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CHAPITRE I LA PROBLÉMATIQUE

1.6 L’exercice d’une PC et l’ERE

Avant de développer sur la pertinence d’intégrer l’exercice d’une pensée critique en ERE, nous nous attardons à regarder les conceptions de différents auteurs qui reconnaissent la pertinence de développer une pensée critique chez les élèves en général. Legendre (2005) affirme que les principales raisons qui justifient la formation à la pensée critique sont :

[W] répondre aux exigences sociales, notamment développer la capacité des élèves à analyser et à maîtriser une masse croissante d'informations; assurer un développement socioéconomique global, en tenant compte davantage des besoins humains et de la nécessité de la protection de l'environnement; et favoriser le fonctionnement harmonieux de l'individu et du citoyen. Sur ce dernier plan, l'individu devrait en arriver à effectuer des choix personnels éclairés, à être capable de prendre position devant des questions controversées, à porter un jugement adéquat sur les avis des experts, et à mieux se défendre contre le risque de propagande ( p.1024, 1025).

Selon Boisvert (1999), « l’exercice de la pensée critique requiert de l’individu une grande activité intellectuelle, une bonne dose d’autonomie, beaucoup de flexibilité et un scepticisme éclairé » (p. 7).

Pour Reboul (1984), un enseignement véritable doit inclure la formation à la pensée critique, car elle vise à favoriser le développement de l’autonomie de la pensée chez les élèves : « [W] une éducation qui prend la liberté pour fin est celle qui donne aux éduqués le pouvoir de se passer de maîtres, de poursuivre par eux-mêmes leur propre éducation, d’acquérir par eux-mêmes de nouveaux savoirs et de trouver leurs propres normes » (p. 159).

1.6.1 La PC pour faire face aux enjeux environnementaux

D’entrée de jeu, nous pourrions affirmer que pour faire face aux enjeux environnementaux, l’exercice d’une pensée critique est d’autant plus indispensable qu’il existe rarement de solution prescrite aux problématiques. Les

connaissances relatives à l’environnement ne sont que partiellement utilisables et toujours incomplètes, l’environnement étant un domaine vaste, complexe et en perpétuel mouvement.

Giroux (1991) s’intéresse aux manières dont les enfants et les jeunes sont exploités et socialisés par une culture commerciale de consommation, et souligne le manque d’espaces où les jeunes apprennent à développer leur sens de l’initiative, leur engagement (agency),leurs valeurs et des relations sociales de coopération. Gonzalez-Gaudio (2008) confirme lui aussi cet état de fait : « À l’heure actuelle, indépendamment de nos préférences individuelles, les gens, surtout les jeunes, construisent leur identité [W] davantage en relation avec la consommation qu’en lien avec les règles abstraites de la démocratie participative ou la participation collective dans les espaces publics » (p. 240).

Au Québec, c’est souvent dans les programmes de sciences que l’ERE fait son apparition. Bader (2005) affirme que les questions environnementales sont souvent perçues comme des questions d’ordre scientifique: les nouvelles technologies sont proposées comme la solution, le scientifique devient l’expert et c’est son analyse qui prime; les questions environnementales sont analysées en poursuivant la logique néolibérale, sans la remettre en question. Pour Bader, les volets d’ordre politique, culturel et éthique sont peu abordés. De plus, les préoccupations pour la justice sociale et un rapport au monde plus altruiste sont souvent mises de côté au détriment de la science. D’où l’importance de cultiver un recul critique sur ces idéologies dominantes et les sous-entendus qu’elles nous imposent de manière pernicieuse.

Comme le souligne Laliberté (1992), la visée ultime de l’enseignement de la pensée critique :

[W] est d’en arriver à ce que les élèves acquièrent des habitudes, des comportements, une disposition à la recherche, à la discussion, à la remise en cause des fausses évidences, des opinions toutes faites, des généralisations abusives, pour se construire un savoir solide sur lequel ils puissent fonder leur action et leur vie tout entière.

C’est ce qui explique l’importance de l’exercice d’une pensée critique en ERE8, le but étant d’amener l’élève à faire des choix judicieux basés sur la connaissance de ses valeurs et non seulement sur les quelques repères dominants axés sur l’hyperconsommation et l’individualisme de notre société. D’une part, l’art du questionnement peut lui ouvrir des horizons sur des valeurs comme la reconnaissance de soi et des autres, et la recherche de bien-commun; d’autre part, la capacité à exercer sa pensée critique lui permet d’acquérir une plus grande autonomie afin de l’inciter à faire des choix éclairés et à penser par lui-même.

1.6.2 Les enseignants et la place accordée à la PC en ERE

Il existe un large consensus9 sur la nécessité de développer la pensée critique chez les élèves. Cependant une première difficulté soulevée est que les chercheurs dans le domaine ont une perception différente de ce qu’est la pensée critique. Cet écart provient notamment des traditions de recherche auxquelles ils se rattachent.

En effet, le mouvement pour le développement de la pensée critique puise à même différents courants théoriques 10 comme la perspective philosophique, la psychologie cognitive, le socio-constructivisme et la théorie critique; et pour compliquer davantage le tout, cette diversité s’accompagne de divergences sur ce qu’est la pensée critique et comment il faut l’enseigner.

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Dans le programme du PFÉQ on réfère à la compétence transversale «exercer son jugement critique».

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Bien qu'il soit possible, comme le fait Presseisen (1986a), de retracer à l'intérieur des sciences de l'éducation une longue tradition d'intérêt pour l'enseignement de la pensée critique, tous les auteurs s'accordent cependant pour affirmer que le mouvement actuel puise à même deux perspectives théoriques majeures : la philosophie et la psychologie cognitive ( Kurfiss, Marzano, Brandt, Hughes, Jones, Presseisen, Rankin et Suhor, 1988 ).

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Notons que catégoriser nous apparaît hasardeux parce que dans les faits, les catégories ne sont pas si étanches que cela. Certains chercheurs (Meyers, 1986); (Lipman 1984, 1985, 1987); (Ennis, 1987); (Paul, 1990); (Resnick, 1990); (McPeck 1981, 1990); (Keefe, 1992), s’inscrivent davantage dans une perspective que dans une autre ou encore, parfois, à l’intersection de différentes perspectives et cette diversité peut avoir des impacts sur les stratégies d’enseignement.

Une deuxième difficulté est la différence perçue par les enseignants pour rendre opérationnelle (Beaulieu, 2005) une pratique professionnelle d’enseignement de la pensée critique. Il existe plusieurs stratégies d’enseignement de la pensée critique et de l’ERE, si bien qu’il n’est pas simple pour les enseignants de s’y retrouver eux-mêmes. Il est donc important de pouvoir les soutenir et les outiller afin de les inciter à maintenir leur motivation pour qu’ils considèrent que la pensée critique est une compétence nécessaire à acquérir par les élèves afin qu’ils puissent relever les défis du 21e siècle.