• Aucun résultat trouvé

L E GEOBLOCKING

Dans le document Avis 19-A-12 du 04 juillet 2019 (Page 137-141)

C. LE COMMERCE EN LIGNE

3. L E GEOBLOCKING

579. L’ « égalité réelle » consacrée par la loi EROM implique entre autres que les consommateurs ultramarins puissent accéder librement aux sites de commerce en ligne et bénéficier de conditions non discriminatoires par rapport aux consommateurs métropolitains. Les restrictions géographiques ont été considérées au moment de l’élaboration de la loi EROM comme « un des sujets majeurs [à] traiter » par les pouvoirs publics.

580. À l’échelle européenne, dans le cadre de son enquête sectorielle sur le secteur183, la Commission européenne a mis en exergue l’importance du commerce en ligne transfrontière en ce qu’il peut « contribuer à l’intégration du marché intérieur ». La Commission a indiqué à cet égard avoir constaté l’existence de « restrictions géographiques à la vente (…) en ligne » : « il n’est souvent pas possible pour les consommateurs d’effectuer des achats transfrontières en ligne car les détaillants refusent de vendre aux clients à l’étranger, par exemple en bloquant l’accès aux sites web, en redirigeant les clients vers des sites web ciblant d’autres États membres ou simplement en refusant de fournir des produits ou des services au-delà des frontières ou d’accepter les paiements transfrontières. Ces mesures sont connues sous le terme de « blocage géographique » »184.

581. Le règlement n° 2018/302 du Parlement européen et du Conseil du 28 février 2018 (ci-après le « Règlement geoblocking ») vise à « contrer le blocage géographique injustifié et d’autres formes de discrimination fondées sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d’établissement des clients dans le marché intérieur ». Ce texte interdit aux enseignes de commerce en ligne les pratiques suivantes :

- bloquer ou limiter l’accès d’un client à leur site pour des motifs liés à la nationalité ou au lieu de résidence du consommateur ;

- rediriger un client, pour ces mêmes motifs, vers une version différente du site auquel le consommateur a initialement voulu accéder, sans consentement exprès du client et sans lui donner la possibilité d’accéder facilement à la version « initiale » du site ; - appliquer des conditions générales d’accès aux biens (telles que les prix, conditions

de paiement ou de livraison) différentes selon la nationalité ou le lieu de résidence du consommateur, si le client cherche à acheter un produit pour se faire livrer dans un État membre vers lequel la livraison est proposée dans les conditions générales d’accès ;

- discriminations liées au moyen de paiement.

582. Ces différents instruments juridiques n’interdisent pas aux acteurs du commerce en ligne de différencier le contenu de leur promesse commerciale selon les clients, en fonction de leur stratégie propre et si cela est justifié par des facteurs objectifs particuliers tels que les coûts et investissements à supporter, l’éloignement, l’insularité, le mode de transport spécifique utilisé et/ou la topographie d’un territoire, etc. Les enseignes demeurent ainsi libres, sous réserve du respect des règles précitées, de ne pas livrer certaines zones géographiques, de restreindre les gammes de produits livrables dans certaines zones géographiques, ou encore de faire régler au consommateur des frais de livraison d’un montant différent selon la destination.

183 Cf. décision de la Commission européenne du 6 mai 2015 ouvrant une enquête sur le secteur du commerce électronique conformément à l'article17 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, C(2015) 3026 final.

184 Rapport final de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen relatif à l’enquête sectorielle sur le commerce électronique, 10 mai 2017, COM (2017) 229 final, paragraphe 45.

583. Les enseignes consultées ont déclaré ne pas subir, contractuellement ou de facto, de limitations ou d’interdictions de la part de leurs fournisseurs quant aux livraisons dans les DROM. Les acteurs exploitant des places de marché ont également indiqué ne pas mettre en œuvre de pratiques consistant à restreindre les territoires ultramarins dans lesquels les vendeurs tiers présents sur leur site pourraient livrer.

584. Tout au plus, certaines enseignes consultées indiquent :

- utiliser l’adresse IP de l’internaute pour afficher une présentation et une offre plus adaptées aux consommateurs locaux (affichage différent quant aux délais de livraison, promotions spécifiques, exclusion de produits non livrables, etc.) ; ou - utiliser l’adresse postale renseignée par l’internaute pour proposer des prix hors taxes

et non plus toutes taxes comprises.

585. Les enseignes consultées ont également indiqué ne pas proposer de tarifs plus élevés aux consommateurs ultramarins du fait de leur localisation, ceux-ci restant par ailleurs libres de se faire livrer en métropole. Par ailleurs, les enseignes qui exploitent des sites internet locaux spécifiques (avec des noms de domaine locaux « .gp », « .re », etc.), laissent aux consommateurs ultramarins libre accès au site « principal ».

586. Enfin, des tests « client mystère » effectués dans le cadre de l’instruction sur plusieurs sites d’enseignes à partir d’ordinateurs situés dans les DROM, montrent qu’un internaute situé dans un DROM peut se faire livrer en métropole, sans difficulté particulière.

587. Malgré l’entrée en vigueur du Règlement geoblocking, il demeure une ambigüité quant à son applicabilité aux transactions – ou aux tentatives infructueuses de transactions – entre les consommateurs ultramarins et les enseignes basées dans l’Hexagone livrant les consommateurs métropolitains.

588. En effet, bien que le droit européen soit, en principe, applicable aux DROM185, le Règlement geoblocking exclut de son champ d’application les « situations purement internes, à savoir lorsque tous les éléments pertinents de la transaction sont cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre »186, et « notamment la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d'établissement du client ou du professionnel, le lieu d'exécution, les moyens de paiement utilisés dans le cadre de la transaction ou de l'offre, ainsi que l'utilisation d'une interface en ligne »187.

589. En toute rigueur, pour déterminer si le Règlement geoblocking peut bénéficier aux internautes des DROM, il faudrait déterminer in concreto si une situation donnée est ou non

« purement interne », c’est-à-dire si tous les éléments de la transaction sont nationaux.

590. Par exemple, en présence d’un consommateur résidant en Guyane souhaitant passer commande avec une carte bancaire émise par un établissement français sur un site hébergé en métropole, exploité par une société immatriculée en métropole et dont les produits se trouvent stockés en métropole, a priori, le Règlement geoblocking ne devrait pas être applicable, tous les éléments caractérisant la situation étant internes. En revanche, si les serveurs hébergeant le site sont localisés en Espagne et que les entrepôts de l’enseigne se

185 S’agissant de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion, l’article 355.1. du TFUE prévoit que « les dispositions des traités [leur] sont applicables » ; Mayotte, qui fait partie de la catégorie des

« pays et territoires d’outre-mer », est soumis à un « régime spécial d’association » (article 355.2. du TFUE), selon lequel, notamment, « les États membres appliquent à leurs échanges commerciaux avec les pays et territoires le régime qu’ils s’accordent entre eux en vertu des traités » (article 199.1. du TFUE).

186 Règlement (UE) 2018/302, précité, article 1.2.

187 Règlement (UE) 2018/302, précité, considérant 7.

situent en Belgique, on peut supposer que la situation serait analysée comme n’étant pas

« purement interne », rendant le texte précité opérant.

591. Ainsi, un consommateur résidant à La Réunion naviguant sur un site allemand bénéficierait de la protection du Règlement geoblocking, mais risquerait de ne pas être couvert en navigant sur un site français.

Encart n° 8 : Synthèse sur le commerce en ligne

Le commerce en ligne constitue potentiellement un facteur de désenclavement des populations des DROM et de lutte contre la vie chère. Malgré les opportunités qu’il présente, le secteur du commerce en ligne en outre-mer souffre d’un retard de développement, un nombre significatif d’enseignes actives en métropole étant absentes des territoires ultramarins. Cette situation s’explique essentiellement par l’existence de fortes barrières et de contraintes, d’ordres logistique (frais et délais de livraison, service après-vente) et douanier (octroi de mer notamment).

Face à ce constat, l’Autorité souhaite formuler plusieurs recommandations.

Les premières préconisations portent sur l’octroi de mer, qui engendre une grande complexité pour les enseignes de commerce en ligne, ainsi qu’un manque de transparence quant au prix final à payer par le consommateur en l’absence d’information sur son montant exact. Son impact sur le prix est également considéré comme élevé, d’autant plus que son assiette comprend les frais de transport. Pour ces raisons, les mesures suivantes pourraient être envisagées :

Recommandation n° 14 : réaliser une étude d’impact sur l’adoption d’un octroi de mer à taux réduit et unique, pour l’ensemble des produits vendus en ligne BtoC, de manière à accroître la visibilité des prix sur les sites marchands, et à simplifier les aspects logistiques et douaniers pour les enseignes.

Recommandation n° 15 : réaliser une étude d’impact concernant l’exclusion des frais de transport de l’assiette de l’octroi de mer, pour les produits vendus en ligne BtoC, afin notamment de réduire le montant des frais de livraison.

Recommandation n° 16 : adopter une réglementation en droit de la consommation obligeant les enseignes de commerce en ligne à afficher de manière visible – lorsque le consommateur a été identifié comme souhaitant se faire livrer dans un DROM – à proximité du prix ou dans le tunnel d’achat, une rubrique ou un lien cliquables intitulés « taxes et octroi de mer », informant le consommateur sur l’existence de ces taxes et des taux applicables.

La deuxième série de pistes de réflexion proposées par l’Autorité concerne des aspects liés à la logistique, à la livraison et au service après-vente.

Recommandation n° 17 : afin d’encourager l’envoi groupé de colis, il pourrait être envisagé d’adopter une réglementation permettant l’accomplissement d’une seule formalité douanière pour des colis groupés, lorsque les produits expédiés sont soumis aux mêmes impositions ; cela permettrait de réduire à la fois les frais douaniers et de transport. Cette mesure contribuerait aussi à renforcer l’attractivité de la solution de réexpédition, permettant aux consommateurs de commander des produits sur des sites de commerce en ligne qui ne proposent pas la livraison en outre-mer.

Recommandation n° 18 : il conviendrait également de renforcer les contrôles des autorités compétentes sur le bon respect par les enseignes de commerce en ligne de la règle légale les obligeant à ne faire supporter aucun frais aux consommateurs ultramarins lorsque ceux-ci exercent leurs droits au titre de la garantie légale de conformité.

La dernière préconisation de l’Autorité concerne le Règlement européen n° 2018/302 du 28 février 2018 relatif au geoblocking.

Recommandation n° 19 : compte tenu de l’incertitude quant à l’applicabilité de ce texte aux situations impliquant un consommateur des DROM et un site basé en métropole, il conviendrait de s’interroger sur l’opportunité d’adopter une réglementation nationale reprenant les interdictions du règlement européen. Cela permettrait d’assurer une protection aux internautes ultramarins contre les mesures de blocage géographique et les discriminations susceptibles d’être mises en œuvre par les enseignes de commerce en ligne (bien que l’instruction menée dans le cadre du présent avis n’ait pas révélé l’existence de telles pratiques).

Dans le document Avis 19-A-12 du 04 juillet 2019 (Page 137-141)