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La question du handicap est une préoccupation grandissante dans notre société car elles concernent un nombre croissant de personnes du fait du vieillissement de la population, de

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l’augmentation de la durée de vie en cas de maladies chroniques, de victimes de violence ou de conflits (O.M.S, 2011). Afin de rendre compte de cet état de fait, les concepts « Not yet disabled » ou encore « Tempory Ables Bodied » ont émergé.

1.3.1 – Loin d’une minorité, tous concernés : « Not yet disabled »

Le handicap fait de plus en plus partie de la vie de tout un chacun que l’on soit concerné directement, ou indirectement par un proche. La désignation des personnes valides comme « Not Yet Disabled » ou « Temporary Able Bodied » rend compte que le handicap et les situations de handicap ne sont plus l’affaire de quelques-uns (Albrecht, Ravaud, & Stiker, 2001) mais revêtent finalement un caractère universel considérant, qu’au cours d’une vie, tout individu est susceptible d’y être confronté, ne serait-ce avec le vieillissement.

Toutefois, il s’avère difficile de connaître avec précision le nombre de personnes concernées par le handicap en France. Les données chiffrées sont très variables d’une source à une autre car dépendantes de la définition du handicap, de sa nature, et de ses conséquences sur la vie des personnes (Blanc, 2002). De plus, les sources statistiques sont dispersées entre plusieurs services. Le Conseil Economique et Social souhaite d’ailleurs coordonner les informations quantitatives propres à chaque ministère afin de mieux identifier les besoins des personnes en situation de handicap, les efforts réalisés et ceux restant à faire (Assante, 2000). Dans la mesure où il n’existe pas de recensement spécifique des personnes en situation de handicap, l’estimation du nombre de personnes concernées par le handicap se fait sur la base de données issue d’enquêtes ou de sources administratives. En 2011, d’après une enquête réalisée par l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (I.N.S.E.E) en France métropolitaine, environ 2 millions de personnes, de 15 à 64 ans, déclarent avoir une reconnaissance administrative d’un handicap leur permettant de bénéficier de l’Obligation d’Emploi de Travailleurs Handicapés (Dares Analyses, 2014). En 2007, une enquête complémentaire à celle de l’emploi, menée par le même institut, précisait qu’une considération plus large de la population des personnes en situation de handicap incluant les personnes ayant un problème de santé depuis au moins six mois et rencontrant des difficultés importantes dans leurs activités quotidiennes, portait ce nombre à 9.6 millions de personnes (Dares Analyses, 2010). En 2015, la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (C.N.S.A) comptabilise un peu plus de 1 million de personnes qui bénéficient de l’Allocation Adulte Handicapé (A.A.H) et près de 233 mille bénéficiaires de l’Allocation d’Education de l’Enfant

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Handicapé (A.E.E.H)1. Néanmoins, le handicap ne donne pas systématiquement lieu à une

reconnaissance administrative octroyant des droits à des prestations ou à des dispositifs d’accompagnement spécifiques. Par conséquent, ces chiffres ne reflètent qu’une vision partielle de la réalité. A l’échelle de l’Union européenne, cela représenterait six personnes sur dix soit environ 80 millions de personnes (Commission européenne, 2010). Pour l’O.M.S (2012), la prévalence mondiale du handicap s’élève à 720 millions de personnes de plus de 15 ans vivant avec des difficultés fonctionnelles dont 100 millions avec des difficultés sévères2. Il existe peu de données

relatives à la période de la petite enfance mais l’estimation du nombre d’enfants ayant un handicap d’origine périnatale en France serait de 7 500 enfants par an, soit 1% des naissances (Inserm, 2004). D’autres données concernant plus spécifiquement les enfants en situation de handicap portent sur leur scolarisation. Le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche indique qu’à la rentrée scolaire 2014, près de 260 mille élèves en situation de handicap ont été scolarisés en milieu ordinaire. Bien que ces chiffres ne portent pas spécifiquement sur notre population d’étude, à savoir les jeunes enfants en âge d’être accueillis au sein des structures de la petite enfance, ils permettent de mesurer la nécessité de prendre en compte les besoins de cette « minorité » sans cesse grandissante (Nations Unies, 2014).

Ainsi, face à une population de plus en plus concernée par les questions du handicap et une revendication légitime des personnes en situation de handicap et de leur famille pour le respect de leurs droits fondamentaux et la reconnaissance de leur pleine citoyenneté, les instances politiques nationales, européennes et internationales se voient contraintes d’adopter de nouvelles stratégies.

1.3.2 – Les stratégies politiques à l’égard du handicap

Les politiques nationales sont très variables d’un pays à l’autre et en Europe, à partir des années 60, on constate une évolution des pratiques associées au handicap. Dans les pays scandinaves, comme en Suède, les politiques en matière de handicap se sont centrées sur le maintien de l’enfant dans sa famille, le libre choix des prestations et la participation de la famille dans le processus d’accompagnement. Les établissements spécialisés destinés aux personnes ayant un handicap mental, intellectuel, affectant les capacités de communication ou le comportement, y ont été interdits puis fermés. En Italie, on assiste à la quasi fermeture des hôpitaux psychiatriques et à la réhabilitation des personnes ayant une maladie mentale comme des citoyens à part entière. A

1 Sources Caisse Nationale des allocations familiales (C.N.A.F) et Caisses de Mutualité Sociale Agricole (C.M.S.A)

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partir des années 1990, les enfants en situation de handicap sont scolarisés dans les établissements scolaires ordinaires, ce qui va impulser une logique de désinstitutionnalisation redéfinissant les frontières entre les « valides » et les personnes en situation de handicap. L’Union européenne a alors développé une législation sur l’égalité des chances dans le but d’améliorer et d’harmoniser la situation des personnes en situation de handicap en Europe.

En France, le développement de la prise en charge des personnes en situation de handicap, à travers la création des institutions spécialisées afin de répondre aux besoins spécifiques de cette population, a surtout été initié par les mouvements associatifs de personnes en situation de handicap et de leurs familles (Ravaud, 1990). De nombreux établissements sont ainsi gérés par des associations et des familles, et si ces derniers sont en partis à l’origine de l’essor du milieu spécialisé, ce sont aussi les principaux acteurs des revendications en matière d’intégration. Néanmoins, pour Ravaud (1990), les dispositifs visant la désinstitutionnalisation et l’intégration des personnes en situation de handicap ne résultent pas uniquement des actions associatives. En effet, selon ce dernier, les intentions politiques à la base de cette évolution sociale répondent surtout à des arguments économiques quant au coût que constitue la prise en charge d’une personne en situation de handicap intégrée, en comparaison à celui de la prise en charge de la personne en institution. Bien que les politiques publiques ont pour ambition, dans les textes, l’intégration des personnes en situation de handicap dans la vie sociale ordinaire (via l’éducation, l’emploi, l’habitat), elles précisent également le recours à des services spécialisés contribuant à l’ambiguïté des intentions et des priorités. En outre, cette ambivalence ne permet pas de faire évoluer les représentations du handicap qui demeurent sur un versant négatif (du manque, du déficit, du moins) comme le montre la loi du 10 juillet 1987 qui contraint les entreprises de plus de 20 salariés à employer au moins 6% de personnes en situation de handicap sous peine de verser une contribution financière au fonds de développement pour l’insertion professionnelle de ces mêmes personnes. Or, il est admis que nombre d’entreprises privilégient le paiement de cette contribution financière plutôt que l’embauche de salariés en situation de handicap (Marmion, 2010) témoignant d’une représentation des personnes en situation de handicap non favorable à leur intégration en milieu ordinaire (Legros, 2010). Ainsi, si les objectifs d’intégration sont présents dans le discours législatif et le discours moralement admis, des « pratiques ségrégationnistes » (Ravaud, 146, 1990) demeurent perceptibles notamment à travers le maintien des personnes en situation de handicap en institution.

Dans un rapport du Comité Consultatif National d’Ethique (2007) pour les sciences de la vie et de la santé, l’institutionnalisation des personnes en situation de handicap est d’ailleurs

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dénoncée : « Ces établissements, généralement périphériques, parfois très éloignés du domicile de la famille, donnent la bonne conscience d’une prise en charge adaptée qui ne perturbe pas la vie sociale du plus grand nombre, et constituent de fait un isolement, une exclusion de l’enfant qui rendra d’autant plus difficile son insertion sociale ultérieure » (C.C.N.E, 2007, 13). Par ailleurs, dans le domaine du handicap, les inégalités sociales sont exacerbées puisqu’un enfant issu d’un milieu social populaire est deux fois plus souvent atteint d’une déficience qu’un enfant issu d’un milieu social favorisé. Une enquête menée auprès des personnes en situation de handicap vivant en institution révèle qu’un enfant d’ouvrier a sept fois plus de risque d’entrer en établissement spécialisé qu’un enfant de cadre ou de profession libérale (Mormiche, 2000). A handicap de degré équivalent, la proportion d’enfants d’ouvriers et d’employés entrant en institution est trois fois plus élevée que chez les cadres ou les professions intermédiaires. Cette inégalité face au handicap se retrouve également auprès des personnes vivant en milieu ordinaire puisqu’en milieu ouvrier les personnes déclarant au moins une déficience est 1.6 fois plus élevée. Enfin, si les inégalités sociales apparaissent en fonction de la fréquence des déficiences, elles concernent également les difficultés dans la vie quotidienne qui se révèlent être plus fortes et plus importantes dans les milieux modestes (Mormiche, 2000).

Outre la question de la désinstitutionnalisation et des inégalités sociales, celles de la compensation et de l’accessibilité sont au cœur des politiques menées en France depuis la loi de 2005 (Ravaud, 2011). La mise en place d’une prestation de compensation doit alors permettre de couvrir les dépenses inhérentes aux aides requises à partir du plan personnalisé répondant au projet de vie de la personne. Quant à l’accessibilité fondée sur le principe « d’accès à tout pour tous », l’échéance initialement fixée à 2015 a été reporté avec des délais allant de 3 à 9 ans.

Si l’inscription des problématiques du handicap dans une perspective socio-historique permet de comprendre certains enjeux actuels, elle ne demeure en rien suffisante et satisfaisante pour dépasser les nombreuses inégalités persistantes que la société, plus que le handicap lui-même, engendre. Les considérations éthiques et pratiques semblent fonctionner à deux vitesses avec d’une part, des évolutions conceptuelles décisives et d’autre part, l’attente de leurs mises en œuvre qui perdure dans le temps. L’inaccessibilité de certains lieux aux personnes en situation de handicap, et ce dès leur plus jeune âge, atteste de comportements discriminatoires qui ne peuvent être ignorés. La présence ou plutôt l’absence d’enfants en situation de handicap au sein des établissements de la petite enfance vient ainsi questionner la place faite et laissée aux personnes en situation de handicap alors que prédomine un sentiment général d’ouverture.

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CHAPITRE II – L’ACCUEIL DES ENFANTS EN SITUATION DE HANDICAP DANS

LES STRUCTURES COLLECTIVES DE LA PETITE ENFANCE : VERS UNE MUTATION DES INSTITUTIONS ?

En France, les services de garde de la petite enfance proposent plusieurs types d’accueil. De façon générale, il en existe deux grands types : d’une part, l’accueil individuel où l’enfant est confié à un(e) assistant(e) maternel(le)3, le plus souvent à son domicile, et d’autre part, l’accueil des

enfants au sein des structures collectives. Si le choix du mode de garde revient aux parents, dans la réalité, ces derniers se confrontent souvent aux difficultés occasionnées par le manque de place en structure collective, par des contraintes horaires, économiques, et/ou géographiques, qui font que ce choix demeure parfois relatif (Plaisance, 2010). Ainsi, lorsque la recherche d’un mode de garde se double de la question d’un lieu qui puisse s’adapter aux besoins spécifiques qu’engendre le handicap, de fortes inégalités d’accès apparaissent (Boyer, 2005 ; Candiago, Moreira, Ruffiot, Robin, & Maneveau, 2012).

Alors que la période de la petite enfance est de plus en plus reconnue comme déterminante pour l'adaptation et l’intégration sociale ultérieure de l’enfant (Cantin, Bouchard, & Bigras, 2012 ; McCain, Mustard, & Shanker, 2007 ; Organisation de Coopération et de Développement Economique, 2007), l’accueil des enfants en situation de handicap dans les structures collectives de la petite enfance ne relève pas encore de pratiques effectives. Ce constat oblige à s’interroger sur la place faite aux personnes en situation de handicap, et ce, dès leur plus jeune âge, puisqu’elle ne va visiblement pas de soi. A l’heure où l’inclusion se trouve être au cœur de bien des débats, quels sont les apports et les limites de cette notion tant sur le plan théorique que de son application ? Paradoxalement, certaines évolutions sont perceptibles puisque les modes d'accueil relatifs aux enfants en situation de handicap se diversifient. Entre réticences de l’accueil et diversification de celui-ci, quels sont les freins et les leviers qui influencent l’accueil des enfants en situation de handicap dans les structures collectives de la petite enfance ?

Dans ce chapitre, nous présenterons les éléments constituant le cadre socio-juridique des établissements de la petite enfance et leurs caractéristiques. Nous préciserons la question de

3 Personne agréée par les conseils généraux, gardant des enfants à leur domicile, employées par les parents

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l’accueil des enfants en situation de handicap au sein de ces structures et les enjeux qui y sont rattachés. Enfin, nous exposerons les études portant sur les effets de l’accueil sur le développement de l’enfant.