• Aucun résultat trouvé

1 2 L’après-guerre 14-

Elle marque une première évolution dans la chasse à l’isard. Le retour des poilus ne se fit pas les mains vides : les fusils de guerre « Mauser » envahirent les vallées. Non seulement, chaque chasseur revint au pays avec son arme de soldat, mais on peut inverser ce propos : chaque possesseur de « Mauser » ou presque devint chasseur d’isard! A tel point que le 25 novembre 1921, le ministre de l’Agriculture, par une circulaire aux préfets, déplore, impuissant :

« Il m’a été signalé que dans les départements des Alpes et des Pyrénées, il avait été fait cette année, une grande destruction de chamois, de bouquetins et d’isards, au moyen de fusils de guerre... La législation actuelle ne vous autorise pas à interdire la chasse à l’aide de ces armes, mais vous pouvez en interdire l’usage sur les routes... » (6).

Cela se traduisait localement sous la plume de Jorré dans un article sur « La chasse dans le haut Ossau », de la façon suivante :

« La chasse a décidément perdu son caractère aristocratique (!!!!)... Avant la guerre, on délivrait, bon an mal an, à Laruns, 5 permis de chasse ; aujourd’hui, leur nombre dépasse 150. C’est beaucoup trop » (6).

Peu à peu, les « Mauser » prennent de l’âge, des armes plus sophistiquées les remplacent, équipées de lunettes de visée. Dans les vallées pyrénéennes, de plus en plus, tout le monde

chasse, mais il émerge toujours quelques chasseurs célèbres. Un des plus connus, tant par son originalité que pour ses fonctions, c’était celui que tout le monde connaissait bien au-delà des Hautes Pyrénées, sous le titre de « Curé de Pierrefitte », le fougueux abbé Louis Pragnières (1), auteur d’un livre aussi bouillant que lui, « A la poursuite des izards ». Si son livre est un poème, sa vie le fut aussi : lorsqu’il n’était pas en procès avec la maréchaussée... il l’était avec l’évéché! Prémonitoire cette réflexion qu’il fit bien avant la création du Parc National, amusante aussi sous la plume du plus grand et du plus sympathique braconnier qu’abrita le ciel pyrénéen :

« Il y aura toujours des izards, mais pour qu’ils soient nombreux, que soient arrêtées les mesures nécessaires : règlement judicieux établi par des hommes compétents, surveillance effective... qu’elles soient prises sans tarder : car il faut qu’il y ait toujours des izards » (1).

On pourrait citer d’autres grands noms de chasseurs du vingtième siècle : François Vignolles de Barèges, Prosper Poulot d’Arrens, François Boyrie de Cauterets... Certains étaient même des skieurs d’élite, voire d’authentiques champions de classe internationale. La montagne, sous toutes ses formes, n’avait aucun secret pour eux.

III. 1. 3. Aujourd’hui

La chasse à l’isard n’est plus le fait d’une minorité de professionnels. Elle est le loisir et la joie d’un grand nombre. Pour bien des jeunes issus de la montagne, elle constitue la seule occasion de retrouver leurs racines. Leur profession les éloigne de plus en plus de leur pays : la chasse leur est excellent prétexte pour y revenir, redécouvrir les lieux de leur enfance ou de celle de leurs pères. Dès que septembre arrive, la fébrilité gagne les vallées. Chaque chasseur sent se réveiller en lui le sens montagnard : intrépidité, agilité, audace. Il veut se prouver à lui-même qu’elles sont encore aujourd’hui les qualités de la race. Projets, discussions, départs avant le jour ou nuits à la belle étoile, chacun se sent redevenir ce que la vie moderne lui interdit quotidiennement d’être : un homme fier de courir le pays de ses origines, de vivre pendant quelques semaines une vie qui lui est désormais impossible ailleurs.

La chasse à l’isard est un savoir qui se transmet de père en fils : les gens du cru n’incorporent pas toujours les citadins dans leurs équipes et ne souhaitent pas les initier à leurs secrets ou leur connaissance du milieu et des habitudes du gibier. En effet, connaître les passages et les petites vires où l’homme comme l’animal, a du mal à traverser, se transmet entre parents et enfants ou amis. Les chasseurs d’isards considèrent cette information, comme faisant partie de leur patrimoine familial ou social.

Mais la chasse est parfois aussi l’occasion de commettre erreurs et excès qui ternissent l’image même de la chasse et du chasseur de montagne. Si les fautes de quelques-uns ne doivent pas jeter le discrédit sur l’ensemble, il convient pour cela de les dénoncer.

Que sait-on aujourd’hui de la répartition des isards dans notre montagne? En 1990, plus de 4000 d’entre eux étaient dénombrés dans le Parc National des Pyrénées, quelques centaines seulement en territoire chassé. Ce contraste serait-il justifié par une saveur particulière des estives du Parc ou par une attirance pour les crêtes frontalières?

Qu’observe-t-on aux frontières du Parc depuis de trop nombreuses années? Le long d’une impressionnante ligne Maginot cynégétique, des chasseurs, canon pointé sur les lieux de passage naturel de l’isard, guettent au jour de l’ouverture, l’isard qui, ignorant les découpages

administratifs et les dates d’ouverture, vient innocemment se présenter dans le champ de tir, qui la veille encore, était son tranquille domaine. Ainsi, des massifs entiers sont devenus des déserts cynégétiques, les isards se cantonnant dans le Parc National.

Il faut une prise de conscience des chasseurs, permettant un retour progressif des isards dans de nombreux territoires qu’ils occupaient naguère. La création de réserves où l’on réintroduit des isards et où l’on ferme la chasse pendant un certain nombre d’années, est un premier pas. De même, le plan de chasse (voir plus loin) instauré en 1989, commence à porter ses fruits.

III. 1. 4. Le braconnage (6)

Activité débonnaire du paysan de montagne d’autrefois, qui cherchait avant tout à améliorer son quotidien, le braconnage est aussi aujourd’hui, cette louche pratique, exercée par des individus aux goûts douteux, n’hésitant pas à pénétrer dans les parcs et les réserves pour abattre lâchement des animaux sans méfiance. Aussi, c’est semble-t-il, un abus de langage que de rassembler sous un même vocable, l’activité ancienne plutôt sympathique et l’inexcusable pratique qu’est le braconnage moderne.

Bien différentes en effet, sont les motivations de ce dernier, l’appât du gain y joue parfois un rôle important, favorisé par de véritables réseaux d’écoulement de la viande ou la vente des trophées. Pour d’autres, c’est le goût de la collection : de la bête abattue n’est alors récupérée que la tête, voire même les seules cornes! L’élargissement du cercle des adeptes vers les villes compte certainement pour beaucoup dans ce que l’on pourrait y qualifier d’évolution culturelle du braconnage. Probable et confuse manifestation d’une frustration de contact avec la nature, le braconnage est aussi une forme de sport nouveau où la violation de l’interdit et le risque d’être pris constituent le sel même de l’aventure. Pour le bourgeois fortuné, blasé de loisirs classiques, voici encore un terrain nouveau, riche en émotions fortes si intéressantes à raconter dans les salons feutrés.

Un important progrès technologique des moyens adoptés a bien sûr accompagné l’évolution moderne du braconnage : au vieux tromblon d’autrefois, bruyant et approximatif, a succédé l’arme trafiquée, démontable, redoutablement précise et si petite qu’elle peut être cachée sous les vêtements : le silencieux qui masque la détonation, la lunette de visée à infra-rouge qui permet de tirer la nuit ou le poste radio-émetteur pour communiquer avec un complice en faction.

Ainsi, la pratique de la chasse à l’isard a beaucoup évolué en deux siècles. Jusqu’à la première guerre, elle ne concernait qu’une minorité de grands chasseurs, vivant de la vente des isards et réalisant de véritables tableaux au cours de leur vie (plus de 600 isards). La montagne n’avait pour eux aucun secret. Chasser avec des équipements succincts et des armes antiques constituait une véritable prouesse, réservée à des spécialistes. L’arrivée, après la guerre de 14- 18 d’armes plus sophistiquées, a démocratisé la chasse à l’isard. Le nombre de chasseurs a considérablement augmenté. Aujourd’hui, il reste quand même une certaine tradition dans cette chasse où il faut une bonne connaissance de la montagne et de l’isard.

III. 2. Structure et réglementation de la chasse à l’isard