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L ’ ECONOMIE ET LA LOI CHEZ R OUSSEAU

J’ai débuté en 2006 un programme de recherche sur la pensée économique de Rousseau et son articulation avec son système philosophique et politique. Ce programme initié par des travaux sur la représentation de l’économie politique dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert m’a conduit à analyser les relations entre les réflexions, apparemment assez frustres de Rousseau en économie, et ses théories politiques, beaucoup plus fines et développées. Un certain nombre d’auteurs défendent l’idée que les analyses de Rousseau, centrées sur l’autarcie, le rôle pernicieux de la monnaie et des échanges en général, devaient être réhabilités au regard de son système philosophique. La tentative est grande, disent-ils, de juger ces travaux à l’aune du discours économique actuel, lui-même produit par un système économique, le capitalisme, que Rousseau rejetait. Derrière ce qui peut

54 « La puissance civile s’exerce de deux maniéres : l’une légitime par l’autorité, l’autre abusive par les richesses. Partout où les richesses dominent, la puissance et l’autorité sont ordinairement séparées, parce que les moyens d’acquérir la richesse et les moyens de parvenir à l’autorité n’étant pas les mêmes sont rarement employés par les mêmes gens. Alors que la puissance apparente est dans les mains des magistrats et la puissance réelle est dans celle des riches. Dans un tel gouvernement tout marche au gré des passions des hommes, rien ne tend au but de l’institution » J.-J. Rousseau, Projet de Constitution pour la Corse, OEuvres Complètes, Paris, Gallimard, 1964, III, 939.

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apparaître comme une bataille d’érudits discutant ad nauseam des interprétations possibles d’un corpus finalement assez limité (les œuvres complètes de Rousseau sont regroupées en cinq volumes de la Pléaide), se déroule en fait un débat beaucoup plus important, celui du relativisme scientifique appliqué à l’économie. Si l’on admet que Rousseau (cela pourrait, en l’occurrence, être n’importe quel auteur) a construit un système économique cohérent qui échappe totalement aux standards de la science économique contemporaine et que ce système ne prend son sens que dans un système politique distinct, voire antinomique, au système capitaliste qui définit nos sociétés actuelles, alors on est en droit d’admettre, ce que de nombreux sociologues et philosophes ont théorisé dans les années 70 et 80, à savoir que toute connaissance est le produit de pouvoirs institutionnels. Autrement dit, que la science économique aurait pour vocation première d’asseoir et de renforcer les pouvoirs de ceux qui elle profite. En tant qu’historien de la pensée économique, formé au Centre Léon et Walras de Lyon, et très orienté vers l’histoire contextuelle ou intellectuelle de la pensée, j’ai moi-même longtemps été, consciemment ou non, attiré vers ce cadre de pensée. Mes travaux de thèse sur la formation et la diffusion de la pensée économique libérale au dix-huitième siècle en portent la trace. Mon programme de recherche sur Rousseau était, d’une certaine manière, une façon pour moi de tester cette hypothèse ‘de l’autre côté’ de la barrière, celui des opposants de l’économie libérale alors défendue par les premiers économistes. La tentation a été grande, chez un certain nombre d’historiens de la pensée économique, de voir en Rousseau un ‘autre’ économiste, une autre façon de théoriser l’économie, et de comparer ses mérites à ceux de l’économie dite dominante ou orthodoxe. Les résultats de mes propres recherches sont autres, et montrent la profonde méconnaissance de Rousseau des mécanismes économiques. Rien ne permet non plus d’affirmer que le

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système d’autoproduction qu’il décrit dans la Nouvelle Héloïse ait la dimension politique que certains veulent lui prêter. On a donc tort de vouloir faire de Rousseau un économiste oublié, première victime d’un système économique qu’il tenait de combattre, et toute reconstruction de son discours fondée sur les bribes de textes de natures différentes (traités, fictions, correspondances etc.) pose, de mon point de vue, de vrais problèmes méthodologiques. Ces conclusions ne sont pas celles que je comptais formuler au début des mes recherches. Elles se sont progressivement imposées à moi. J’ai parfois eu du mal à les accepter, mais je dois dire que j’ai encore eu plus de mal à les faire accepter à mes collègues historiens de la pensée économique, qui y voyaient non seulement une remise en cause de leurs propres travaux mais également de leur idéologie. Cette expérience a été certes difficile, notamment par la difficulté à publier par laquelle elle s’est traduite. Elle m‘a néanmoins permis de m’éloigner du relativisme scientifique que les SHS, et notamment l’histoire de la pensée économique, contribuent à développer, et dont on commence aujourd’hui à mesurer les dangers.

a. L’ECONOMIE ET LA LOI CHEZ ROUSSEAU

La pensée économique de Rousseau a souvent été réduite à quelques fragments sur la monnaie, les inégalités, le luxe et l'autarcie. Comparée aux écrits contemporains de Quesnay, Smith ou Hume, elle est donc apparue comme ‘retardataire' voire réactionnaire. Jean Mathiot a cependant montré que loin de s'inscrire dans une tradition passéiste, la pensée économique de Rousseau marque au contraire une avancée significative de la philosophie politique dans ses rapports à l'économie politique, dont elle accompagne, voire

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anticipe, le développement55. Selon lui, la modernité de la pensée économique de Rousseau se révèle paradoxalement dans son ouvrage le plus politiquement achevé, et économiquement le plus épuré, le Contrat Social. Notre propre travail s'inscrit, sur ce point, dans sa continuité56. Nous nous en démarquons cependant sur un point, le statut de la rationalité économique. L'ambition de cet article est, en effet, de montrer, à travers le cas de l'échange, que la relation entre la politique et l'économie, bien que hiérarchisée, ne se réduit pas à une hégémonie de la rationalité politique. La rationalité économique apparaît, au contraire, constitutive de l'état civil légitime y compris dans son expression la plus négative, à savoir l'autarcie57.

La valorisation sociale et individuelle des richesses, loin d’être source de progrès, contrarie le développement normal de l’économie nationale. Rousseau se démarque donc sensiblement de ses contemporains tels que Smith ou hume. La richesse et la loi constituent deux référents exclusifs l’un à l’autre58. Il n’est donc pas possible d’avoir dans le même temps deux sources d’autorité, la loi et la richesse. Or, seule la première est

55 J. Mathiot, « Politique et économie chez Jean-Jacques Rousseau », dans J. Boulad-Ayoub, I. Schulte-Jenckhoff et P-M. Vernes (dir.), Rousseau. Anticipateur-retardataire, Paris, L’Harmattan, 2000, pp. 19-39.

56 C. Salvat, “La loi et l’échange: le statut de la rationalité économique chez Rousseau”, Revue

économique, volume 58, n°2, Mars 2007, pp.381-398.

57 Dans l’article L’échange et la loi, je montre en particulier, que Les effets pervers de l’échange, notamment le développement des inégalités morales, ne sont pas le fait de l’échange, qui dans son principe ne fait que reproduire les inégalités naturelles, mais de son instrumentalisation sociale. L’échange est, au même titre que la monnaie, les sciences et les arts, voire que le langage même, un outil de distinction sociale. L’emprise des passions (envie, vanité, orgueil) sur la raison trompe les individus sur leur propre intérêt (amour de soi) et dénature l’ensemble des institutions civiles. L’échange, en tant que mécanisme économique, est altéré et ne répond plus que partiellement à sa rationalité originelle. L’institution d’un cadre politique légitime pourrait, en théorie, atténuer l’impact des inégalités morales sur les représentations symboliques véhiculées par la richesse et la monnaie.

58 « Jamais, écrit Rousseau dans la Lettre à d’Alembert, dans une monarchie l’opulence d’un particulier ne peut le mettre au-dessus du prince ; mais dans une République elle peut aisément le mettre au-dessus des lois. Alors le gouvernement n’a plus de force, et le riche est toujours le vrai souverain. » (Rousseau [1967], p. 171.)

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légitime1. Quelle est alors la place de l’échange dans l’état civil ? Nous montrerons que la loi assure, en quelque sorte, la rationalité de l’échange en en limitant la pratique aux usages conformes à l’amour de soi. La seconde partie de cette section s’interroge sur le statut paradoxal de l’autarcie dans l’œuvre de Rousseau et notamment dans ses fictions. Le rôle du philosophe, à l’instar du législateur, serait donc de substituer aux représentations collectives hétéronomes une nouvelle norme de rationalité. Cet apprentissage passe par une représentation autonome, voire autarcique de l’individu ou de la communauté, et renvoie, au-delà de l’une des figures traditionnelles de l’enseignement économique, Robinson Crusoé, au statut de la fiction dans la conceptualisation de la rationalité économique.

L’autorité morale de l’opinion ne permet pas aux hommes d’agir en fonction de leur véritable intérêt (amour de soi). En se soumettant à une autorité morale économique, sensée justement représenter les inégalités naturelles, les individus se déterminent en fonction d’un impératif de reconnaissance et de pouvoir que leur assure par ailleurs la richesse (amour-propre). L’état policé, décrit dans le premier puis second Discours, et dans lequel les individus agissent dans une apparente indépendance, ne doit sa stabilité qu’à l’hypocrisie et aux normes de civilité de ladite civilisation59. Le passage de l’état de nature à l’état civil induit, en revanche, un transfert de l’autorité morale de la richesse vers la loi. Celle-ci assure un statut identique à tous les citoyens. Les hommes, qui, dans l’état de nature, sont tous égaux devant la Nature, sont à l’état civil tous égaux devant la loi : « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême

59 J. Starobinski, Jean-Jacques Rousseau: la transparence et l'obstacle ; suivi de Sept essais sur

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direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. »60

Cette égalité réinventée donne à chacun une identité commune qui transcende les identités personnelles forgées dans la différence61. Dépendants de la nature dans l’état de nature, les hommes restaurent leur liberté en s’extrayant des dépendances personnelles pour se soumettre collectivement et absolument à la loi62. C’est donc paradoxalement dans la réification et la sacralisation de la loi que dépend la liberté civile des hommes. Le législateur représente l’autorité capable d’établir la conformité des intérêts particuliers à l’intérêt de la nation, de faire « régner la vertu »63. La liberté civile, en abolissant le système de dépendance arbitraire auquel étaient soumis les hommes, leur permet donc de retrouver une forme d’autodétermination et de rationalité64.

Que devient l’échange dans l’état civil légitime ? Ou, plus exactement, quel rôle est-il amené à jouer dans une économie dans laquelle la loi représente la seule autorité morale légitime ? Rousseau ne s’est pratiquement pas exprimé sur le sujet, même si, on le sait, la

60 J.J. Rousseau, Œuvres complètes, tome III : Du Contrat social - Écrits politiques, Paris : Gallimard, 1964, p.361.

61 M. Viroli, Jean-Jacques Rousseau and the 'Well-Ordered Society', Cambridge: Cambridge University Press, 1989, p.191.

62 J.F. Spitz, La liberté politique: essai de généalogie conceptuelle, Paris : PUF, 1995, pp.368-69.

63 J.J. Rousseau, Œuvres complètes, op.cit. p.252.

64 Dans un contexte civil, la liberté ne peut être associée à la notion d’indépendance, ainsi que le précise Rousseau lui-même dans ses Lettres écrites de la Montagne (lem, Viii, p. 841). La vraie liberté ne peut se résumer à une absence factuelle de contrainte, elle réside dans la garantie de l’absence de contrainte. La tradition républicaine ne s’oppose pas à la notion de liberté négative, elle compose avec. Philip Pettit et Quentin Skinner ont largement contribué ces dernières années à défendre le concept de liberté républicaine, entendu comme une non domination (par opposition à la non-coercition de la liberté négative). P. Pettit, Republicanism: A Theory of Freedom and

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seconde partie des Institutions politiques, dont est issu le Contrat social, et qui n’a jamais été rédigée, devait traiter du commerce.

Dans un état légitime et vertueux, la médiation de l’échange n’est plus, en théorie, nécessaire à l’institution d’un lien social. L’état civil, en assurant par la loi, l’identité collective et la liberté des individus, permet donc théoriquement de restaurer la rationalité et la légitimité de l’échange. En devient-il pour autant libre ? Trois considérations nous amènent à penser que la rationalité économique ne se conjugue pas nécessairement pour Rousseau avec la liberté de l’échange. Tout d’abord, il est important de rappeler que, contrairement à l’amour-propre, l’amour de soi est une abstraction. Il représente une norme rationnelle de l’intérêt individuel, mais n’a pas de dimension réelle ou historique. Le contrat social s’appuie, comme la loi, sur une conception autonome de l’intérêt (amour

de soi) mais il ne signifie pas que les individus agissent comme tel. Leurs motivations restent

socialement déterminées. Rousseau ne rappelle-t-il pas, dès la première phrase du Contrat

social, qu’il prend « les hommes tels qu’ils sont, et les loix telles qu’elles peuvent être »65? Les motivations de l’échange ne sont donc pas modifiées par la loi, seules ses pratiques peuvent l’être.

En conséquence, la loi est légitime lorsqu’elle encadre l’échange dans les limites que lui impose l’intérêt. Elle l’interdit ou le contraint lorsque les individus, emportés par l’envie et la vanité, cèdent à des désirs qui vont manifestement à l’encontre de l’intérêt commun et de leur intérêt particulier. C’est le cas notamment du commerce du luxe. La légitimité de

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l’échange dépend donc de sa rationalité économique, elle-même assurée par la loi. La liberté de l’échange est garantie par la loi en même temps que l’autonomie morale des citoyens. Il y a donc, pour reprendre, sur ce point l’analyse de Jean Mathiot, une prééminence de la rationalité politique sur l’économique. L’architectonique de la politique, selon son expression, désigne conjointement la capacité supérieure de la loi sur la richesse à instituer un ordre social, ainsi que sa supériorité heuristique. Non seulement la solution la plus juste est la plus appropriée, explique Jean Mathiot, mais elle peut également s’exprimer en terme d’intérêt66. L’existence de peuples historiquement constitués représente, ensuite, un véritable frein à l’institution d’une nouvelle norme de rationalité. Leurs lois et leurs coutumes, bien que souvent injustes et illégitimes, ont été acceptées et enseignées de générations en générations. Elles ont de facto participé à la formation d’une représentation collective de l’intérêt (amour-propre), lui-même légitimé par certains philosophes, Mandeville notamment. Vouloir réformer ces croyances est une entreprise, non seulement difficile, mais parfois aussi vaine et dangereuse67. Le peuple le plus propre à la législation est donc celui qui « n’a point encore porté le vrai joug des loix ; celui qui n’a ni coutumes ni superstitions bien enracinées »68. La Corse semble être l’un des seuls pays à répondre à l’ensemble des conditions posées par Rousseau69. Mais même, dans ce dernier cas, l’établissement d’une véritable citoyenneté est compromis par le poids des représentations morales de l’échange. Les préjugés des pays riches y sont en effet déjà

66 J. Mathiot, « Politique et économie chez Jean-Jacques Rousseau », dans J. Boulad-Ayoub, I. Schulte-Jenckhoff et P-M. Vernes (dir.), Rousseau. Anticipateur-retardataire, Paris : L’Harmattan, 2000, p.28.

67 J.J. Rousseau, Œuvres complètes, op.cit. p.385.

68 J.J. Rousseau, Œuvres complètes, op.cit. p.390.

69 Outre l’absence de lois, l’indépendance, l’état de paix, la taille et l’absence de richesses sont des éléments fondamentaux pour l’établissement d’un peuple nouveau, J.J. Rousseau, Œuvres

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répandus, « préjugés qu’il faut combattre et détruire pour former un bon établissement »70. Les hommes sont égaux de droit, mais restent inégaux dans l’opinion. Les représentations collectives de l’échange restent donc empruntes d’une symbolique passéiste. Des mesures de restriction, comme la limitation de la circulation de la monnaie, semblent donc d’abord répondre à des mesures de prudence et de pragmatisme politique. Elles participent également d’une volonté de réforme des représentations individuelles et collectives de l’intérêt.

Enfin, l’influence de la loi n’est, par définition, possible que dans le cadre de la nation. Les échanges internationaux y échappent nécessairement. Dotés d’une personnalité morale, les corps politiques sont, en effet, eux-mêmes soumis au joug des passions dont ils sont censés préserver leurs membres. Au niveau international, les nations sont donc encore dans un état de nature. L’échange constitue d’abord, comme la guerre, un mode d’affirmation de pouvoir et d’identité des nations71. Cela se traduit, à l’instar des individus, par une distorsion de l’utilité et du rapport d’échange. L’état hybride qui caractérise alors les sociétés est donc pour Rousseau le pire de tous, car « vivant à la fois dans l’ordre social et dans l’état de nature, nous sommes assujettis aux inconvénients de l’un et de l’autre, sans trouver la sûreté dans aucun des deux »72. Les relations entre nations s’inscrivent dans une démarche collective (et non plus individuelle), conflictuelle et identitaire. L’échange international répond alors aux exigences de visibilité et de discrimination de

l’amour-70 J.J. Rousseau, Œuvres complètes, op.cit. p.902.

71 Dans ses commentaires sur les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, Rousseau envisage cependant l’hypothèse d’une fédération des nations européennes seule capable de concilier la notion communautaire de l’amour de soi et l’enjeu universaliste du droit naturel. Cf. Canto-Sperber [2005], p. 148-152.

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propre. L’agriculture et les productions de première nécessité sont dévalorisés, et in fine délaissés, au profit d’activités plus lucratives telles que le commerce du luxe. Laisser l’échange libre entre les nations constitue, par conséquent, une menace pour la conservation du corps politique et de ses membres. Or, en l’absence d’une communauté européenne, voire mondiale, l’autonomie morale ne peut être réalisée que dans le cadre d’une communauté réduite et elle-même autonome. Une liberté totale de l’échange, pour répondre à l’exigence d’harmonisation des intérêts, impliquerait au niveau politique un pacte social universel.

Existe-t-il cependant une échappatoire à la contrainte politique que nous venons d’évoquer? La première possibilité, évoquée dans le Discours sur l’économie politique, consiste à envisager, à la suite de Diderot73, la possibilité d’une volonté générale globale. La volonté d’un peuple unique constitué en tant que personne morale s’imposerait alors également à tous comme norme universelle de justice74. La possibilité d’un corps politique au niveau mondial, la société générale, est cependant difficilement envisageable dans le cadre théorique de la nation développé par Rousseau. L’idée d’une société générale est d’ailleurs fermement rejetée dans le Manuscrit de Genève75. Une association globale des hommes n’étant ni possible ni souhaitable, une association de peuples, c’est-à-dire une

confédération, permettrait selon lui d’associer la force du lien social qu’offre le patriotisme

à l’universalité de la loi.

73 J. Proust J., Diderot et l'Encyclopédie, Paris: Albin Michel, 1995, pp.388-90.

74 J.J. Rousseau, Œuvres complètes, op.cit. p.245.

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Le premier enjeu de l’économie politique rousseauiste consiste donc à dépasser, par une confédération européenne, un cadre national qui se réduit invariablement à un retour à l’état de nature des corps politiques eux-mêmes. Mais, à l’instar des individus, les corps politiques ne peuvent s’inscrire dans une démarche politique fédératrice lorsqu’ils rivalisent d’orgueil et de vanité. Si à l’intérieur de la nation, l’hypothèse d’une rationalité économique « dominée » peut paraître acceptable, en revanche elle ne peut être étendue au-delà du cadre de la nation. La notion de rationalité, qui trouve son fondement dans l’état de nature, a cependant d’abord une dimension universelle.

b. LA RECEPTION DE ROUSSEAU

Pourquoi l’approche fondamentalement politique de l’économie n’a-t-elle pas reçue le crédit qu’elle méritait ? L’article Economie de l’Encyclopédie constituait cependant une belle vitrine. J’ai évoqué ci-dessus, et dans les travaux qui y correspondent, deux raisons possibles. La première, développée dans ma thèse, est politique. De la reconnaissance du