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CHAPITRE IV PRÉSENTATION DES RÉSULTATS ET DISCUSSION

4.2 Présentation, analyse des résultats et discussion

4.2.2 Les rôles de l’ATR

4.2.2.5 L’expertise locale contre la centralisation

À la suite de l’adoption du nouveau modèle d’affaires et de gouvernance de l’industrie touristique et de la création de l’Alliance de l’industrie québécoise qui en résulta, TAT souligne l’importance de l’expertise locale sur son territoire. En effet, un acteur de l’ATR témoigne : « Je trouve ça très important de garder, le “maître chez nous”. On est les meilleurs pour parler de notre territoire. C’est n’est pas vrai qu’un délégué commercial peut vendre l’Abitibi-Témiscamingue comme nous. C’est impossible. Si on arrive à ça un jour, on aura perdu. » (extrait d’entretien, acteur de l’ATR). Étant donné le nouveau modèle de gouvernance, une certaine crainte de centralisation des pouvoirs émerge.

Je pense que les ATR vont avoir de moins en moins de liberté [avec l’arrivée de l’Alliance]. C’est déjà un peu commencé. Il faut qu’on se tienne de plus en plus dans la lignée originale de Québec. Puis, nous notre crainte,

ici, c’est qu’on devienne seulement un bureau régional de l’Alliance (extrait d’entretien, acteur de l’ATR).

On a créé des mouvements de lever de bouclier. Le but, c’était de garder notre autonomie ou notre identité dans les régions. On ne voulait pas se faire centraliser à Québec. On résiste à ça, les Gaulois. On a été les Gaulois en Abitibi-Témiscamingue. Donc, on a un leadership québécois fort, toutes les régions le savent. Si l’Abitibi part d’un bord, ça risque d’influencer tout le monde (extrait d’entretien, acteur de proximité).

Ainsi, les acteurs semblent réaliser l’importance d’avoir une chasse gardée sur leur territoire afin de résister à la centralisation.

Il faut toujours garder une chasse gardée, manifester la vision de notre territoire, parce qu’à Montréal ou à Québec, ils ont toujours des visions différentes de ce que nous on pense (extrait d’entretien, acteur de l’ATR). Sans être nécessairement contre le remaniement du modèle touristique au Québec, la question de l’autonomie est soulevée. « Ça prend un lien sur le terrain et une certaine autonomie, mais je ne suis pas contre l’idée de se rallier pour qu’il y ait une unité plus cohérente à l’international [marketing]. » (Extrait d’entretien, acteur de l’ATR.)

Dès lors, il importe pour l’ATR de bien positionner son rôle sur leur territoire. En développant une expertise locale, l’Association devient indispensable aux yeux de leurs membres et même aux yeux des divers acteurs sectoriels du territoire.

On veut s’ancrer davantage dans le milieu, auprès de nos membres. Leur fournir des services supplémentaires pour qu’ils voient qu’on est là et qu’on est important pour eux (extrait d’entretien, acteur de l’ATR).

Quoi qu’il en soit, perdant une certaine partie de ses responsabilités marketing aux mains de l’Alliance, TAT ne voit pas cela d’un mauvais œil. Au contraire, c’est une occasion d’affaires de se repositionner par ses bonnes pratiques en tourisme durable. TAT souhaite en ce sens pénétrer le réseau international d’organisations comme

l’UNESCO, le CGLU, l’OMT, voire l’ONU pour se faire connaître et reconnaître dans ses pratiques durables, au même titre que le Costa Rica il y a plusieurs années.

On souhaite se faire connaître par ce réseau-là [international], comme le Costa Rica l’a déjà fait il y a 40 ans. Ce n’est pas en faisant de la publicité, c’est dans leurs pratiques de développement durable, c’est dans leur façon de faire qu’ils se sont fait reconnaître et connaître par le réseau international. Ce n’est pas par la promotion. C’est comme ça qu’ils se sont fait reconnaître partout dans le monde (extrait d’entretien, acteur de l’ATR).

Nous, c’est exactement ce qui va nous arriver. On va être un territoire canadien reconnu partout dans le monde pour notre savoir-faire et nos bonnes pratiques. C’est comme ça qu’on va se démarquer (extrait d’entretien, acteur de l’ATR).

Il est reconnu dans la littérature que le « secteur touristique se caractérise par une certaine profusion de labels et de marques de tous genres, signalant l’existence de caractéristiques propres à un territoire » (Charles et Thouément, 2007). En effet, la reconnaissance d’un territoire par des « labels » est certes une source d’attractivité et un possible moyen de développement local (Mollard, 2001, dans Charles et Thouément, 2007). On remarque cependant ici une certaine volonté de dépasser l’échelle québécoise ou canadienne pour obtenir des reconnaissances à l’international. La reconnaissance de leur territoire à l’international est un moyen de se démarquer. L’obtention de « labels » d’une telle ampleur peut être un moyen pour l’ATRAT d’acquérir une légitimité qui ne pourra être contestée à l’échelle locale ou nationale.

La plus récente reconnaissance de la démarche Culturat est l’entrée de l’Abitibi- Témiscamingue comme territoire leader dans le programme Villes leaders de Cités et gouvernements locaux unis (CGLU) (Charlebois, 2019a). Selon l’ATRAT, « grâce à Culturat, l’Abitibi-Témiscamingue est devenue un modèle tout à fait unique d’une région entière qui se mobilise autour de l’application concrète de l’Agenda 21 » (Charlebois, 2019a). Il s’agit donc d’une reconnaissance internationale qui révèle cette

région au même titre que 14 autres villes et territoires internationaux tels que Barcelone, Milan et Rome, pour ne nommer que ceux-là.

Au-delà de l’attractivité touristique, cela est aussi un moyen pour les acteurs de ce territoire de transmettre leurs façons de faire et leurs bonnes pratiques par des réseaux internationaux. La transmission des savoirs et des apprentissages est un élément dans l’analyse de l’innovation sociale et dans le processus d’institutionnalisation de l’innovation.

Pour TAT, cette reconnaissance internationale est une belle occasion de redonner un nouveau souffle à la démarche (Charlebois, 2019a).

Nous sommes toujours à l’affût de nouvelles idées. Nous souhaitons toujours améliorer nos pratiques, notamment en innovation sociale et en médiation culturelle, et l’expérience du réseau des Villes leaders ainsi que le soutien de CGLU seront un atout considérable, mentionne Émilien Larochelle, président de Tourisme Abitibi-Témiscamingue. Pour nous, pour notre région, pour nos membres et nos partenaires, ce sera une belle occasion d’échanger et d’apprendre auprès des leaders mondiaux en culture et en tourisme (Charlebois, 2019a).

Lorsqu’un territoire développe une politique de labels, plus particulièrement de labels touristiques, cela engendre la mise en place d’une gouvernance spécifique (Eymard- Duvernay, 1994, dans Charles et Thouément, 2007). La mise en relation des acteurs sur un territoire afin d’échanger et d’apprendre sur de nouvelles pratiques est en effet synonyme de la mise en place d’une nouvelle gouvernance. « Cette dernière, pour peu qu’elle émane d’une démarche socialement construite, engendre alors, en règle générale, des effets directs et induits non négligeables pour l’ensemble des acteurs et pour l’économie du territoire. » (Pecqueur, 2001, dans Charles et Thouément, 2007)

Par divers moyens, TAT parfait son expertise sur le territoire et assure sa reconnaissance. Pour l’organisme, il importe d’avoir une chasse gardée en matière de

tourisme en Abitibi-Témiscamingue. Son autonomie et son identité sont des points d’ancrage afin d’être maître de sa liberté d’action. Son repositionnement redéfinit-il les lignes de la gouvernance touristique sur son territoire ? Il existe très peu de littérature scientifique sur la gouvernance touristique au Québec. Le nouveau mode de coordination des acteurs amène à approfondir les réflexions selon l’angle de l’innovation sociale et son apport dans les transformations socioterritoriales.