• Aucun résultat trouvé

L’enfant téléspectateur comme formation discursive

1 Je souhaite adresser mes remerciements sincères au professeur Thierry Bardini, pour m’avoir suggéré à l’hiver 2009, lors de la soutenance du projet doctoral, de tenter de «saisir » le mouvement de la pensée qui construit l’enfance, et qui m’intéresse tant, à l’endroit de sa rencontre avec la technique. C’est dans cet univers que j’ai pris la décision de contribuer de manière moins ambitieuse à esquisser une théorisation de l’enfance, notamment en tant qu’«enfant téléspectateur».

Réfléchir au jeune téléspectateur en tant que construction discursive et sociale implique le fait de m’intéresser, plus spécifiquement, à la manière dont le discours et le savoir participent à la configuration de notre culture quotidienne. Pour Foucault, la formation sociale des objets et la «vérité » sur ces objets sont le produit de ce qu’il appelle les formations discursives. L’analyse du discours suppose de les décrire, bien que cela pose le problème de les « saisir » en action. Dans cette perspective, il accorde aussi une importance particulière, tel qu’on le verra par la suite, aux éléments qui participent activement à ces formations, notamment au « régime de vérité » et aux effets de celui-ci sur le discours, les pratiques sociales et la vie quotidienne. Ce qui m’intéresse dans cette approche particulière d’analyse du discours, c’est qu’elle me permet de comprendre comment, à partir de l’idée de vérité que l’on a d’un objet social quelconque, des pratiques culturelles, économiques et politiques, mobilisées par différents acteurs, sont mises en place et justifiées en son nom.

Un autre aspect du regard foucaldien porté sur l’analyse du discours qui a retenu mon attention, c’est que l’étude d’une formation discursive renvoie à repérer et à décrire des formes de répartition d’éléments de nature de toute sorte dans le temps et dans l’espace. En effet, pour Foucault une formation discursive est aussi un système de dispersion, autant de pratiques discursives que non- discursives, mais aussi notamment du savoir, et de ses effets de vérité à une époque donnée et dans un contexte donné.

Les dimensions spatiale, topographique, et du mouvement qui me semblent rattachées à la dynamique des formations discursives chez Foucault m’intéressent beaucoup. D’ailleurs, il décrit une formation discursive comme une répartition d’éléments en relation, et l’analyse du discours comme ce qui décrirait ses systèmes de dispersion :

« Dans le cas où on pourrait décrire, entre un certain nombre d’énoncés, un pareil système de dispersion, dans le cas où entre les objets, les types d’énonciation, les concepts, les choix thématiques, on pourrait définir une régularité (un ordre, des corrélations, des positions et des fonctionnements, des transformations) on dira, par convention, qu’on a affaire à une formation discursive,- évitant ainsi des mots trop lourds de conditions et de conséquences, inadéquats d’ailleurs pour désigner une pareille dispersion, comme « science », ou « idéologie », ou « théorie », ou « domaine d’objectivité ». On appellera règles de formation les conditions auxquelles sont soumis les éléments de cette répartition (objets, modalités d’énonciation, concepts, choix thématiques.). Les règles de formation sont des conditions d’existence (mais aussi de coexistence, de maintien, de modification et de disparition) dans une répartition discursive donnée. » (1969 :56-57).

Un autre élément qui est mutuellement relié avec un processus de formation discursive sur lequel je me penche également dans ce chapitre, est le « régime de vérité ou de savoir » du jeune téléspectateur. Dans la manière dont Foucault traite les formations discursives, il distingue l’articulation de processus hétérogènes et dynamiques, mettant en relation indissociable les dimensions discursive et non-discursive du monde social. C’est justement cette dynamique qui configure les objets sociaux. Dans cette perspective, comprendre la place du régime de vérité et le rôle joué par le savoir dans cette articulation constitue un des enjeux de cette ébauche de théorisation de l’enfant téléspectateur du Chili « post-1990 ».

De la même façon, il est intéressant de noter comment c’est précisément au travers desdites formations discursives que le régime de vérité participe à constituer l’enfant téléspectateur, en même temps qu’il se disperse, circule et se matérialise dans notre quotidien, par intersection, dans le temps et dans l’espace.

Ceci étant dit, il sera question, donc, d’explorer aussi ce que Foucault entend par le « régime de vérité ». Ceci pour comprendre comment une certaine idée de la vérité sur le jeune téléspectateur, c’est-à-dire l’expression et matérialisation de la pensée sur celui-ci, est mise en place au travers du discours et pratiquée culturellement, en même temps qu’elle le « fait être ». Ainsi, je m’emploie, aussi, à montrer que les formations discursives produisent des effets de réalité dans le monde quotidien, comme le met en relief Foucault (1983). Cela à un point tel, que les figures qu’incarnent ces objets, véritables amalgames de pratiques discursives et non-discursives, nous semblent des évidences du quotidien.

Qui plus est, je propose que le jeune téléspectateur soit le fruit d’une émergence constante, bien qu’actualisée par des événements conjoncturels dans lesquels il fait l’objet de débat public ou d’intervention sociale. Suivant en cela Allor et Gagnon (1994), tout comme Grossberg (2003), je souhaite prendre aussi en considération les conjonctures qui mettent en relation les rapports discursifs et non discursifs dans la construction du social. Je postule qu’une fois activés par ladite conjoncture, ces rapports constituent, tout en s’articulant, l’enfant téléspectateur sous différentes formes et figures. Comprendre le jeune

téléspectateur comme étant le fruit, autant virtuel que matériel, de formations discursives et d’un régime de vérité, implique de déployer une pensée s’inscrivant dans un réseau de relations (Grossberg, 2003), auquel j’ai référé dans le premier chapitre. S’inspirant de Foucault, Grossberg affirme que les vies quotidiennes sont articulées par et avec la culture, au sein de formations sociales spécifiques.

Ces divers éléments et processus participant à la constitution de l’enfant téléspectateur (le régime de vérité, les formations discursives, l’articulation conjoncturelle de sa formation sociale) s’avèrent des outils conceptuels pour entreprendre la présente esquisse épistémologique.