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CHAPITRE II CADRE THÉORIQUE

2.1 Cadre disciplinaire

2.1.1 Sciences du territoire

Le renouveau théorique du concept de territoire, apparu au cours des années 1970, émerge d’une rupture paradigmatique à l’égard de la doctrine keynésienne du développement (Proulx, 2008). Cette rupture est principalement causée par la déception générale en ce qui a trait aux réelles retombées issues des interventions

exogènes qui furent largement déployées au cours des années 1950 pour lancer une croissance économique généralisée à l’échelle planétaire (Proulx, 2008). Il apparut évident par la suite que les territoires réagissaient de manière fort inégale aux politiques keynésiennes de développement. Dès lors, les résultats décevants de ce développement inégal remirent en question le postulat de l’homogénéité et de l’isotropie des espaces qui dominait à l’époque (Proulx, 2008). Ce postulat détrôna néanmoins des phénomènes pourtant bien connus à l’époque tels la centralité, la polarisation, le drainage, la distance, la mobilité et l’accessibilité (Proulx, 2008). Devant cet échec, il devient alors de plus en plus évident que les spécificités territoriales devaient être prises en compte dans l’accueil et la valorisation des interventions exogènes (Proulx, 2008).

Aujourd’hui, une réelle révolution du développement se dessine. Elle provient des territoires eux-mêmes et de leurs parties prenantes tels les acteurs productifs ou encore les forces de la société civile (Torre, 2015). Il est dorénavant nécessaire d’appeler à de nouveaux modèles explicatifs des dynamiques territoriales. Sous les mutations rapides des espaces et des institutions, les territoires se transforment. Il se creuse de plus en plus de disparités socioterritoriales qui nécessitent de nouvelles façons de penser le développement (Torre, 2015).

Le territoire est, de plus, au cœur des théories du développement. Déjà, au début des années 1970, l’analyste John Friedmann (1973) évoqua la nécessité de prendre une voie plus égalitaire dans le développement en prônant une nouvelle doctrine emprunte d’une philosophie humaniste (Proulx, 2008). Pour ce faire, l’auteur misa sur l’« interaction, l’apprentissage et l’appropriation collective des territoires » afin de remanier les politiques de développement (Friedmann, 1973, dans Proulx, 2008). Tranquillement, l’articulation de la perspective territoriale s’opéra au tournant des années 1980 grâce à deux ouvrages marquants : Territory and Functions, de Friedmann et Weaver (1979) et le collectif, Development from above or below? The dialectics of regional planning in developing countries, dirigé par Stöhr et Taylor (1981) (Proulx, 2008). Friedmann

et Weaver (1979) démontraient, entre autres, les limites des approches fonctionnelles en géographie, en plus de celles de l’« espace pur » des théories économiques (Dion et Lacour, 2000), situant le territoire comme un espace de reproduction de la vie sociale et biologique.

Par la suite, de nombreux auteurs relevèrent l’importance de l’échelle territoriale pour saisir le levier des forces endogènes, comme Planque (1983), Aydalot (1986) et Perrin (1983), tandis que d’autres préférèrent une analyse des systèmes territoriaux, tels Antonelli (1986) et Proulx (2008).

Le territoire est largement utilisé comme objet d’une nouvelle lecture des facteurs de développement (Proulx, 2008). L’analyse territoriale telle que proposée par le Centre de recherche sur le développement territorial (CRDT) de l’Université du Québec s’appuie sur différentes disciplines, comme la géographie, l’économie, la sociologie, la démographie, la science politique, l’anthropologie et la science administrative (Proulx, 2008). Les sciences du territoire tentent donc de dépasser les quadrillages officiels bien découpés pour prendre en compte les phénomènes sociétaux par l’espace (Proulx, 2008).

Le Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l’Est du Québec (GRIDEQ), de l’Université du Québec, à Rimouski, participe aussi à l’effort de construction des sciences du territoire. L’un des plus anciens groupes de recherche québécois centrés sur les analyses territoriales, il s’est tranquillement dissocié de la sociologie québécoise pour voguer davantage vers une perspective sociale ouverte sur l’interdisciplinarité. Les chercheurs du GRIDEQ s’arriment donc de plus en plus à la vision des sciences du territoire. Ainsi, ce groupe de recherche d’importance à l’échelle québécoise a mené un projet « scientifique visant à la construction d’un savoir interdisciplinaire proprement territorial » (Fournis et al., 2011 : 156).

Il va sans dire que la science des territoires est « une science encore jeune, déjà bien dotée, certes ambitieuse, qui possède à l’évidence un avenir prometteur dans ce pays qui, depuis toujours, a vu ses territoires se faire, se défaire et se refaire » (Proulx, 2008 : 19). Parler de science des territoires, c’est, selon Fontan (2008a : 159), parler d’une philosophie de recherche qui place le chercheur au cœur même du développement de ce dernier.

Aborder la production des connaissances à partir du territoire, c’est reconnaître cette fragilité du projet scientifique tout en proposant un cadre d’exercice propice à une mise en transparence des contractions et des émancipations portées par la dimension cognitive du développement de l’être humain (Fontan, 2008).

Si, au courant des années 1980, la notion de territoire était encore vague, l’enrichissement de ce corpus théorique, qualifié par certains auteurs de « révolution territoriale », entraîne maintenant quelques réticences. Certains iront même jusqu’à se « demander si cette notion n’est pas devenue trop riche, surabondante et, par surdétermination, incertaine et quasiment vide » (Dion et Lecour, 2000).

2.1.2 Géographie sociale

La géographie sociale est fortement marquée par un vocabulaire marxiste lié aux rapports de production (Séchet et Veschambre, 2006). Frémont et al. (1984 : 90) la définisse comme une « géographie des faits sociaux et une sociologie des faits géographiques qui consiste fondamentalement en une exploration des interrelations qui existent entre les rapports sociaux et les rapports spatiaux, plus largement entre sociétés et espaces ». C’est par l’imbrication des rapports sociaux et des rapports spatiaux que la géographie sociale traite conjointement de l’espace et de la société (Di Méo, 2014). De plus, cette dernière relie les relations de l’être humain aux lieux. L’un façonne l’autre, au même titre que le tissu des rapports sociaux influence les rapports spatiaux. En retour, la substance des lieux, c’est-à-dire leur contenu et leur forme, se construit à

chaque regard humain (Di Méo, 2014). Cette discipline tente de proposer des méthodes de conceptualisation, d’analyse et de compréhension de notions telles que l’espace et le territoire. Par conséquent, la géographie sociale identifie les logiques constitutives, les instances économiques, idéologiques et politiques qui constituent les composantes étudiées par ce champ disciplinaire (Di Méo, 2014). Elle s’efforce donc à saisir l’espace géographique en tant que production sociale, « mais aussi en tant que forme à la fois scénique et active, concrète et représentée, constitutive des pratiques et des interactions sociales, des luttes et des enjeux sociaux, substance même du quotidien, conduit à réfuter tout culturalisme… » (Di Méo, 2014 : 10). Par contre, la géographie sociale ne nie pas l’importance des cultures et n’isole jamais de ses racines sociales la manifestation spatiale d’un phénomène culturel (Di Méo, 2014).

De surcroît, cette discipline trouve dans le territoire un outil opératoire, « une méthode rêvée pour approfondir les phénomènes d’identité et de contrôle, d’altérité, d’intégration ou de ségrégation, voire d’exclusion, d’équité, d’égalité, de juste répartition des richesses et des moyens de les produire » (Di Méo, 1998, 5). Ainsi, elle définit tous ces thèmes comme objets centraux de sa recherche. À ce titre, elle se différencie d’une géographie humaine ou d’une géographie culturelle qui n’accordent que peu d’importance aux positions sociales dans l’espace (Di Méo, 1998).

Pour finir, la dimension spatiale de la géographie sociale permet une position avantageuse pour dialoguer avec les autres sciences sociales (Séchet et Veschambre, 2006). Elle s’arrime bien au postulat des sciences du territoire quant à l’interdisciplinarité nécessaire dans l’analyse socioterritoriale.

2.1.3 Science politique

La science politique s’intéresse globalement aux relations de pouvoir qui se développe entre les acteurs individuels et collectifs afin de déterminer la gouverne d’une collectivité humaine (Belley, 2008). La gouvernance inclut donc des jeux de

coopération et de conflits entre les acteurs qui sont liés à l’allocation des ressources disponibles dans cette collectivité. Les ressources sont d’ordre humain, matériel, financier, symbolique ou encore informationnel (Belley, 2008). Dès lors, la science politique s’intéresse « aux diverses règles, formelles et informelles, touchant la répartition des ressources, le fonctionnement et la représentation des institutions politiques à l’intérieur d’un territoire donné » (Belley, 2008 : 237). Le politologue s’intéresse aussi aux dynamiques des territoires par l’analyse des idéologies, des discours, des groupes sociaux et des transformations dans les administrations publiques et les systèmes politiques (Belley, 2008). Pour la science politique, le territoire est de géométrie variable. Cela signifie qu’il traite de la question des échelles. Au « haut » de l’échelle, le territoire réfère au supranational par les instances internationales et régionales ainsi qu’aux règles de régulation de leurs actions entre les États. À l’antipode, l’échelle du « bas » réfère au territoire infrarégional et aux règles qui gouvernent à cet échelon. L’échelle du « milieu » est celle des territoires nationaux, soit celle des États (Belley, 2008). Dès lors, la science politique permet de comprendre et d’analyser les institutions dans leurs enjeux de représentation, de régulation et d’allocation des ressources touchant les diverses échelles territoriales.

De plus, la science politique met en lumière la notion de gouvernance, plus particulièrement dans la cadre d’une approche intégrée du développement territorial, de la gouvernance territoriale.