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L’hôpital : Le réveil

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 42-45)

La pédopsychiatrie a-t-elle un avenir ? L'intégration scolaire …

1.2. Une histoire mouvementée des relations entre les familles, l’école et l’hôpital

1.2.4. L’hôpital : Le réveil

C’est bien dans cette zone intermédiaire, située entre les deux pôles du champ de l’enfance inadaptée (Education nationale, établissements médico-éducatifs) que s’est développée la pratique des CMPP à partir des années 60, et c’est en empruntant cette voie que l’hôpital, à partir des années 70, va se replacer au cœur du dispositif et enflammer un débat entre les tenants du soin, essentiellement nourris par la psychanalyse et son approche clinique, et les partisans de la rééducation qui articulent leur pratique autour des notions de handicap et d’incapacité. De plus en plus, les structures de soins auront vis à vis de l’école des demandes d’intégration scolaire pour les enfants suivis dans leur service. Demandes paradoxales sur le fond, puisque nous avons vu que le développement du champ de l’enfance inadaptée s’est d’abord, et avant tout, construit sur les bases d’une logique plaçant à l’extérieur de l’institution scolaire les enfants les plus en difficulté. Voilà qu’il faudrait maintenant les maintenir dans l’école !

C’est en 1960, par la circulaire du 15 mars qu’est définie la politique de sectorisation de la psychiatrie, soit un secteur pour 70000 habitants. Elle ne concerne que la psychiatrie adulte et il faudra attendre la circulaire du 4 septembre 1970 pour voir la création des intersecteurs de psychiatrie de l’enfance et de l’adolescence qui desservent à peu prés une population de 200000 habitants ; soit une population de 60000 à 70000 enfants de moins de 16 ans. Mais c’est le 16 mars 1972, par une nouvelle circulaire fondatrice, que sont énoncées les orientations préventives et curatives sur la politique sectorielle en psychiatrie infanto-juvénile. Ce dernier texte indique que la priorité doit être donnée aux moyens qui permettent de maintenir l’enfant dans son milieu naturel, sa famille, son école.

Au cours de cette période post 1968, l’implication sociale est au premier plan dans le traitement des maladies mentales. Les conceptions qui s’affirment dans ces textes font

41 Décret du 18 février 1963 autorisant la création des CMPP.

ressortir que toute pathologie mentale doit être envisagée à travers le lien dialectique qui unit le processus morbide aux incapacités et désavantages sociaux observés chez les enfants. Dès lors, aux actions proprement thérapeutiques, le soin est appelé à articuler des mesures éducatives et pédagogiques conduites de préférence en milieu scolaire ordinaire. Sous cet éclairage, l’opposition maladie-handicap, ou curable-incurable, paraît consommée puisqu’il importe bien davantage de coordonner autour de l’enfant des moyens mis en oeuvre à différents niveaux, en évitant aussi bien la subordination de l’un des versants à l’autre et impliquant les trois ministères : Santé, Education nationale, Action sociale.

Mais c'est compter sans la loi du 30 juin 1975 qui, comme un acte manqué, en institutionnalisant le concept de "handicap" et ses aspects réducteurs, a pour effet de réintroduire au premier plan des modes de compréhension cliniques périmés en confortant la séparation entre l’Education nationale et les institutions spécialisées. L’intersecteur naissant lui, pris dans l’entre-deux, se trouve ainsi renvoyé à sa fonction soignante (c’est à dire psychothérapique), et mis en défaut dans ses orientations préventives et curatives énoncées par la circulaire de 1972.

La décennie qui suit est donc marquée par le "développement séparé" où l’on voit l’école, l’internat spécialisé, le secteur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, développer respectivement leurs outils de travail, à partir de conceptions totalisantes par lesquelles chacun proclame sa vérité sur l’enfant. Alors que l’école renforce son propre dispositif de dépistage et de rééducation par la démultiplication des GAPP (Groupe d’Aide Psycho-Pédagogique et aujourd'hui Réseaux d'Aide Scolaire pour Elèves en Difficultés), les services de psychiatrie de l'enfance accélèrent l’ouverture des Hôpitaux de Jour, conçus sur le modèle de la cure analytique dans le pur respect d’une pensée psychanalytique régnante.

Alors que les institutions spécialisées de leur côté, prises dans l’activisme des associations familiales, connaissent également des développements sans précédent en se segmentant en autant de catégories qu’il existe de types de difficulté (instituts de rééducation, instituts médico-éducatifs, instituts à caractère somato-psychologique, maisons à caractère social, etc.)

Pour essayer de trouver un accord sur des positions acceptables par tous les intervenants, une commission tripartite a réuni en 1983 et en 1984, des représentants des divers ministères ou directions ministérielles concernés : Santé, Action sociale, Education nationale. De ces travaux, se sont dégagés les points suivants qui nous sont rappelés par Mises42R. (1993) :

• Tous les enfants qui exigent des actions conjointes doivent bénéficier d’une scolarisation en milieu normal, notamment dans une visée préventive et sans que, pour cela, ils soient inscrits systématiquement dans les filières de la loi de 1975.

• Il convient d’établir en commun, entre l’école et l’équipe de santé mentale, un projet individualisé pour chaque enfant, où les composantes clinique et thérapeutique doivent se coordonner avec les composantes éducative et pédagogique.

Paradoxalement, les circulaires produites au cours de cette période, bien que signées conjointement par le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la santé, enflamment le débat sur le terrain en réactualisant les craintes issues de la loi de 1975. En effet, comme à

42 Mises R. (1993), "quelques repères", in L’information psychiatrique, 69, 8, PDG communication, pp 697-702.

son habitude l’école plie mais ne cède rien. Son développement historique montre qu'elle s’est progressivement dégagée de sa responsabilité éducative à l'égard d’une école pour tous, quelle que soit la différence. Elle a par ailleurs considérablement approfondi son approche pédagogique, mais pour la destiner à un enfant de plus en plus responsable et autonome. Elle commence aussi à connaître des difficultés auprès de cette population d’enfants dits

"ordinaires" et qui montrent de grandes disparités dans leurs capacités à se fondre dans le moule pédagogique. Enfin, les enseignants comprennent mal la nécessité d’accueillir un enfant handicapé alors qu’il existe des établissements spécialisés pour cet enfant et qu'ils ne se reconnaissent pas les compétences pour les accompagner. Aussi, quand il s’agit de proposer un "Projet Educatif Individualisé43 (PEI)", s’inscrivant dans une action globale, ils exigent souvent que soit assurée l’unité de la responsabilité de l’institution scolaire à l’égard de l’enfant. Autrement dit, nous travaillons ensemble si, et seulement si, la nature de votre intervention concourt aux objectifs de l’éducation nationale. Ce qui ne manque pas de tendre les relations entre les équipes de soins et les équipes pédagogiques.

En 1989, dans le cadre d’une communication présentée à la 6ème journée de psychiatrie infanto-juvénile de la région grenobloise consacrée à l’échec scolaire, jeune psychologue, nous évoquions ces difficultés d’harmoniser, voire de concilier la scolarité et les nécessités du soin44. Nous pouvons relire : "Dans cette articulation incontournable entre le pédagogique et le thérapeutique, il est fréquent de voir les intérêts respectifs entre l’institution éducation nationale et l’institution santé, initialement convergents, dévoiler progressivement leur visage de contradiction. Les objectifs implicitement reconnus par tous, soit réintégrer l’échec scolaire dans tous ses sens et non pas le réduire à des insuffisances instrumentales ou conceptuelles, permettre à l’équipe soignante d’engager un travail à travers une démarche complexe associant sur un mode dialectique l’aide et le soin ; ces objectifs se métamorphosent progressivement et s’avèrent parfois incompatibles."

Le plus souvent, le message transmis par l’école exprime alors la volonté d’une orientation vers une autre structure réputée plus adaptée à la problématique de l’enfant, la plupart du temps un internat spécialisé. Cette dissonance des points de vue révèle les indices d’une différence culturelle importante entre les deux institutions. Dans ce sens, l’organisation institutionnelle est un lieu important de régulations culturelles dans le cadre duquel l’acteur social n’est pas que le produit d’une série d’opportunités de jeux, comme le suggère Crozier45 M. (1977) en désignant l’acteur par l’incertitude qu’il contrôle dans les rapports de pouvoir.

L’organisation est ici le cadre d’un processus de formation des identités collectives par l’élaboration de traits culturels communs au sein du groupe ou de l’institution. C’est parce que tels ou tels comportements personnels ont été pré-orientés par des systèmes de valeurs, des modèles de signification, des principes imposés sous forme de mythes, que l’on peut parler de cultures lentement élaborées, transmises et actives dans les rapports au travail.

Au cours de cette période, l’école et les institutions de soins ne se comprennent pas.

Leurs cultures respectives, et donc les valeurs véhiculées par l’acteur, s’étayent sur des principes parfois antinomiques au point de rendre incompréhensible à l’un la lecture du comportement de l’autre. Ici, l’incommunicabilité procède de l’incompatibilité des discours respectifs, traduction directe de l’antagonisme de théories sur l’enfant reprises dans une perspective totalisante :

43 Projet Personnalisé de Scolarisation, ou Projet Personnalisé de Scolarisation (PPS) dans la nouvelle loi.

44 Manin S. 1989, "Relations interinstitutionnelles : Structure de soins ; institution scolaire", 6ème journée de psychiatrie infanto-juvénile, actes du colloque, Institut de la Terrasse.

45 Crozier M., Friedberg E., (1977), L'acteur et le système, Paris, Seuil.

• Alors que l’approche pédagogique de l’enseignant impose qu’il soit sans cesse une force de proposition pour l’enfant, introduisant des supports de nature à provoquer les apprentissages, le thérapeute ne propose rien, partira des propositions de l’enfant pour engager des interactions et développer la relation psychothérapique. C’est l’enfant qui apporte son matériel au sens immédiat du terme et au sens symbolique. Il le déposera entre l’adulte et lui comme élément de rencontre, dans un climat de confiance partagée.

• Alors que l’école, par son fonctionnement et sa fonction, structure le temps de l’enfant, tenue par un cahier des charges des apprentissages imposé par une société sans cesse en expansion et ayant assigné aux études des finalités économiques et sociales, l’espace thérapeutique donnera du temps à l’enfant, voire le situera hors du temps.

• Alors que la fonction sociale de l’école sera de privilégier le collectif par rapport à l’individuel, la démarche de soins n’a de considération que pour les productions spécifiques de l’enfant.

Dans ces conditions, il peut paraître légitime de voir l’école proposer une orientation spécialisée à des enfants qui, historiquement on l’a vu, n’ont plus leur place depuis longtemps sur les bancs des classes ordinaires de l’éducation nationale.

Et pourtant, sur le terrain, parallèlement et nonobstant les difficultés évoquées ci-dessus, un dialogue s’avère malgré tout possible, ouvrant vers des pratiques nouvelles qui déborderont du simple caractère expérimental. Au fil du temps, chacun commence à apprendre la richesse de la différence et, l’intégration d’instituteurs dans les hôpitaux de jour, les pratiques d’intégration scolaire de certains pédopsychiatres novateurs, assouplissent les positions et apportent de la rondeur aux points de vue. Au cas par cas, les conventions d’intégration commencent à se multiplier et des aménagements positifs pour l’enfant, réalisés en commun accord, permettent que le recours aux filières de la loi du 30 juin 1975 perde son caractère systématique. Des formes institutionnalisées, malheureusement encore trop rares, font leur apparition à travers les classes thérapeutiques et les classes "externalisées" des hôpitaux de jour.

Ainsi, sous l’impulsion des parents qui prennent conscience des bienfaits de l’intégration et qui s'inquiètent pour l’avenir de leurs enfants dans une société de plus en plus compétitive. En raison également de l’augmentation des droits des usagers et face aux abus parfois de la psychanalyse dans certaines institutions de soins, Hochmann J. (1995) pose la question : "L'hôpital de jour est-il dépassé46 ?" Une fois de plus, l'hôpital se retrouve aux portes d'une nouvelle crise identitaire.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 42-45)