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CHAPITRE IV : LES CADRES THÉORIQUES ET LES QUESTIONS DE RECHERCHE

3. Les modèles mentaux

3.2 L’expertise : une synthèse de schémas et modèles

Les Sciences Cognitives ont une riche tradition de recherche sur l’expertise dans différents domaines. La capacité d’abstraction, de stockage et de rappel d’un large ensemble d’information, les stratégies de résolution de problèmes et la souplesse conceptuelle à l’intérieur d’un domaine de connaissance, illustrent ce que signifie être un expert (Petcovic et Libarkin, 2007).

MacEachren (1995) propose un modèle de structure mentale (map schemata) mobilisée lors de l’interprétation cartographique pour représenter et organiser les concepts cartographiques ; ce modèle permet de relier les processus cognitifs issus de l’information cartographique, les rôles de la connaissance, de l’expérience, de la pratique et de l’apprentissage des lecteurs de la carte. Les experts et les novices activent des structures mentales très différentes : l’utilisation de la structure appropriée à une situation donnée, demande de l’apprentissage et de la pratique.

Au fil du temps, comme explique Gobert (2005), les experts développent des compétences spécifiques au domaine, aptes à interpréter l’information visuelle : ces compétences, organisées en schémas, supportent des structures perceptives et cognitives pour diriger et contrôler le flux d’informations que l’expert traite dans la poursuite d’objectifs spécifiques. Grâce à la mobilisation de tels schémas, le traitement de l’information est facilité par l’identification précoce de patterns (ou configurations) communs et récurrents dans le domaine de connaissance. Chacun de ces patterns peut alors être traité comme une seule unité, bien qu’elle représente un ensemble de composants individuels (Kent et Chang, 2008). La Chunking theory (Chase et Simon, 1973) et son successeur, la Template theory, fournissent des résultats crédibles sur comment la mobilisation de schémas, contenant des patterns familiers, facilite le traitement de l’information chez des utilisateurs experts de cartes.

Dans une tâche de lecture d’une carte qui représente un paysage connu, un expert activera une structure mentale qui permet non seulement de « coder » tous les objets visuels dans différents patterns, mais aussi d’intégrer toutes les relations qui existent entre les objets. (Kent et Chang, 2008). Plus précisément, un expert est en condition de : (1) repérer les anomalies ; (2) identifier rapidement les procédés fondamentaux ; (3) vérifier la correspondance entre l’information géométrique ou symbolique fournie par la carte et les caractéristiques géographiques du terrain représenté (Chang et Al, 1985). Gilhooly et Al. (1988) ont prouvé que les étudiants expérimentés utilisent des ‘schémas spécialistes’ (par ex. l’emboitement

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d’éperons rocheux ou autres descripteurs géologiques de haut niveau) pour donner du sens à des cartes topographiques, alors que les étudiants novices, utilisent des ‘schémas de fond’, des descripteurs simples comme collines, rivières et vallées (Clark et Al. 2007).

Les recherches de Rieber (1995) indiquent que le bagage de connaissance individuelle interagit avec les stimuli visuels pour créer des représentations mentales. D’après Lowe (1993), il y a fondamentalement deux types de connaissances : une connaissance générale du domaine et une connaissance spécifique. La première est acquise par la plupart des gens et est applicable à un large panel de situations visuelles ; la deuxième s’appuie sur l’expérience individuelle dans la matière du domaine et permet à la personne d’accéder à la signification scientifique approfondie figurant sur les cartes, diagrammes et autres éléments visuels. Dans le cas d’interprétation des cartes météorologiques en isolignes, Lowe (1993) fait la différence entre des stratégies de classification perceptuelles et sémantiques. Les stratégies de classification perceptuelles sont utilisées par des personnes qui ont un bagage de connaissances générales, afin de décrire les caractéristiques d’une carte avec une terminologie générique, comme les formes ou la position. Au contraire, les personnes avec un bagage de connaissances spécifiques, s'engagent dans des processus de classification sémantique pour développer des modèles fonctionnels et associatifs entre les caractéristiques présentées sur la carte et leur signification sous-jacente (Clark et Al., 2007). Gilhooly et Al. (1988) ont démontré que les lecteurs de cartes expérimentés utilisent leurs connaissances spécifiques du domaine pour coder et stocker les informations. Plus les sujets sont expérimentés plus ils sont en condition d’extraire, d’un stimulus, de larges ensembles d’informations (Clark et Al., 2007). Le lecteur de carte expérimenté exprimera les entités complexes et leurs relations avec un vocabulaire étendu et des labels (Edwards, in MacEachren, 1995). L’action de labéliser implique la capacité de décrire une catégorie et de la caractériser. Crampton (in MacEachren, 1995) confirme les recherches d’Edwards, en prouvant que des experts (comparés à des novices), soumis à un problème de meilleur chemin, ont l’habilité « d’extraire le terrain de la carte » et expriment un large panel de caractéristiques morphologiques. Aussi, ces experts, étaient adeptes d’une méthode, dites d’’attacking’ qui correspond à l’identification facile d’un lieu connu le plus proche de l’objectif final du problème posé. Aucun des novices n’a utilisé cette stratégie d’’accrocahge’ à des lieux connus. Enfin, une autre stratégie-expert, essentielle au processus de résolution de problème a été mise en évidence par Crampton (1992) : l’expert mobilise une auto-analyse de prévention d’erreurs, active et itérative, pour cibler la solution. L’expert aborde la résolution d’un problème spatial par la définition de sous-objectifs, pour

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lesquels il considère les possibles solutions qu’il teste itérativement pour évaluer la plus pertinente (McGuiness in MacEachren, 1995).

Un exemple pratique d’analyse d’expertise a été présenté par Petcovic et Libarkin (2007) dans une recherche en Didactique des Sciences : The Expert-Novice Continuum. Les auteurs ont analysé l’expertise en géosciences et proposé des instructions didactiques qui aident les novices à se rapprocher de l’expertise. Pour les auteurs, l’expertise géologique est essentiellement caractérisée par :

‐ Des modèles conceptuels des processus complexes de la Terre : les géologues doivent être capables de comprendre les modèles complexes et abstraits qui décrivent comment la Terre fonctionne et change dans l’espace et dans le temps ;

‐ Des connaissances spécifiques du domaine, organisées au tour de grands concepts de la géologie : le paléontologue et le sismologue, partagent les mêmes connaissances fondamentales en minéraux, roches et systèmes de transfert, mais pas le même savoir sur la propagation des ondes sismiques ;

‐ La facilité de raisonnement spatial : toutes les habilités spatiales fondamentales (reconnaitre patterns et formes, comprendre les références horizontal et verticales, tourner mentalement les objets, manipuler mentalement une surface ou un volume, déterminer les relations spatiales d’un objet) ont un impact en géosciences ;

‐ L’habilité de visualiser et représenter des ensembles de données dans des modèles mentaux, physiques ou computationnels : les géo scientifiques experts souvent s’appuient sur leur capacité à d’analyse visuelle pour résoudre des problèmes ou des tâches complexes (Abel et Al., 2004). Les compétences d’analyse visuelle et les habilités spatiales sont souvent liées : des lecteurs expérimentés de cartes topographiques passent facilement de la représentation cartographiques au terrain, qu’il soit réel ou en image ;

‐ La facilité à maitriser des concepts à l’échelle spatiale et temporelle : les géo scientifiques traitent des problèmes à l’échelle atomique ou du système planétaire, des processus qui se réalisent en millièmes de secondes et d’autres qui durent des millions d’années.

L’expertise est le produit des interrelations qui se créent au niveau des connaissances et des compétences. Petcovic et Libarkin (2007) proposent un schéma qui illustre ces relations (voir Figure 23).

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Figure 23 Petcovic et Libarkin, The Expert-Novice Continuum. Journal of Science Education,

(2007)

Dans une perspective d’apprentissage, Larkin et Al. (1980) ont observé que les démarches des experts comportent, en règle générale, une analyse préliminaire qualitative du problème, l’usage d’une heuristique, la métacognition (l’évaluation en continu de la progression) et l’évaluation du résultat final. Les novices utilisent rarement ces stratégies et tendent plutôt à chercher directement les équations qui peuvent répondre au problème.