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CHAPITRE 3 – L’ENFIROUAPÉ SOUS DIFFÉRENTS ANGLES

3. LES DIFFÉRENTES ÉDITIONS DE L’ENFIROUAPÉ

3.4 L’entourloupé, 1985 – Première édition française

En 1977, Alain Stanké ouvre un bureau à Paris, les productions Stanké. Mais il n’est pas facile de percer le marché français et bientôt le bureau ferme ses portes, en 1983. Deux ans plus tard, Stanké décide de vendre les droits de L’enfirouapé, pour l’Europe, à l’éditeur français Jean Picollec. Picollec et Stanké présentent plusieurs similitudes quant à leurs politiques éditoriales. Cela se manifeste d’abord dans la grande diversité des genres qu’ils éditent. Du roman littéraire (Tristan et

Iseult chez Picollec et Agoak, l’héritage d’Agaguk chez Stanké), aux livres de santé (Les diabètes

chez Picollec et Vivre la santé : comment la pensée guérit chez Stanké) et de sport (Histoire du

football breton chez Picollec et Les 100 plus grands Québécois du hockey chez Stanké), les guides

de voyage (Guide de l’Irak : 10 000 ans d’histoire en Mésopotamie chez Picollec et Guide du

voyage en famille chez Stanké) en passant par les biographies (Yasser Arafat : biographie et entretiens chez Picollec et Fidel, mes années de jeunesse chez Stanké) et les livres de musique

(Chantres de toutes les Bretagnes : 20 ans de chanson bretonne chez Picollec et Musique classique chez Stanké), les deux catalogues de ces éditeurs confirment certaines affinités éditoriales entre les deux hommes. Le caractère hétéroclite de leurs catalogues respectifs est sans équivoque, reposant notamment sur l’actualité.

79 Le premier roman de Beauchemin sera publié chez Picollec sous le titre L’entourloupé24 en 1985. L’éditeur français opte pour un synonyme du mot enfirouapé, qui d’ailleurs avait déjà été proposé par Beauchemin à Stanké25.

Retiré du titre, la dimension québécoise de l’œuvre se retrouve dans l’illustration, le drapeau québécois (voir Figure 4). Si enfirouapé n’évoque pas clairement le Québec auprès des lecteurs européens, le drapeau, lui, apparait sans équivoque. En effet, le fleurdelisé indique l’identité de la variété de français employée dans l’œuvre et informe ainsi le lectorat que cette variété a de fortes possibilités de se démarquer du français de référence.

24

Le substantif entourloupé n’apparait pas dans les dictionnaires français comme Le Petit Robert ou Le Petit Larousse

Illustré, mais les noms entourloupe et entourloupette, dans le sens de « mauvais tour joué à quelqu’un », y sont

répertoriés. Ces deux noms sont de registre familier. 25

En effet, on trouve les titres L’entourloupé et L’entourloupette dans la liste de titres que l’auteur avait soumis à Stanké en 1974 (voir P43 – Fonds Henri Tranquille – Université de Sherbrooke).

Dans cette édition, la quatrième de couverture s’inspire largement de la note liminaire qui se trouve au début de l’édition québécoise de 1985 :

Ce roman loufoque et cruel nous conte un curieux duel entre un naïf,

l’Entourloupé, et un député crapuleux sur un fond de politique exacerbé (le

combat des indépendantistes québécois).

En prison durant trois ans, l’Entourloupé réfléchi [sic]. À sa sortie, il entreprend de se venger.

Assauts, prises d’otages, scènes d’horreur se mêlent à de la tendresse ou à de l’obscénité dans un style débridé qui, tantôt drôle, tantôt tragique, nous évoque soit Rabelais soit Alexandre Dumas.

Les événements les plus picaresques, les personnages les plus farfelus se heurtent dans la plus grande allégresse ou le plus grand drame. Yves Beauchemin ajoute à la politique une dimension qui ne s’y trouve pas souvent : l’humour.

L’entourloupé est le premier roman d’Yves Beauchemin devenu célèbre avec

son roman : Le Matou.

Né en 1941, l’auteur est écrivain et journaliste à la télévision Radio Québec. (Beauchemin, 1985b : 4e de couverture)

On y résume l’histoire tout en situant l’action dans le contexte sociopolitique de l’époque au Québec, c’est-à-dire sur « un fond de politique exacerbé (le combat des indépendantistes québécois). » (Beauchemin, 1985b : 4e de couverture) De plus, l’auteur est comparé à Rabelais et à Alexandre Dumas. Ces comparaisons avaient déjà été faites par Stanké et par François Ricard. La phrase : « Les événements les plus picaresques, les personnages les plus farfelus se heurtent dans la plus grande allégresse ou le plus grand drame » (Beauchemin 1985b, 4e de couverture) ressemble d’ailleurs étrangement à un passage de la critique de Ricard produite en 1974 : « on trouve de tout dans ce récit [...] marqué par une puissance d’invention, [...] et par une allégresse qui ne sont pas sans rappeler par endroits les romans picaresques les plus farfelus. » (Ricard, 1974 : V3) Les pistes d’interprétation fournies par l’éditeur français sont ici mises de l’avant. Les références à Rabelais, à Dumas et aux romans picaresques semblent d’autant plus proches du public français. Picollec joue son rôle d’hyperlecteur, soit le « représentant d’une communauté de lecteurs à laquelle il propose ses interventions, ses suggestions, enfin ses interprétations » (Cadioli 1997 : 144), en retravaillant et en déplaçant certains éléments présents dans le paratexte des éditions québécoises, pour les adapter aux lecteurs francophones d’Europe.

81 Finalement, l’éditeur français mentionne également le succès du roman Le Matou, sans doute pour mieux vendre L’entourloupé aux Français. En effet, à cette date, Beauchemin s’était fait connaitre en Europe grâce à l’immense succès qu’a connu Le Matou et qui a été publié à Paris, en 1981, dans une coédition Québec/Amérique et éditions Julliard.

Les éléments de la page de titre ainsi que les annexes du roman présentent aussi quelques éléments intéressants. Par exemple, la page 4 présente les œuvres parues chez le même éditeur. La liste contient 15 titres parmi lesquels 5 titres ont reçus des prix littéraires. Picollec, qui semble investir dans des valeurs sûres, présente par le fait même sa maison d’édition comme une entreprise à succès.

Du côté des autres éléments de paratexte, outre la dédicace qui demeure inchangée, cette édition ne retiendra ni la note liminaire, ni la note de l’auteur, ni les extraits de la critique. Le glossaire sera quant à lui conservé, mais non sous sa forme d’origine, comme nous le verrons plus loin. Les éléments analysés ici montrent que cette édition s’adresse à un public exclusivement européen. Pour preuves, le fleurdelisé qui trône en page couverture, le titre du roman et celui du glossaire qui ont été changés, ou plutôt traduits, dans un français plus accessible aux francophones hors Québec, le nombre d’entrées du glossaire qui a pratiquement doublé et certaines définitions qui ont été retravaillées par l’éditeur français. Par ailleurs, Picollec mise sur une certaine dimension nationaliste qui a encore la cote en Europe en 1985.