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L ES LOGIQUES ET LES CONTRAINTES DES COMPLÉMENTAIRES

DEUXIEME PARTIE

PARTIE 1 - LE RÔLE DE L’ASSURANCE MALADIE COMPLÉMENTAIRE ET LES LOGIQUES DU SYSTÈME

1.2. L ES LOGIQUES ET LES CONTRAINTES DES COMPLÉMENTAIRES

1.2.1. Les logiques de fonctionnement des complémentaires

Si la détention d’une complémentaire est déterminante pour l’accès aux soins, notamment des plus modestes qui ne peuvent supporter des restes à charges élevés, cette couverture obéit à des logiques d’assurance43 différentes de celles de l’assurance maladie obligatoire.

Les deux systèmes ne s’insèrent pas dans le même cadre institutionnel et économique.

Les complémentaires en santé qui, par commodité, seront désignées dans cette partie par le terme d’ « assureur » quels que soient leur statut, leur mode de fonctionnement ou de gestion, exercent leur activité dans un cadre concurrentiel, soumis à la surveillance des autorités chargées de la concurrence et de l’ACP qui demande une tarification au coût du risque. Le consommateur choisit de s’assurer (à l’exception des contrats obligatoires d’entreprise et à l’inverse des régimes de base pour lesquels l’assuré n’a pas le choix), décide de son assureur et peut en changer s’il n’est pas satisfait : il est l’ « aiguillon du système »44, la concurrence mettant les assureurs « sous pression » dans un marché ouvert. Il détermine également sa « couverture » par le niveau de garantie auquel il souscrit, à l’inverse encore de la couverture obligatoire qui couvre uniformément tous les assurés : l’assurance complémentaire peut ainsi s’adapter à des besoins de couverture diversifiés, mais au détriment de la mutualisation.

Dans ce contexte, plusieurs différences profondes avec l’assurance maladie obligatoire peuvent être soulignées45 :

- L’assureur doit prendre en compte le phénomène de sélection adverse (ou antisélection46).

Les personnes jeunes et en bonne santé peuvent préférer ne pas s’assurer estimant que le rapport cotisations/prestations est en leur défaveur alors que les assurés aux risques élevés y auront intérêt pour des raisons inverses, ce qui augmente au total la probabilité de survenue du risque et peut mettre en péril l’équilibre économique du système.

L’assurance maladie obligatoire ne rencontre pas cette difficulté puisqu’elle couvre toute

43 Pourtant les deux systèmes répondent bien aux mêmes objectifs. L’assurance, entendue dans un sens « fonctionnel», a pour objectif de protéger les individus contre les risques, auxquels ils sont exposés en finançant une réparation du dommage ou en indemnisant la perte de revenu. Dans le cas de la maladie, elle permet d’accéder à des soins adéquats en cas d’accident de santé dont le coût serait, sans elle, hors de portée y compris pour des revenus élevés.

P.Y.Geoffard. Concurrence en santé. Marché des soins, marché de l’assurance. In Regards croisés sur l’économie. 2009/1 n°5.

44 P.Y.Geoffard. Concurrence en santé. Marché des soins, marché de l’assurance. In Regards croisés sur l’économie. 2009/1 n°5.

45 L’assurance santé compte toutefois parmi les activités assurantielles qui sont gérées en répartition (et non en capitalisation) et qui appliquent le principe indemnitaire (le remboursement ne peut dépasser le préjudice réel subi par l’assuré), à contrario du principe forfaitaire.

46 M. Rothschild et J. Stiglitz. “Equilibrium in competitive insurance markets; an essay on the economics of imperfect information”. The Quarterly Journal of Economics. Vol.90 n°4. Nov. 1976. P629-649.

la population. Dans une moindre mesure, les contrats collectifs obligatoires souscrits au niveau d’une branche ou d’une entreprise limitent cet effet d’antisélection puisque l’ensemble des salariés d’une communauté de travail est tenu d’y adhérer et que la loi Évin interdit la sélection individuelle.

- La prime due par l’assuré est calculée, non pas en fonction des revenus (hormis pour certaines mutuelles en application du principe de solidarité et certains contrats collectifs), mais en fonction des risques observables, du niveau de risque perçu et choisi par l’assuré et du « coût de production » de l’assurance : c’est le principe de la neutralité actuarielle. Si celle-ci n’était pas réalisée, si notamment les primes étaient trop élevées, l’assureur pourrait s’exposer à un risque d’ « écrémage » de ses assurés à bas risques par ses concurrents. A l’inverse, le financement à perte pour une catégorie d’assurés pourrait entrainer une hausse des primes pour les autres assurés et la fuite des clients à bas risques vers d’autres entreprises. L’assurance complémentaire peut ainsi s’assimiler à un acte de redistribution ex post, entre des individus qui ont souscrit le même niveau de risque, ce risque s’étant ou non réalisé. Dans le cadre de contrats collectifs, la redistribution s’effectue entre les personnels de la communauté de travail (branche, entreprise ou établissement) couverts par les mêmes garanties. L’assurance maladie obligatoire, quant à elle, mutualise les risques à l’échelle de la nation grâce à un financement qui ne leur est pas lié.

- Le risque assurantiel est couvert après paiement de la prime (il peut en outre exister des délais de carence, entre le paiement de la prime et le bénéfice de l’assurance). Celle-ci est calculée avant la production du service, selon le principe de la neutralité actuarielle.

L’assurance maladie obligatoire, quant à elle, protège sans prépaiement.

L’assureur, qu’il soit d’ailleurs public ou privé, est confronté à deux sortes « d’aléa moral » potentiellement déséquilibrants pour lui : le premier correspond à la modification de comportement de l’assuré, qui augmenterait sa consommation de soins une fois le risque couvert, le second renvoie à celle du professionnel de santé, qui de façon opportuniste, pourrait induire une consommation de soins non nécessaires médicalement. L’assureur agit donc pour limiter ces deux risques : on parle alors de « gestion du risque ».

1.2.2. L‘encadrement de l’assurance complémentaire en santé

La sélection du « risque » est donc un élément incontournable du fonctionnement de l’assurance.

En raison du caractère particulier du « bien » couvert47, la santé, identifié dès 1951 par Kenneth Arrow48, des interventions publiques ont tenté de limiter la sélection des assurés sur la base de l’état de santé.

1.2.2.1. La garantie viagère pour tous les assurés

La loi Évin du 31 décembre 1989 pose le principe d’une garantie viagère pour tous les assurés : les contrats individuels comme collectifs ne peuvent être dénoncés ou modifiés par l’assureur même

qui pourraient être dues à leur consommation de soins. Dans le cas des couvertures collectives, la même loi impose aux assureurs une garantie identique, au sein d’une même catégorie, pour tous les assurés couverts et interdit l’application de surprimes individuelles. Enfin, il ne peut y avoir d’exclusion de certaines pathologies, ni des pathologies survenues avant la souscription du contrat.

Dans d’autres pays dans lesquels la gestion du risque maladie obligatoire et complémentaire a été confiée à des assureurs privés, en concurrence ou non avec des caisses publiques (Pays Bas, Suisse par exemple) des systèmes de compensation ou de péréquation des risques entre les assureurs ont été mis en place par la puissance publique pour éviter les pertes financières supportées par les sociétés d’assurance prenant en charge les assurés présentant des risques élevés.

1.2.2.2. La quasi-disparition des questionnaires médicaux

En matière de santé, comme dans d’autres branches, l’assureur peut apprécier le risque par le biais des questionnaires auxquels l’assuré est tenu de répondre à la souscription du contrat.

L’évolution du secteur, stimulée par les incitations financières publiques, est venue limiter sans l’interdire la sélection des risques par le biais du questionnaire médical. Le principe mutualiste (L.112-1 du code de la mutualité) selon lequel les « complémentaires santé » ne peuvent recueillir d’informations médicales auprès de leurs assurés ni fixer de cotisations en fonction de l’état de santé s’est quasi-généralisé, des contrats collectifs d’entreprise49 aux contrats individuels, par le biais de l’incitation fiscale aux contrats solidaires50, mise en place en 2001 et reprise en 2004 par la loi créant les contrats responsables.

1.2.2.3. Les modes indirects de sélection des risques

Si la sélection des risques par le biais de questionnaire a pratiquement disparu de l’accès aux complémentaires santé et si la directive européenne 2004/113/CE du 13 décembre 2004 posant le principe d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services interdit toute discrimination fondée sur le sexe51, d’autres modes de gestion du portefeuille des risques par les assureurs sont mis en œuvre, lorsqu’il s’agit de contrats individuels, notamment par une prise en compte, dans le calcul de la prime, le plus souvent de l’âge et de la taille de la famille mais aussi du lieu de résidence ou de la profession comme marqueurs de dépenses de santé.

Certaines mutuelles et certains contrats collectifs appliquent une tarification selon les revenus.

Par ailleurs, l’offre peut être construite à partir du prix que le client est disposé à payer (reverse pricing) et être très individualisée. Le choix de l’assuré « révèle » ainsi son risque. La personnalisation du contrat réduit la mutualisation et aboutit à une prime plus importante.

49 Art 2 et 10 de la loi Évin.

50 La LFR 2001 a défini les contrats « solidaires » (art. 995 du code général des impôts - CGI : « 15° Les contrats d'assurance maladie relatifs à des opérations individuelles et collectives à adhésion facultative à la condition que l'organisme ne recueille pas d'informations médicales auprès de l'assuré au titre de ce contrat ou des personnes souhaitant bénéficier de cette couverture et que les cotisations ou les primes ne soient pas fixées en fonction de l'état de santé de l'assuré ; 16° Les contrats d'assurance maladie relatifs à des opérations collectives à adhésion obligatoire à la condition que les cotisations ou les primes ne soient pas fixées en fonction de l'état de santé de l'assuré »).

51 Applicable en janvier 2013 à l’issue d’une phase de transition s’achevant le 20 décembre 2012. CJUE, 1er mars 2011, Association belge des Consommateurs Test-Achats ASBL, affaire C-236/09.