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Lorsqu’on observe le comportement de l’isard adulte vis-à-vis de l’homme, il faut noter deux réactions opposées : la curiosité et la fuite panique. La curiosité est surtout le fait des mâles solitaires, peut-être parce que tout ce qui est nouveau sur leur territoire mérite d’être vu de près, contrôlé et identifié.

« 12 mai. Montagne d’Aragnouet. Je m’installe pour mon casse-croûte, tout à fait à découvert en pleine vue. Machinalement, j’étale à mes côtés une serviette blanche pour poser mon repas. Un isard apparaît à une grande distance, 800 mètres au moins. Peu à peu, il se rapproche. Plus que 50 mètres. Je reste parfaitement immobile. L’isard émet quelques sifflements, s’avance encore. Il n’est plus qu’à 10 mètres. Nous nous regardons environ 3 minutes, il tape du pied, continue à émettre des « pschhh », et semble ne toujours pas comprendre ce que représente cette forme et cette tache blanche devant lui. Qu’est-ce qui peut bien le pousser à approcher autant? Je bouge un bras. Il a compris et démarre en trombe » (Jean Pujo-Menjouet) (6).

Les jeunes, surtout au début de leur deuxième année, sont aussi très curieux.

« Début juillet, en Aspe. Un éterlou débouche, ayant perdu la harde de vue. Il nous voit, à 800 mètres et vient. Nous ne bougeons pas et ce n’est qu’à environ 40 mètres de nous, qu’il se rend compte que nous ne sommes pas ses congénères et s’enfuit! » (Claude Berducou) (6).

Ce comportement de curiosité est exacerbé en période de rut. Les vieux chasseurs connaissaient le « truc » et en usaient volontiers. Certains n’y croyant pas, histoires de chasseurs pensaient-ils, ont voulu l’expérimenter et ont dû se rendre à l’évidence.

« Un gros mâle nous observe du pied des falaises du pic Labas. Nous restons en lisière du bois, cachés derrière un vieux sapin. Tout près, il y a un sorbier. Je le secoue régulièrement par saccades, puis je marque des temps d’arrêt. Daniel qui voit l’isard m’informe qu’il semble intrigué, qu’il ne nous quitte pas des yeux, et je répète mes secousses. « Attention! » me dit à voix basse mon compagnon, « il arrive à toute vitesse ». Nous nous cachons derrière l’arbre. A peine quelques secondes... Daniel me montre du doigt, à 2 mètres de nous, l’isard la gueule ouverte, la langue pendante, cherchant à nous voir. Nous faisons le tour de l’arbre en même temps qu’il avance. Soudain face à face avec deux hommes, notre isard connaît bien la plus grande frayeur de sa vie, exécute une volte-face et une fuite encore plus rapides que sa charge » (Christian Ringeval) (6).

Tout à fait différent, le comportement de la mère accompagnée de son petit. Alors qu’elle est capable d’opposer une résistance farouche à un prédateur, à l’aigle en particulier, face à l’homme, la mère isard ne montre plus aucun courage. Apeurée, paniquée, elle prend la fuite. Si son chevreau est encore trop faible et trop maladroit pour la suivre, elle l’abandonne. Le jeune est alors à la merci de l’homme. La technique était connue par les professionnels de la capture de jeunes isards. Les Espagnols, entre autres, profitaient pleinement de cette attitude de la mère, pour s’emparer des jeunes. De la dépouille du chevreau, ils confectionnaient des

sacs en peau très demandés, forts beaux de surcroît, la peau des pattes de l’animal constituant les bretelles et les sangles du sac, le tout cousu main, bien entendu.

Cependant, le comportement de l’isard vis à vis de l’homme est différent selon qu’il soit chassé ou protégé. L’isard pourchassé se méfie énormément de l’homme et fuit rapidement.

Par contre dans les zones où l’isard est protégé depuis plus de 20 ans, il semble être indifférent à l’homme.

« Premier mai, vallon de Campbielh. Une harde de 26 isards broutent en toute quiétude l’herbe verte des prés des Estarets alors qu’à 100 mètres de là, un berger fend du bois devant sa grange et que le chien est couché sur le mur » (Gérard Nogué) (6).

Dans certains endroits, il tolère sans problème la circulation proche des cars et des voitures, comme c’est le cas au Pont d’Espagne, en hiver. Pour celui qui veut observer des isards de très près, sans prendre trop de précaution, c’est un endroit tout indiqué. Ce comportement est particulier à ces lieux. Il peut paraître décevant pour certains observateurs qui l’assimilent à une dégénérescence ; pour d’autres, par contre, il s’agit d’une adaptation et d’une limitation des pertes en énergie lors de longues fuites. En effet, l’hiver, les conditions de vie étant difficiles pour l’isard, c’est de survie qu’il faut parler, et la nature impitoyable ne lui fera pas de cadeaux. De plus, il semble que la météo influence fortement son attitude : le vent de sud le rend nerveux et fuyard, par contre, il rechigne à se déplacer pendant les fortes averses printanières qui semblent le plonger dans la torpeur.

Photo n°2 : isard en pelage d’hiver (14)

Ainsi, l’isard est remarquablement bien adapté au milieu montagnard. Les particularités de cet environnement difficile (froid, altitude, neige, relief escarpé) supposent des adaptations anatomiques, morphologiques, mais aussi comportementales. La vie sociale et l’occupation de l’espace sont étroitement liées et déterminées notamment par la recherche de nourriture.

La connaissance approfondie de cette organisation sociale, des déplacements saisonniers et journaliers, ainsi que des paramètres de population, est primordiale pour aborder la chasse à l’isard. Elle conditionne, non seulement la technique de chasse, mais aussi la gestion des prélèvements à effectuer.