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CHAPITRE II CADRE THÉORIQUE

2.2 Cadre théorique

2.2.1 La théorie du développement territorial

Les bases les plus solides d’une théorie du développement territorial ont été élaborées par l’économiste français Philippe Aydalot. Selon lui :

Un tel développement impose la rupture avec la logique fonctionnelle de l’organisation de la vie économique et propose de revenir à une vision « territoriale » : c’est dans un cadre local, par la mise en valeur des ressources locales et avec la participation de la population que le développement pourra réellement répondre aux besoins des populations (Aydalot, 1985 : 109).

En suivant la voie de John Friedmann et de Walter Störh, Philippe Aydalot avance que le développement territorial implique une révolution intellectuelle pour que les éléments sociaux et politiques soient aussi considérés dans l’analyse économique du développement (Jean, 2008). Ainsi, le courant du développement territorial tente d’arrimer la compréhension du rôle et de l’influence des structures et des acteurs sur la formation et la recomposition des espaces socioéconomiques et politiques (Jean, 2008). Il importe donc de faire une place aux acteurs sociaux qui, capables de piloter la gouvernance régionale, sont les plus susceptibles de reconnaître la place et le rôle du territoire dans le développement (Jean, 2008, Torre ; 2015). Alors, la reconnaissance d’une approche multifonctionnelle des territoires qui respecte les principes du développement durable émerge chez les acteurs locaux du développement (Jean, 2008).

Encore aujourd’hui, la notion de développement regroupe plusieurs appellations qui nécessitent une différenciation. Notons, par exemple, les notions du développement local, du développement régional et, bien entendu, celle du développement territorial.

Brièvement, le développement local est « un processus qui se met en œuvre par une mobilisation de la communauté pour atteindre une amélioration de [son] environnement et de [sa] condition de vie » (Lapointe et Guillemard, 2016). L’idée du développement local s’appuie sur la capacité des acteurs locaux, par leurs relations humaines, à porter des projets locaux. De prime abord, ces projets de développement ne se font pas grâce aux institutions ou aux politiques déjà en place sur les territoires. Par contre, ils seront plus tard consolidés par les politiques de développement régional (Lapointe et Guillemard, 2016).

A contrario, le développement régional « réfère plus spécifiquement à l’action de l’État pour limiter les inégalités entre les régions, pour organiser la gestion de la desserte des services gouvernementaux et paragouvernementaux vers les régions, mais aussi pour moduler son action » (Lapointe et Guillemard, 2016). Dès lors, le développement régional, qui s’inscrit à l’interface de l’État et du milieu régional, renvoie davantage à un espace administratif qu’à un espace approprié par les acteurs locaux (Lapointe et Guillemard, 2016). Pour Lapointe et Guillemard (2016), cela conduit à la notion de territoire et ainsi à celle du développement territorial.

Le développement territorial s’inscrit en rupture avec les études en développement régional. Il ne possède toutefois pas encore un corps théorique stabilisé, car l’union des notions de territoire et de développement est une réalité difficile à rendre intelligible (Jean, 2008). Quoi qu’il en soit, le développement territorial résulte d’une recomposition du social, des savoirs et des pratiques scientifiques grâce à l’interdisciplinarité des équipes de recherche et aux modalités partenariales de production du savoir (Bellemare et Klein, 2011). Comme l’illustre la figure suivante (Bellemare et al., 2005), « le rapprochement, la dé-différenciation relative de ces champs scientifiques, professionnels et d’action sociale sont liés à la progressive disparition des frontières entre les sphères d’action politiques, sociales et économiques et à l’émergence de modalités hybrides de régulation où l’État, le marché et la société civile convergent » (Bellemare et Klein, 2011). Ces changements épistémologiques font ressortir le cadre territorial comme unificateur de l’économie et du social.

Figure 2.1 Évolution des champs scientifiques et professionnels des sciences sociales appliquées (transformations du travail, des milieux de vie et du territoire) (Bellemare et al., 2005)

Selon Jean (2008 : 296), le développement territorial discerne le lien entre les dynamiques de développement et les caractéristiques des territoires comme des éléments structurants qui reconnaissent le caractère localisé des acteurs dans leurs interactions. Ce paradigme scientifique se veut aussi une perspective d’action. En effet, le développement et l’aménagement durable des territoires sont nécessaires afin de répondre aux besoins et à l’épanouissement des populations (Jean, 2008). Ainsi, les objectifs inhérents au développement territorial sont l’équité sociale, le management de la nature, l’innovation économique et sociale et la participation démocratique. Il devient alors nécessaire de comprendre les territoires par leurs spécificités (Jean, 2008).

Dès lors, la théorie du développement territorial en émergence se veut durable dans une approche globale et territoriale qui s’intègre au développement des collectivités (Jean, 2008). Elle s’appuie sur une triple harmonisation entre le développement économique, le respect de la biodiversité et l’acceptabilité sociale (Jean, 2008).

Selon Belley (2014 : 126-127), il y a certains éléments clés à retenir dans l’analyse et la compréhension du développement territorial. Ce dernier est formé d’un système formé d’acteurs en constante interaction et de leurs relations de pouvoir. Pour mener à terme des projets communs, les acteurs doivent entrer dans un processus de coopération. Par la suite, ils établissent un système de règles qui prévoit la mise en commun des ressources territoriales. Ces dernières sont mobilisées, allouées, utilisées et coordonnées par les acteurs. Ces systèmes de règles sont le fait des autorités politiques, voire des acteurs sociaux. Ils sont en constante recomposition. Ils instituent deux grandes formes de gouvernance territoriale : la gouvernance délibérée (étatique) et la gouvernance immanente (locale) (Belley, 2014).

Torre (2015 : 279) abonde dans le même sens. Pour ce dernier, l’analyse du développement territorial impose certains éléments qui diffèrent de ceux qui sont liés au développement régional :

1. Les processus de développement territorial ne peuvent être réduits aux seuls comportements des acteurs productifs et des institutions responsables des politiques de développement, mais s’étendent à d’autres parties prenantes des territoires : collectivités locales ou territoriales, services déconcentrés de l’État, organismes consulaires, dispositifs locaux de gouvernance (PNR, pays...) et monde associatif ;

2. Les processus de coopération et de construction sociale sont à intégrer à l’analyse des dynamiques de développement (Baudelle et al., 2011). Loin d’être anecdotiques, les nouvelles pratiques sociales et institutionnelles se trouvent au cœur des processus d’innovation territoriale, sans oublier la volonté des réseaux d’acteurs locaux à piloter leur propre modèle de développement, qu’il s’agisse d’actions collectives ou d’oppositions manifestes à la volonté́ des États ou des grandes sociétés.

Ainsi, le développement territorial est le résultat d’un mode de construction des territoires et de la mise en commun des ressources par les acteurs. « C’est un construit social autonome porté par des acteurs locaux tout en étant encadré par l’État […]. Le développement territorial dépend de la capacité des acteurs locaux issus de milieux variés […] à œuvrer ensemble pour un développement non seulement économique, mais aussi social et culturel » (Lapointe et Guillemard, 2016).

En somme, la finalité du développement territorial reste la même que celle de tout type de développement, mais tente cependant d’améliorer le bien-être pour conséquemment enrichir les populations (Torre, 2015). En ce sens, le développement territorial s’émancipe des sphères de l’économie et de la géographie pour y inclure une dimension sociale. Finalement, « la recherche sur le développement territorial porte sur des processus et des dynamiques territoriales ancrées dans le développement ; elle identifie, décrit et rend intelligibles ces processus et ces dynamiques… » (Jean, 2008 : 299). Ces processus et ces dynamiques doivent néanmoins être analysés avec soin afin de ne pas donner lieu à des interprétations excessivement optimistes (Torre, 2015 : 275).