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L’ ENTRÉE DANS LA SEXUALITÉ : REGARD SUR UNE EXPRESSION PROBLÉMATIQUE

Dans un tel contexte, la notion d’« entrée dans la sexualité » apparaît poser problème à différents égards. D’abord, parce qu’elle suppose un « avant » la sexualité. Or, la psychanalyse l’a abondamment montré : la sexualité du corps est toujours déjà-là. Selon Sabine Prokhoris, le corps est « érogène avant tout » (2000 : 177-178). Il en va de même pour le sociologue Hugues Lagrange, pour qui « [d]écrire l’entrée dans la sexualité, c’est s’apercevoir qu’on y était déjà. » (1997 : 30) Aussi, dans une perspective à la fois constructionniste et féministe, il apparaît nécessaire de questionner l’aspect restrictif d’une entrée singulière dans la sexualité afin de révéler, éventuellement, ce que cette notion oblitère, soit tout ce qui relève de l’apprentissage de la sexualité, depuis l’intériorisation des scénarios relayés par la culture jusqu’aux interactions

concrètes, en passant par le déploiement des fantasmes. Car tout un historique d’influences prépare et oriente le déroulement de cette entrée dans la sexualité consacrée, ritualisée selon les codes de l’ordre hétéronormatif, voire la fait advenir, à travers le dispositif médiatique et culturel qui célèbre l’union hétérosexuelle et la fixe comme norme. L’entrée dans la sexualité, s’il en est une, devrait ainsi être pensée comme un continuum d’expériences, constitué d’autant de micro-événements, diffus ou précis, dont le premier coït fait ou non partie, mais ne détient pas de valeur supérieure aux autres formes d’expérimentations. La proposition de Lagrange pointe en ce sens, alors qu’il suggère d’inclure, dans cette idée de l’entrée, « […] les premiers baisers, les premières caresses

non génitales et les premiers rapports génitaux – pas nécessairement le coït. » (1997 : 30)59 Nous

souhaitons, de notre côté, étendre la réflexion au-delà du cadre strictement relationnel afin d’inclure les facteurs culturels qui conditionnent l’apprentissage de la sexualité de même que les expériences individuelles, comme la découverte du désir et le déploiement des fantasmes, eux-mêmes forcément marqués par les modèles formatés en circulation dans la société. À cet effet, la littérature, qui offre un accès privilégié à une subjectivité en train de se construire – fictive, il est vrai, mais néanmoins représentative60 – constitue un univers privilégié pour explorer ce que nous préférons

appeler la « formation sexuelle ».

Cela dit, la déconstruction de l’expression par trop univoque d’« entrée dans la sexualité », qui suppose une expérience relativement similaire pour tous les sujets, nous conduira, dans les chapitres à venir, à révéler d’autres formes d’entrées, souvent passées sous silence, qui ne surviennent pas au moment prévu par les scripts romantiques. Ainsi des « entrées forcées » dans la sexualité, qui précèdent le moment consacré et surviennent bien avant que le sujet (ici féminin) ne se perçoive lui-même comme sujet sexuel. L’agression comme expérience préliminaire de la sexualité marque nécessairement les découvertes futures, en ce qu’elle modifie le rapport à soi du sujet violenté. L’intériorisation de la position objectale fait naître, sous sa forme encore inconsciente, des affects négatifs tels que la honte, laquelle isole le sujet en le faisant se retourner contre lui-même (Ahmed, 2004 : 103) – il s’agit là bien entendu de l’un des effets pervers de la culture du viol, qui continue de faire porter le poids de la honte aux victimes. Par l’expérience de l’entrée forcée dans la sexualité, les jeunes filles acquièrent non pas une « conscience de genre »

59 Cela dit, dans le chapitre de l’ouvrage L’entrée dans la sexualité. Le comportement des jeunes dans le contexte du

sida, duquel cette citation est tirée, Lagrange omet volontairement la masturbation, dont il traite plus en profondeur

dans le chapitre suivant, intitulé « Puberté et masturbation ».

60 Dans son essai Ideologies of Identity in Adolescent Fiction: The Dialogic Construction of Subjectivity, Robyn McCallum avance que « [r]epresentations of subjectivity in fiction are always based on ideological assumptions about relations between individuals, and between individuals, societies and the world. » (1999 : 7)

(Varikas, 1986), laquelle suppose une connaissance des mécanismes de l’oppression qui jouent contre elles, mais quelque chose que nous pourrions appeler, à défaut d’une expression plus juste, un « ressenti de genre »; en d’autres mots, un savoir encore inintelligible pour qui ne possède pas les outils lui permettant de l’ordonner et d’en extraire du sens. Ce ressenti, bien qu’il soit, à cet instant, insaisissable sur le plan intellectuel, n’est pas sans conséquences pour le sujet qui en est affecté. En témoignent diverses somatisations, autrement inexpliquées, dont les nausées, les vertiges de même que la sensation d’étouffer. Les romans Une fille est une chose à demi (Eimear McBride), Tigre, tigre! (Margaux Fragoso), La fille (Tupelo Hassman) et Le Règlement (Heather Lewis) proposent, à cet égard, des représentations particulièrement éclairantes, comme nous le verrons un peu plus loin.

Âge et formation sexuelle

L’âge, entre autres variables, ne peut être évacué du discours sur la sexualité, en ce qu’il constitue un déterminant majeur dans la reconnaissance (ou la non-reconnaissance) de la subjectivité. Si les effets du « vieillissement61 » sur le corps sont indéniables – on ne peut nier, par exemple, les

transformations physiologiques occasionnées par la puberté, encore que celles-ci soient de plus en plus modulées par l’influence de la culture sur ladite « nature » humaine62 –, l’âge en tant que

61 En l’absence d’un terme moins connoté (le vieillissement convoque traditionnellement l’idée du flétrissement du corps et du déclin des facultés cognitives), qui pourrait traduire, en français, ce qu’exprime de façon plus neutre le terme « ageing », en anglais, nous nous voyons contrainte de le maintenir. Précisons toutefois que nous entendons, par vieillissement, un processus qui se met en branle dès la naissance, le fait d’« avancer en âge », sans que cela ne renvoie systématiquement au fait de « se dégrader, s’user avec le temps » (Dictionnaire Usito).

62 On pourrait citer, à preuve, les cas de plus en plus répandus de puberté précoce. Jeffrey Weeks observe, à ce sujet, dans son ouvrage Sexualité que « l’âge de la ménarche [la première période de menstruations] est passé de seize à treize ans en un siècle » ([1986] 2014 : 170). Une recherche récente, menée par des chercheur·euse·s en épidémiologie, abonde en ce sens : « The age of puberty onset decreased dramatically over the 20th century in high income countries with similar secular trends still evident in low and middle income countries. » (Kelly, Zilanawala, Sacker, Hiatt et Viner, 2017 : 232) Les résultats de cette étude montrent également que les jeunes filles issues de classes socio- économiques défavorisées sont plus nombreuses à présenter des signes de puberté précoce. Voir aussi (Ong, 2017). Ainsi, ce que l’on tient généralement comme l’expression de la nature se trouve au contraire constamment modulé par le contexte environnemental, social, culturel, économique, etc. (Détrez, 2002).

catégorisant n’en reste pas moins un indicateur arbitraire, influencé par le contexte socio-culturel63.

Il y est accolé, tout comme au sexe, un ensemble de normes visant à faire adhérer les individus à l’image qu’on se fait culturellement d’eux, selon le nombre d’années vécues. Selon Jodie Taylor,

[a]ge, like sex, corresponds to a set of social and cultural norms that sketch out desirable, culturally intelligible and thus successful performances of how one should mature. Just as female body becomes normalized through its reiteration of feminity, an ageing body similarly becomes normalized through the reiteration of prescription age-appropriate behaviours. (2012 : 24)

De son côté, Nicole-Claude Mathieu remarquait, dans ses « Notes pour une définition sociologique des catégories de sexe » que « […] l’âge et le sexe présentent tous deux la particularité d’être reconnus et pensés comme catégories biologiques réelles, en même temps qu’utilisés comme variables sociologiques ». Ces dernières restant cependant impensées, de ce hiatus résulte une « ambiguïté entre sociologique et biologique » ([1971] 2013 : 20-21). Néanmoins, la dimension sociologique reste utile, en tant qu’elle permet l’objectivation : on serait passé, au cours des dernières décennies, d’une conception de l’âge fondée sur « un “facteur” individuel psycho- biologique ou psycho-social » à « l’étude proprement sociologique d’une réalité globale propre à chaque “tranche d’âge”. » ([1971] 2013 : 21) Mais l’idée de la tranche d’âge demeure problématique, notamment en raison des différents cadres de subjectivation qui façonnent l’identité « jeune », en plus de l’âge.

D’un point de vue juridique, l’âge pose la limite légale du consentement. Il s’agit toutefois encore là d’un indicatif arbitraire, comme l’indique Weeks : « L’âge est une délimitation ambiguë : peut-on fixer un âge idéal à partir duquel distinguer le consentement libre de la maltraitance subie, un âge à partir duquel une relation serait consentie plutôt qu’imposée par la contrainte? » ([1986]

63 Cette révision constructionniste des âges a certainement été introduite, de prime abord, par les recherches en anthropologie culturelle, notamment celles de Margaret Mead, exposées dans Mœurs et sexualité en Océanie ([1928] 2004).

2014 : 151) Il est, en effet, bien difficile de trancher cette question, mais la réponse se trouve probablement du côté de l’analyse de la distribution du pouvoir. Entre un·e adulte et un·e enfant, les positions s’avèrent d’emblée inéquitables. Il est néanmoins des cas de figure, comme la littérature nous en informe, où tout n’est pas si précisément défini.

Enfin, comme nous le verrons, l’âge n’agit pas uniquement à titre de principe diviseur, comme le souligne Bourdieu :

[…] dans la division logique entre les jeunes et les vieux, il est question de pouvoir, de division (au sens de partage) des pouvoirs. Les classifications par âge (mais aussi par sexe ou, bien sûr, par classe…) reviennent toujours à imposer des limites et à produire un ordre auquel chacun doit se tenir, dans lequel chacun doit se tenir à sa place. ([1984] 2002, souligné dans le texte)

L’âge en tant que marqueur social se fait également vecteur de domination, les enfants et, plus largement, les jeunes étant, dès la naissance, placé·e·s dans une position d’assujettissement par rapport aux adultes (Firestone, 1972 ; Nussbaum, 1999 ; Bonnardel, 2015). Cela passe notamment par le contrôle de leur sexualité, exercé par le dispositif adultocentré de la sexualité. Nous nous pencherons, dans les pages qui suivent, sur les conceptions dominantes de l’enfance et de la jeunesse, lesquelles, envisagées du point de vue du rapport à la sexualité, permettent de déconstruire la notion d’entrée dans la sexualité.

De l’innocence présumée des enfants

De par sa position nécessairement antérieure, liminaire, l’enfance convoque l’inachèvement : du point de vue des théories du développement, « l’enfant64 » incarne, pour ses parents, un être à

construire. Comme le précise Yves Bonnardel, « […] un processus d’éducation/humanisation »,

64 Nous utilisons sciemment le singulier, de façon à mettre en lumière l’homogénéisation des enfances opérée historiquement par les branches de la psychologie et de la médecine rattachées aux théories du développement, surtout au vingtième siècle (Bonnardel, 2015 : 149).

mis en branle dès la naissance et pris en charge par les adultes, assure sa transition vers la « liberté » (2015 : 154). L’enfance se définit ainsi par un rapport d’appropriation (2015 : 144), à l’instar notamment de l’identité femme (Guillaumin, 1978a). Bien que, depuis les recherches menées par Françoise Dolto (1985) sur le statut des enfants, ceux·celles-ci soient désormais reconnu·e·s comme sujets, ils et elles demeurent, encore aujourd’hui, perçu·e·s comme étant plus près de la nature que de la culture – ils et elles partagent, en cela, la condition réservée à tous les groupes dominés, réduits, par là même, à l’état de « chose » (Guillaumin, 1978b). Selon Bonnardel, « […] “l’enfant” reste un être plus ou moins instinctif ou pulsionnel, plus ou moins “animal” à éduquer. » (2015 : 150) Le statut des enfants s’avère ainsi pour le moins paradoxal : « […] d’une part on traite l’enfant comme un être à part entière [en] lui reconnaissant des droits, et de l’autre, ces droits confirment sa particularité en tant que plus petit, et par conséquent plus vulnérable, accentuant la nécessité de sa protection. » (Leventidi, 2015 : 67) Selon Foucault, c’est principalement de la sexualité, considérée, dans les sociétés héritant de la tradition judéo-chrétienne, comme espace potentiel de perversion, voire de perdition, qu’il faudrait préserver les enfants. Aussi, au sein d’une société qui ne peut ignorer, au moins depuis les travaux de Krafft-Ebing (1886) et de Freud (1905) sur la question, que les enfants possèdent une sexualité, il incombe traditionnellement aux adultes de « prendre en charge, de façon continue, ce germe sexuel précieux, dangereux et en danger […] », notamment en procédant à la « pédagogisation du sexe de l’enfant » (Foucault, 1976 : 137-138)65.

Néanmoins, malgré la reconnaissance de ce qui a été désigné et, par le fait même, catégorisé, par Freud, comme la « sexualité infantile66 », « […] le présupposé d’une innocence enfantine règne

65 Comme le rappelle également Roxanne Landry, dans son mémoire de maîtrise portant sur les représentations littéraires de la socialisation masculine dans trois œuvres québécoises contemporaines écrites par des hommes, « les enfants sont “potentiellement” sexuels, mais cette potentialité doit être surveillée et dirigée (Egan et Hawkes 2010, p. 148) », et ce, afin de « correspondre à certaines normes et attentes sociales, notamment des normes de genre et des attentes relationnelles, voire conjugales (Bozon 2009). » (Landry, 2018)

66 Catégorisation elle aussi problématique, comme le soulignent Gail L. Hawkes et R. Danielle Egan : « […] Freudian based child-rearing advice was primarily directed towards avoiding the development of adult neuroses that threatened

aujourd’hui en maitre et permet la répression et le déni d’une sexualité active. » (Bonnardel, 2015 : 21) Selon Diana Gittins,

In spite of Freud’s insistence that children are sexual beings, they are still not regarded as such and there are now, more than ever, a plethora of rules and regulations that define sex as the exclusive realm of adults. Transgression of such rules […] jeopardises a child’s chance to even be considered a child. (Gittins, 1998 : 174, citée dans Renold, 2005 : 19)

C’est également ce que relève Gayle Rubin, à partir de l’analyse de l’appareil juridique et de la façon dont celui-ci façonne l’identité des « mineurs » (Bonnardel, 2015) :

La loi est particulièrement féroce dès lors qu’il s’agit de protéger l’« innocence » de l’enfant contre la sexualité « adulte ». Plutôt que de reconnaître la sexualité des jeunes et de lui permettre de s’épanouir de manière responsable et attentive, notre culture dénie et punit tout intérêt, toute activité érotique chez quiconque n’a pas l’âge du consentement. La quantité de lois qui visent à protéger les jeunes d’un contact prématuré avec la sexualité est stupéfiante. (Rubin, 2010 : 174)

La présence de « règles » et de « lois » qui encadrent la sexualité des enfants trahit, de la sorte, la mainmise adulte sur le dispositif de la sexualité.

La conception de l’enfance privilégiée dans cette thèse relève davantage des childhood studies, lesquelles proposent de « faire de la recherche “avec” les enfants plutôt que “sur” eux67 »

(Mayall, citée dans Renold, 2005 : 11). Bien entendu, l’analyse littéraire ne nous permet pas cela, dans la mesure où l’enfance, dans un texte de fiction, est toujours racontée depuis le point de vue d’une subjectivité adulte. Une approche queer de l’enfance, telle que celle proposée par Emma Renold dans son ouvrage Girls, Boys and Junior Sexualities. Exploring Children’s Gender and Sexual Relations in the Primary School (2005), nous permettra, à cet effet, de rompre, le plus possible, avec les conceptualisations datées, lesquelles nient aux enfants toute possibilité

successful maturation of the sexual instinct to adult (hetero)sexuality. While superficially offering a radical framing, the acknowledgement of the sexual instinct legitimated the same levels of professional advice and supervision as did the denial of this inherent quality. » (2008a : 451)

d’autonomie sexuelle : « [q]ueering childhood involves not just the queering of sex/gender and sexual binary oppositions such as male (masculinity)/female (feminity) and heterosexual/homosexual, but also the generational binaries adult/child and sexual/asexual. » (2005 : 9) Il conviendra donc d’envisager la présumée innocence sexuelle des enfants comme une projection, un fantasme du monde adulte, plutôt que comme une condition ontologique. Pour reprendre les mots de Debbie Epstein et Richard Johnson, dans leur ouvrage Schooling Sexualities, situé au croisement de la sociologie de l’enfance, de la sexualité, du genre et des études culturelles, « [sexual innocence] is something that adults wish upon children, not a natural feature of childhood itself. » (1998 : 97) Nos analyses prendront également appui sur les travaux des féministes portant sur l’enfance, tout particulièrement ceux de Shulamith Firestone qui, parmi les premières, a mis en évidence la similarité des conditions de domination simultanément imposées aux enfants et aux femmes au sein de la famille patriarcale – ces sujétions « complexes et interdépendantes » ayant permis la cristallisation de la figure toute-puissante du patriarche ([1970] 2007 : 33).

La puberté : le point de rupture

Dans le monde occidental, la levée de l’interdiction de la sexualité, qui pèse sur les enfants, survient au moment de la puberté, phénomène physiologique (bien qu’historiquement variable et influencé par la culture, comme nous l’avons précédemment souligné) auquel a été assimilé, vers la seconde moitié du dix-neuvième siècle, le concept social d’« adolescence68 » (Huerre, Pagan-Reymond et

68 C’est volontairement que nous mettons de côté, pour cette thèse, la notion d’adolescence, issue de la psychologie qui, bien souvent, prolonge les construits sociaux plutôt que d’en questionner les fondements. Plusieurs études sociologiques l’ont montré ; l’adolescence, pour reprendre le titre d’un essai de Patrick Huerre, Martine Pagan- Reymond et Jean-Michel Reymond, « n’existe pas » ([1997] 2003). Ce qui existe – ou plutôt, ce que fait exister notre société – est l’exclusion calculée de certains membres d’une communauté des domaines politique, économique et social. Tout comme celui d’enfance, le concept d’adolescence présuppose, selon Bourdieu, l’homogénéité du groupe auquel il renvoie, niant ainsi les différences des individus qui le composent. Pour le sociologue, l’utilisation de cette notion permet de « subsumer sous le même concept des univers sociaux qui n’ont pratiquement rien de commun » (Bourdieu, [1984] 2002 : 145), processus qui, comme dans le cas des femmes (souvent désignées par la locution « la femme », au singulier) contribue à naturaliser la domination exercée sur ce groupe.

Reymond, [1997] 2003 ; Quentel, 2011). Ainsi soutenue par une réalité biologique tangible – celle de la maturation du corps –, l’exploration de la sexualité paraît plus moralement acceptable. Cet « essentialisme sexuel » (Rubin, 2010 : 152), qui passe par l’assimilation, voire la subordination de la sexualité à la reproduction (le corps pubère étant désormais apte à se reproduire), a pour effet d’invisibiliser les rapports de pouvoir qui traversent la sexualité. Comme l’indique Rubin, « tant qu’elle est comprise […] comme un phénomène biologique ou un aspect de la psychologie humaine […] la sexualité est imperméable à l’analyse politique » (2010 : 153).

C’est donc à partir du moment où le corps est saisi comme « sexué » (Renoton-Lépine, 2012) que le dispositif social autorise – ou, à tout le moins, accepte comme « normale » – l’exploration des potentialités sexuelles du corps69. Mais, on l’a vu, les enfants étant déjà dotés

d’une sexualité, cette autorisation semble surtout faire passer le sujet d’une forme de solipsisme sexuel à une conscience intersubjective de la sexualité70. En contexte hétéronormatif, les premiers

rapports se présentent par ailleurs souvent comme une actualisation des rôles de genre tels qu’ils sont culturellement scriptés au sein des patrons sexuels dominants. Cet apprentissage laisse inévitablement des traces : de modèles intériorisés, les scripts de genre s’avèrent désormais matérialisés au sein d’échanges concrets, qui impliquent la rencontre de corps en action. Aussi, selon Michel Bozon, les premiers rapports sexuels constituent « une interaction de genre typique, qui met bien en lumière l’asymétrie persistante des échanges entre partenaires [dans une relation hétérosexuelle]. » (2008 : 117, souligné dans le texte, l’ajout entre crochets est de nous)

69 Cela doit évidemment être considéré au prisme du genre, la sexualité des garçons étant beaucoup plus tolérée que celle des filles, desquelles on attend davantage de retenue. Nous aborderons cet aspect plus en profondeur dans le prochain chapitre.

70 Cette idée nous est inspirée des réflexions proposées par Robyn McCallum, qui remarque, dans l’introduction de son essai sur la représentation des subjectivités adolescentes dans la littérature pour enfant et pour adolescents, que « [t]he preoccupation with personal maturation in adolescent fiction is commonly articulated in conjunction with a perceived need for children to overcome solipsism and develop intersubjective concepts of personal identity within this world and in relation to others. » (1999 : 7)

L’asymétrie marquée entre les positions réservées aux femmes et aux hommes au sein des pratiques sexuelles, confirmée, sur le plan empirique, par les premières grandes enquêtes américaines sur la