façon, dans son ordre, la résultante et comme l’aboutissement, donc, l’homme est regardé comme formé par la synthèse de tous les éléments et tous les règnes de la nature » (SC, 22). Voilà pourquoi l’être humain a le rôle cosmique propre à lui-même, ce qui veut dire que l’être humain n’est pas passif : « l’être humain a, dans le domaine d’existence individuelle qui est le sien, un rôle que l’on peut véritablement qualifier de ‘central’ par rapport à tous les autres êtres qui se situent pareillement dans ce domaine » (SC, 22), « le rôle fait de l’homme l’expression la plus complète de l’état individuel considéré, dont toutes les possibilités s’intègrent en lui » (ibid.). C’est justement là où l’ Homme Universel s’établit en lien analogique avec l’être humain. Au moment où l’être humain parvient à la réalisation, il réalise une communication parfaite avec la totalité des états de l’être, ce en quoi il construit une harmonie parfaite entre les cycles cosmiques et hiérarchiques, «en épanouissement intégral dans les deux sens de l’ampleur et de l’exaltation».

L’être parvient à s’identifier à l’Homme Universel dans sa totalisation effective, ce qui a pour synonymes « Délivrance » ou l’ « Identité Suprême » ou l’ensemble ‘Adam-Ève’. René Guénon dénomme cette réalisation aussi l’état androgynique originel « qui est l’état humain complet, dans lequel les complémentaires, au lieu de s’opposer, s’équilibrent parfaitement » (SC, 27), et « dès lors que la manifestation tout entière est et ne peut être que le produit de l’union du Ciel et de la Terre, tout homme, et même tout être quel qu’il soit, est également et par là même fils du Ciel et de la Terre, puisque sa nature participe nécessairement de l’un et l’autre » (GT, 82)

2.8.3.1 L’homme véritable

On sait que l’idée de l’Homme Universel est empruntée à l’islam, et que René Guénon l’emploie dans la métaphysique hindoue. Or, les équivalents de l’Homme

Universel dans le cadre de la métaphysique chinoise, ce sont, d’après René Guénon, l’homme véritable et l’homme transcendant. En effet, les chinois ne font pas de différence entre les deux, ce qui est montré dans Tchouang-tseu, dont René Guénon les a tirés.

D’après René Guénon, « l’homme véritable est considéré comme l’homme réellement normal, parce qu’il possède vraiment la plénitude de la nature humaine, [---], il est parfaitement équilibré sous le rapport du yang et du yin » (GT, 83), « il est yang par rapport au cosmos ; c’est ainsi seulement qu’il peut remplir d’une façon effective le rôle ‘central’ qui lui appartient en tant qu’homme » (GT, 84). « L’homme véritable est aussi l’homme primordial, c’est-à-dire que sa nature est celle qui était naturelle à l’humanité à ses origines, et dont elle s’est éloignée peu à peu, au cours de son cycle terrestre, pour en arriver jusqu’à l’état où est actuellement ce que nous avons appelé l’homme ordinaire, et qui n’est proprement que l’homme déchu. Cette déchéance spirituelle qui entraîne en même temps un déséquilibre sous le rapport du yang et du yin, peut être décrite comme un éloignement graduel du centre où se situait l’homme primordial ; un être est d’autant moins yang et d’autant plus yin qu’il est plus éloigné du centre, car, dans la même mesure précisément, l’extérieur l’emporte en lui sur l’intérieur » (GT, 85). En d’autres termes, c’est un être qui possède moins d’éléments solaires que d’éléments lunaires, c’est un être lunaire, c’est tout à fait ce qui convient à des personnages romanesques de Raymond Queneau, par exemple : Pierrot. Et sa restauration de l’état primordial consiste à retrouver ses éléments solaires, c’est-à-dire à fréquenter Mounnezergues, comme le confirme René Guénon : « la restauration de l’état primordial, l’homme est ramené de la condition ‘décentrée’ à la situation centrale qui doit normalement lui appartenir, et rétabli dans toutes les prérogatives inhérentes à cette situation centrale » (GT, 87), et « c’est qu’un être tel que l’homme, en tant que ‘microcosme’, doit nécessairement participer des ‘trois mondes’, et avoir en lui des éléments qui leur correspondent respectivement » (GT, 90), il cherche donc ce qui lui manque. Et cette action de chercher ne s’effectue qu’à partir de lui-même en tant qu’élément actif : « cette nature individuelle, en effet, procède d’abord de ce que l’être est en lui-même, et qui représente son côté intérieur et actif, et ensuite, secondairement, de l’ensemble des influences du milieu dans lequel il se manifeste, qui représentent son côté extérieur et passif » (GT, 109). Avec cette citation, on a une idée très claire de la position centrale que l’homme prend dans l’univers qui l’entoure, et surtout

quand il atteint la réalisation : « l’être se manifestera donc en se revêtant, pour ainsi dire, d’éléments empruntés à l’ambiance, et dont la ‘cristallisation’ sera déterminée par l’action, sur cette ambiance, de sa propre nature interne » (GT, 110), et les éléments tirés de l’ambiance sont utilisés dans la constitution de l’individualité humaine. Une fois cet échange établi, « leur communication (entre le Ciel, la Terre et l’homme) ne pourra s’établir que suivant l’axe qui relie entre eux les centres de tous les états d’existence, en multitude indéfinie, dont l’ensemble hiérarchisé constitue la manifestation universelle, et qui s’étend ainsi d’un pôle à l’autre, c’est-à-dire précisément du Ciel à la Terre » (GT, 121). Et « ce centre, qui est proprement l’Invariable Milieu, est par là même le point unique où s’opère, dans cet état, l’union des influences célestes et des influences terrestres », et qui est le seul lieu « où est possible une communication directe avec les autres états d’existence » (GT, 122). L’homme véritable est celui qui est identique à ce centre où s’opère l’union du Ciel et de la Terre.

2.8.3.2 L’homme transcendant

L’homme transcendant est celui qui dépasse toutes les conditions limitatives de l’humanité et parvient à s’identifier à l’Homme Universel, en ce sens, l’homme véritable est celui dans lequel se cache virtuellement l’Homme Universel, en revanche, l’homme transcendant est celui qui est l’Homme Universel réellement : « l’homme est parfois assimilé au rayon de la ‘roue cosmique’, dont le centre et la circonférence correspondent respectivement au Ciel et à la Terre. L’homme véritable est proprement la ‘mesure de toutes choses’ en ce monde, et de même l’Homme Universel l’est pour l’intégralité de la manifestation ; [--- ]; la Croix formée par les deux diamètres rectangulaires, et qui équivaut d’une certaine façon à l’ensemble de tous les rayons de la circonférence, c’est le symbole de l’Homme Universel » (GT, 191-192). Et l’Homme Universel se présente comme le peint Léonard da Vinci, les mains et les pieds à la circonférence alors que le coeur se localise dans le coeur de l’univers : « on doit donc se représenter l’Homme, assimilé au rayon de la roue, comme ayant les pieds sur la circonférence et la tête touchant le centre ; et en effet, dans le ‘microcosme’, on peut dire que sous tous ces rapports, les pieds sont en correspondance avec la Terre et la tête avec le Ciel » (GT, 193).

D’autre part, la différence entre l’homme véritable et l’homme transcendant, d’après René Guénon, peut se comprendre également ainsi : « le centre de l’état humain peut être représenté comme le pôle terrestre (donc, l’homme véritable), et celui de l’Univers total comme le pôle céleste (donc, l’homme transcendant) ; le pôle terrestre est comme le reflet du pôle céleste, ces deux pôles sont joints l’un à l’autre par l’Axe du Monde, suivant la direction duquel s’exerce cette Activité du Ciel » (GT, 201). Mais, pour nous celui qui est parvenu à l’état de l’homme véritable a atteint en même temps l’état de l’homme transcendant.

Chapitre 3 le centre spirituel découvert dans l’oeuvre romanesque de Raymond