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V ERS UNE PRISE EN COMPTE DE LA CONTRAINTE DANS L ’ INITIATION SEXUELLE DES JEUNES FILLES

En raison des multiples injonctions, souvent contradictoires, qui pèsent toujours sur les jeunes filles, il nous apparaît crucial d’envisager la représentation de la fabrique du désir féminin en prenant comme point de départ de la réflexion ce qui le circonscrit, le restreint voire lui fait écran,

et ce, afin de révéler le versant sombre de l’initiation sexuelle des filles, trop souvent occulté, dissimulé sous le voile opaque des scénarios romantiques traditionnels. Les observations qui suivent, portant sur les tensions entre objectivation et agentivité sexuelle des jeunes filles de même que sur la question du consentement, nous amèneront à poser la notion autour de laquelle sera articulée l’analyse du corpus de fiction, soit celle du « dispositif de la contrainte ».

Les figures de jeunes filles : entre objectivation et agentivité sexuelle

Si la notion d’« agentivité100 » est en usage depuis un certain temps déjà dans les domaines de la

philosophie et de la sociologie, entre autres, la notion d’« agentivité sexuelle » est, quant à elle, plus récente. Que signifie-t-elle concrètement et en quoi est-elle centrale à la question de la fabrique du désir féminin et des contraintes qui la restreignent? Pour Marie-Ève Lang, qui s’est intéressée à l’agentivité sexuelle des jeunes filles,

[l]’agentivité sexuelle renvoie à l’idée de « possession » de son propre corps et l’expression de sa sexualité – en termes simples, se sentir « agent » ou « agente » de sa sexualité (Slavin et autres 2006 : 267). Elle fait référence à la prise d’initiative, à la conscience du désir de même qu’au sentiment de confiance et de liberté dans l’expression de sa sexualité (Averett, Benson et Vaillancourt 2008 : 332). Les notions de « contrôle » et du sentiment d’avoir le « droit » (to feel entitled) au désir et au plaisir sont également centrales […] (2011 : 191)

L’idée d’action est, par ailleurs, essentielle à la notion d’agentivité – ce qui la différencie de celle de « subjectivité sexuelle », telle que définie par Deborah L. Tolman : « By sexual subjectivity I mean a person’s experience of herself as a sexual being, who feels entitled to sexual pleasure and sexual safety, who makes active sexual choices, and who has an identity as a sexual being. Sexual desire is at the heart of sexual subjectivity. » (2002 : 5-6) Toujours selon Lang, le concept

100 C’est à Barbara Havercroft que l’on doit cette traduction française du terme agency, de même que son application aux études littéraires (1999).

d’agentivité sexuelle « fait référence au fait de “régir” sa propre sexualité et de s’en sentir “responsable”, élément important à la fois pour définir ses désirs et ses limites » (2011 : 192). Cela va dans le même sens que la définition proposée par Heather Powers Albanesi : « I define sexual agency as the willingness to exert power within a sexual encounter in an attempt to sway the outcome of events. » (2010 : 10)

Le fait que l’on s’intéresse aujourd’hui de plus à plus à la mise en œuvre de l’agentivité sexuelle chez les jeunes filles (Holland, [1998] 2004; Överlien, 2003; Carpenter, 2005; Morgan Thompson, 2009; Albanesi, 2010; Lang, 2011) témoigne bien du caractère problématique que revêt celle-ci. Il faut bien voir, à cet effet, que l’exercice de l’agentivité se trouve directement liée à ce que Heather Powers Albanesi, reprenant la formule de Nancy Chodorow, désigne comme le « personal sense of gender » (2010 : 10). Or chez les jeunes filles, ce « ressenti » est affecté par l’expérience de la domination, ce que révèlent de nombreuses études sur la jeunesse féminine (Beauvoir, 1949; Wolf, 1997; Tolman, 2002; Moulin, 2005; Fine, 2006; Renoton-Lépine, 2012). Ainsi est-on à même de constater la difficulté, pour les filles, d’exprimer une quelconque agentivité sexuelle, dans la mesure où cette dernière est toujours à la fois contextuelle et relationnelle (« It is […] not only an individual issue [rappelle Caroline Överlien], but is co-produced in the sense that it is dependent upon others » [2003 : 346]) et qu’elle est, en ce sens, tributaire de la répartition du pouvoir dans la relation intersubjective, laquelle favorise rarement les jeunes filles. Qui plus est, comme l’a soutenu Butler ([1990] 2006), entre autres, l’agentivité s’incarne dans la matérialité du corps et est constamment mise en jeu à travers les interactions. Il semble, par ailleurs, que ces dernières soient invariablement hantées par l’hypotexte hétéronormatif traditionnel, lequel n’admet pas l’existence d’un désir féminin autonome101. Autrement dit, le dispositif sexuel à l’œuvre dans

101 Si, dans sa dimension interpersonnelle, la relation hétérosexuelle représente un terrain propice à l’objectivation, il semble que celle-ci n’y soit pas exclusive. Comme l’indique Elisabeth Morgan Thompson, « [r]esearch has shown that

la société nord-occidentale pose le sujet masculin comme seul agent sexuel intelligible ou « reconnaissable » (faisant l’objet d’une reconnaissance) selon les schèmes sexuels dominants – cette entreprise de légitimation nécessitant, selon la logique hétéronormative, la réification du sujet féminin. C’est donc à partir de la position d’objet – objet du male gaze (Mulvey, 1975) – qui leur est attribuée d’emblée que les filles « entrent » – pour reprendre l’expression consacrée – dans la sexualité. Leur agentivité sexuelle se pense ainsi inévitablement en rapport avec l’objectivation première qui cible l’entièreté du groupe, et qui est, en retour, intériorisée par les jeunes filles, comme le rappellent Melanie S. Hill et Ann R. Fischer : « [L]iving in a culture in which women’s bodies are sexually objectified socializes girls and women to treat themselves as objects » (2008 : 747)102.

  Il importe néanmoins de clarifier cette notion d’objectivation, qui, pour reprendre

l’expression employée par Martha C. Nussbaum, représente un « concept multiple103 »

(1999 : 214), et donne lieu à deux cas de figure distincts, bien qu’interreliés. Dans le premier cas, l’objectivation provient de l’extérieur : le sujet féminin est réifié par une instance autre (par la culture sexiste, via les représentations ou par un autre individu, masculin la plupart du temps104

du moins, dans notre corpus littéraire. Dans le second, l’objectivation est le résultat de mécanismes internes, bien que marqués, voire produits par le contexte patriarcal : le sujet féminin, dont l’imaginaire est imprégné des schémas androcentrés de la sexualité, est amené à s’autoréifier.

both sexual-minority and heteresexual women report similar levels of interpersonal experiences of sexual objectification by men (Downs et al., 2006 ; Hill & Fischer ; Kozee & Tylka, 2006) ». (2009 : 15)

102 Les autrices se fondent entre autres sur les travaux de Frederickson et Roberts portant sur les façons dont l’objectivation sexuelle des femmes à travers la sphère socioculturelle affecte la santé mentale de ces dernières (1997). 103 Traduction libre de « multiple concept ».

104 Il faut toutefois souligner que, selon l’étude menée par Melanie S. Hill et Ann R. Fischer sur l’expérience sexuelle des jeunes lesbiennes et hétérosexuelles, ces dernières étaient également objectivées par des femmes, qui, elles aussi, incorporent l’image d’un corps féminin objet : « […] since both men and women may come to internalize this socialization and sexually objectify women. Women come to experience not only themselves, but other women as well, through the “eyes of the indeterminate observer” (Kaschak, 1992, p. 178). » (2008 : 767)

L’auto-objectivation, chez les jeunes filles, apparaît ainsi comme une conséquence directe de la négation systémique de l’autonomie sexuelle des femmes (Hill & Fischer, 2008)105. Or ces deux

possibilités convoquent des lectures différentes : dans le premier scénario, le sujet féminin est objet de l’acte, alors que dans le second, il en est le sujet (paradoxal) – son potentiel agentif (sa capacité d’agir) est ainsi inévitablement impliqué et doit être pris en compte.

Les travaux des féministes de la deuxième vague, notamment ceux de Catharine MacKinnon et d’Andrea Dworkin, ont surtout considéré l’objectivation comme condition empêchant les femmes d’accéder à leur pleine indépendance. Toutefois, comme le soutient la philosophe Martha C. Nussbaum, l’objectivation n’est pas forcément négative et ses impacts varient grandement en fonction du contexte au sein duquel elle s’inscrit : « [i]n the matter of objectification, [nous dit Nussbaum,] context is everything. » (1999 : 227) Selon la chercheuse, l’objectivation revêt un caractère néfaste lorsqu’une personne est considérée exclusivement comme un objet : « […] what is problematic is not instrumentalization per se but treating someone primarily or merely as an instrument. » (1999 : 223, souligné dans le texte) Aussi existe-t-il, en contrepartie, des formes d’objectivation que Nussbaum qualifie de « bénignes » (1999 : 230). Celles-ci prennent place dans des conditions bien précises et conduisent à un plaisir mutuel. Pour ce faire, l’objectivation doit d’abord être passagère, momentanée, et non représenter la condition permanente du sujet106, de même qu’elle doit mettre de l’avant « l’égalité, le respect et le

consentement107 » (Nussbaum, 1999 : 215).

105 Plus précisément, Melanie S. Hill et Ann. R. Fischer ont observé que, parmi les formes d’objectivation dont sont victimes les femmes, le sexualized gaze (le regard sexualisant d’autrui), de même que le harcèlement sexuel étaient celles menant le plus souvent, chez les filles et les femmes, à l’autoréification (2008 : 766).

106 « Denial of autonomy and denial of subjectivity are objectionable if they persist throughout an adult relationship, but as phases in a relationship characterized by mutual regard they can be all right, or even quite wonderful » (Nussbaum, 1999 : 238).

Quant à l’autoréification, la perspective rattachée au courant du féminisme radical propose de l’envisager comme synonyme d’aliénation : celles qui se posent volontairement comme objets de désir sont ainsi considérées à la fois comme « victimes et […] complices du système hétéropatriarcal » (Lavigne et Maiorano, 2014 : 205). Or une approche queer de la sexualité invite à considérer la dimension subversive que peut revêtir une telle posture. Il est ainsi possible d’envisager, dans certains contextes, l’auto-objectivation comme un acte agentif, dans la mesure où cette adhésion volontaire à la position objectale – ou, plutôt, à ses signes – définie par la société peut être détournée, et transformée en un pouvoir au service du désir féminin : se faire soi-même objet de désir, par le biais de la réappropriation subjective des codes érotiques, représente un acte productif, en ce qu’il suscite le désir de l’autre à son égard, menant éventuellement à la relation sexuelle recherchée. S’appuyant en partie sur les écrits de la philosophe Ann J. Cahill, Julie Lavigne et Sabrina Maiorano avancent que « le fait de ne pas être objectivée sexuellement prive la personne d’une partie de sa pleine subjectivité. Car la partie sexuelle de la subjectivité ne peut se développer sans le regard sexualisé d’autrui qui lui confère cet attribut. » (Lavigne et Maiorano, 2014 : 210) C’est donc par et à travers le regard d’autrui que l’un·e accède à sa pleine autonomie dans le cadre de rapports sexuels, bien que la frontière séparant l’expérience sexuelle positive et celle, négative, issue d’un déni de reconnaissance, soit forcément poreuse : « l’objectivation sexuelle constitue un regard sexualisé d’autrui, un regard qui est garant de la reconnaissance d’une subjectivité sexuelle mais potentiellement dérivatif. »108 (Lavigne et Maiorano, 2014 : 215)

108 La dérivation (derivatization, terme emprunté à la philosophe Ann J. Cahill) se définirait comme « le fait de nous représenter l’autre, de le ou la réduire ou encore de le ou la comprendre uniquement et unilatéralement à travers notre propre cadre d’interprétation de la réalité. C’est appréhender l’autre à travers nos propres standards, nos attentes et nos désirs. La dérivation peut ainsi être comprise comme le rapport réductif que l’on entretient avec l’autre à travers la projection égocentrée et narcissique que l’on se fait de l’autre. C’est appréhender l’autre comme un dérivé de soi- même. » (Lavigne et Maiorano, 2014 : 2010)

Certes, notre corpus, qui met en scène des personnages de jeunes filles (construits, il est vrai, par des écrivaines adultes) commande un régime de lecture différent. Il faut bien voir qu’il s’agit, dans le cas des représentations analysées par Lavigne et Maiorano, d’œuvres de femmes artistes féministes issues, pour la plupart, d’un processus réflexif substantiel, et que ce sont leurs propres corps (adultes) qu’elles mettent en scène. Or, dans les romans qui nous intéressent, les écrivaines ne font pas dans l’autoreprésentation109 : elles construisent un personnage déterminé

précisément par sa condition « jeune », voire infantile dans certains cas. L’analyse du pouvoir et de l’agentivité s’en trouve grandement affectée. Dans la mesure où ce sont tous des romans de facture réaliste (reconduisant, en ce sens, les schèmes phallocentrés et adultocentrés qui régissent la sexualité dans les sociétés occidentales), les jeunes filles qui y sont représentées sont, pour la plupart, dépourvues d’expérience sexuelle et, conséquemment, posées comme étant sans pouvoir vis-à-vis d’un partenaire plus expérimenté, et donc plus apte à imposer ses scripts. L’auto- réification semble représenter l’unique pouvoir dont elles peuvent se saisir. Ce paradoxe renvoie, par ailleurs, à l’idée de la contrainte, issue de ce rétrécissement des possibles110, imposée à la

fabrique du désir au féminin, et qui constitue le cœur de cette thèse.

Agentivité, agentivité sexuelle et représentations

Pour Barbara Havercroft, qui prend appui sur les travaux de Butler, l’une des stratégies discursives de la mise en œuvre de l’agentivité du sujet textuel « réside dans une re-citation de l’énoncé à

109 À l’exception de l’œuvre de Margaux Fragoso (Tigre, tigre !) qui, bien qu’elle soit une autobiographie, met en scène l’écrivaine dans une temporalité autre que celle de l’âge adulte, soit la petite enfance.

110 À ce sujet, voir la notion de « choix contraints » (« forced choices »), telle qu’abordée par Bronwyn Davies dans son chapitre « The concept of agency » tiré du recueil A Body of Writing 1990-1999 (1999). Selon le résumé de la perspective postructuraliste élaboré par l’autrice, « [c]hoices are understood as more akin to “forced choices”, since the subject’s positioning within particular discourses makes the “chosen” line of action the only possible action, not because there are no other lines of action but because one has been subjectively constituted through one’s placement within that discourse to want that line of action. » (1999 : 60)

l’encontre de son but original, ce qui aboutit à un renversement de ses effets nocifs » (1999 : 100). La « répétition performative » des normes jouant à l’encontre du sujet féminin ouvre ainsi la porte à la resignification et à la variation de celles-ci (1999 : 99). Toujours selon Havercroft, « l’itérabilité du signe, resitué à l’intérieur d’un nouveau contexte narratif, se révèle indispensable à la création d’un contre-discours. » (1999 : 99) En ce sens, il semble que les écrivaines de notre corpus s’inscrivent, au sein de leur démarche d’écriture, comme sujets agentifs. Il s’agit là de ce qu’Havercroft appelle l’agentivité littéraire « extratextuelle », occasionnée par « […] les retentissements de l’œuvre dans son contexte de parution et ailleurs […] (1999 : 96). Il n’en va pas forcément de même sur le plan intratextuel, qui concerne « les actions et les discours des personnages » (1999 : 96), dans la mesure où les écrivaines convoquées ici mettent en scène des personnages avant tout déterminés par leur condition de mineurs, elle-même marquée par l’assujettissement aux lois du monde adulte (Bonnardel, 2015). Il ne s’agit donc pas d’autoreprésentation, forme d’exploration artistique et littéraire impliquant une démarche potentiellement subversive permettant à la créatrice de mettre de l’avant une version d’elle-même affranchie des contraintes du monde réel en revisitant, par exemple, certaines de ses normes restrictives. Les romans choisis, tous de facture réaliste (reconduisant, en ce sens, les schèmes phallocentrés et adultocentrés qui régissent la sexualité dans les sociétés nord-occidentales), représentent des jeunes filles étant, pour la plupart, dépourvues d’expérience sexuelle et, conséquemment, posées comme étant sans pouvoir vis-à-vis d’un partenaire plus expérimenté, et donc plus apte à imposer ses propres scripts. À cet égard, l’autoréification semble représenter l’unique pouvoir dont elles peuvent se saisir. Ce paradoxe renvoie, par ailleurs, à l’idée de la contrainte, issue de ce rétrécissement des possibles statuts pouvant être investis par les sujets féminins. Il est, cependant, dans notre corpus, des figures illustrant un réinvestissement positif de la position objectale dans une démarche agentive. Dans le cadre de l’analyse d’un corpus large où

le motif de la contrainte domine, ces figures transgressives, ces « échappées » du système idéologique patriarcal, apparaissent investies d’un pouvoir d’autant plus remarquable. Nous y reviendrons plus en détails dans le septième et dernier chapitre.

Dans le cadre de notre analyse, l’étude du contexte narratif sera primordiale pour statuer sur la réification ou l’autoréification des personnages féminins de notre corpus. Il s’agira de prendre en considération, d’une part, la position attribuée au personnage féminin dans les scènes sexuelles où ont lieu les interactions et, d’autre part, d’analyser cette position en regard des conditions plus larges qui le définissent. En d’autres mots, il importera d’examiner les interactions sexuelles à l’aune de ce qui est dit, montré, par le biais des dispositifs narratif et énonciatif, sur la subjectivité du personnage féminin dans l’ensemble du roman.

Le désir féminin : du consentement à la contrainte

L’agentivité sexuelle, parce qu’elle s’inscrit invariablement dans l’interaction, et qu’elle se réfère à la liberté d’action, convoque la notion de consentement. Cela dit, en contexte patriarcal, les enjeux du consentement diffèrent en fonction de l’appartenance sexuelle, laquelle programme une socialisation différenciée. Comme l’indique Geneviève Fraisse : « [l]e consentement de l’homme et le consentement de la femme n’ont […], historiquement, jamais la même valeur. L’homme qui consent semble décider, déclarer; et la femme consentante choisit, mais dans un espace de dépendance envers une autorité. » (2007 : 30) Ainsi, telle qu’elle est présentement définie et utilisée, la notion de consentement, lorsqu’elle est liée à la sexualité, ne semble que concerner les femmes, et leur consentement n’apparaît sollicité qu’en réponse à une invitation masculine (Boisclair et Dussault Frenette, 2016). Pourtant, l’acte de consentir devrait logiquement ouvrir un espace de réciprocité : « Le consentement implique un rapport, mouvement de dire “oui” à autrui,

ou de se dire “oui”, ensemble. » (2007 : 17) Cependant, dans une culture saturée de scripts fondés sur le mythe d’une pulsion sexuelle masculine irrépressible, il semble plutôt que le désir au féminin doive se faire le reflet, l’acquiescement commandés par le sujet masculin. La question du consentement doit ainsi impérativement être pensée en regard de la distribution du pouvoir dont elle est indissociable. Comme l’ont montré les féministes matérialistes, dont Colette Guillaumin, le système patriarcal entraîne les femmes à céder leur corps, leur temps et leur force de travail au profit du maintien de la supériorité masculine (Guillaumin, 1978a) – tout cela s’effectuant, bien sûr, à leur corps défendant, l’imaginaire des femmes (comme celui de tout groupe dominé) étant « envahi » par « leur situation objective de dépendance aux hommes » (Mathieu, [1985] 2013 : 158). Suivant cela, nous pourrions, avec Geneviève Fraisse, poser la question : « qu’est-ce qu’un consentement mutuel dans un contexte patriarcal ? » (2007 : 28) Ou, plus précisément : qu’est-ce que le consentement des filles et des femmes dans un contexte patriarcal ? – contexte qui, chez ces dernières, façonne un « imaginaire de l’impuissance » (Lordon, 2013 : 240) et les conduit à se penser en objet. Or l’une des choses qui permet à cette « impuissantisation » des femmes de se perpétuer est le fait qu’elle soit culturellement investie afin de produire un affect positif (Ahmed, 2010), faisant en sorte que les filles et les femmes ne ressentent pas systématiquement le poids de la contrainte, semblant plutôt parfois enchantées de s’engager sur cette voie. Les compliments suscités par la conformation à la féminité normative – modèle d’obéissance, de gentillesse et de docilité –, lesquels produisent une certaine euphorie, car ils attribuent une valeur en regard des impératifs de genre, ont cette fonction111. Il s’agit là du

propre de la violence symbolique, telle que définie par Bourdieu, et qui a partie liée au processus d’intériorisation des schèmes de pensée du dominant (1998 ; voir aussi Barry, 1979).

111 Mais encore faut-il que le corps physique soit déjà un tant soit peu conforme aux idéaux de beauté véhiculés à l’époque et à la région géographique données.

Voilà qui fait du consentement des filles et des femmes à leur propre domination une impossibilité fondamentale, dans la mesure où, au sein d’un rapport marqué par la domination de genre, la conscience même de la domination, par les sujets impliqués, est inégale. Comme l’indique Nicole-Claude Mathieu, « [l]’oppresseur et l’opprimé(e) ne sont pas des sujets à consciences identiques, parce qu’ils sont en situations contraires » ([1985] 2013 : 201) : « [l]’oppresseur est dans sa conscience un dominant, il respire sur ses hauteurs ; l’opprimé (l’oppressé) étouffe dans