• Aucun résultat trouvé

Ethique normative et utilitarisme

C) T HEORIE REDUCTIONNISTE DE L ’ IDENTITE PERSONNELLE

1. Ethique normative et utilitarisme

Le paternalisme comportemental m’a d’abord permis de m’interroger sur les conditions de l’efficacité d’une règle pour accroître la rationalité de nos actions. Aujourd’hui, je m’interroge plutôt sur les conditions de l’efficacité d’une règle pour accroître la moralité de nos actions. La philosophie utilitariste, et sa critique déontologique, offrent un cadre théorique unique pour penser les conditions de la décision morale.

L’utilitarisme est une philosophie morale née au dix-huitième siècle sous l’impulsion d’un intellectuel anglais, Jeremy Bentham (1748-1832), qui souhaitait donner des fondements rationnels à la morale et à la justice. Bentham entendait ainsi s’attaquer à la fois à la tradition et à la jurisprudence et à l’intuitionnisme comme principes d’évaluation morale, standards qu’il considérait arbitraires et iniques.

La philosophie utilitariste classique repose sur quatre grands principes fondateurs : le conséquentialisme, c’est-à-dire le principe qu’une action est moralement bonne (right) si ses conséquences sont avantageuses pour l’ensemble de la communauté, l’hédonisme, c’est-à-dire l’idée selon laquelle une action est considérée comme avantageuse si elle augmente le plaisir (net) des individus, l’impartialité, c’est-à-dire l’idée selon laquelle tous les intérêts des individus doivent être traités également, et le maximalisme, soit l’idée qu’une fois le critère d’évaluation morale connu (i.e. le plaisir total), les agents sont tenus d’agir de façon à en maximiser la quantité. Ceux-ci ne sont pas, cependant, toujours caractéristiques de l’utilitarisme contemporain. Enfin, précisons que dans sa version traditionnelle, la théorie utilitariste est une procédure d’évaluation directe des actions

individuelles. Dans un certain nombre de ses versions contemporaines, elle se présente, en

111

une théorie d’évaluation directe des actions collectives. C’est cet aspect de la théorie utilitariste contemporaine qui, à mon sens est appelé à être le plus discuté dans les prochaines années au regard des enjeux posés par l’éthique appliquée.

A)LE PRINCIPE DIMPARTIALITE

Le principe d’impartialité désigne le principe selon lequel une règle morale ne peut favoriser les intérêts de certaines personnes ou de certains groupes de personnes au détriment des autres. On définit alors l’impartialité comme l’impossibilité de justifier un

choix par les intérêts d’une ou de plusieurs personnes. Nous aurons l’occasion ci-après de

le distinguer de l’impersonnalisme que l’on définit comme l’impossibilité de justifier un

choix du point de vue d’une ou de plusieurs personnes.

La notion d’impartialité est étroitement liée à deux autres notions, également très importantes dans le raisonnement utilitariste, celle de l’universalité et celle de l’égalité. Dans un certain nombre de cas, elles ne sont pas vraiment distinguées. Elles peuvent, pourtant, recouvrir différentes réalités. Le principe d’universalité, que l’on trouve déjà chez Kant, affirme que, pour qu’elle puisse être qualifiée de morale, une action doit pouvoir être universalisable, c’est-à-dire faire l’objet d’une loi universelle, s’appliquant à tous et dans toutes les circonstances. En éthique, on définit donc l’universalité à l’impossibilité de

justifier un choix à partir de situations particulières.

A part quelques rares philosophes, dont Parfit, les utilitaristes n’ont pas recours à la notion d’universalité. Les utilitaristes de la règle lui préfèrent celle de généralité. On dit qu’une action peut être qualifiée de morale si (en plus des critères de maximisation qui la caractérisent), celle-ci est généralisable, c’est-à-dire qu’elle n’est particulière ni à une

112

situation ni à une personne donnée. Elle peut, néanmoins, être particulière à un type de situations ou de personnes. A la différence de l’universalisation, le processus de généralisation ne garantit pas l’impartialité des choix.

En pratique, l’impartialité consiste à évaluer les conséquences d’une action ‘du point de vue de l’univers’, selon l’expression de Sidgwick, ou encore, à se mettre à la place de toutes les personnes potentiellement affectées par ladite action. Autrement dit, soit on ne prend parti pour aucune personne, soit on prend parti pour toutes à la fois. Il existe donc un lien logique entre impartialité et égalité. Peter Singer considère ainsi que l’adoption de ce principe le conduit directement à adopter celui d’égale considération des intérêts individuels146. Nous verrons, néanmoins ci-dessous, que le fait de ne pas vouloir prendre parti ne signifie pas nécessairement traiter tous les individus de façon égale.

L’impartialité n’est pas spécifique à l’utilitarisme. Un certain nombre de philosophes pensent d’ailleurs qu’elle est indissociable de tout raisonnement moral147. Le contractualisme est typiquement une théorie fondée sur l’impartialité puisque les règles morales sont consenties par des individus alors qu’ils sont dépourvus de toute caractéristique personnelle, sociale ou pouvant être socialement pertinentes (sexe, ethnie, éducation, richesse etc.). C’est ce que l’on appelle le voile d’ignorance.

Si le principe d’impartialité n’est pas spécifique à l’utilitarisme, en revanche, la manière dont il se manifeste dans ses prescriptions l’est, et a été l’objet de fortes controverses. Associé au principe de maximisation d’utilité, l’impartialité implique, en effet, le fait de ne pas prendre en compte l‘identité des agents impactés mais uniquement la quantité d’utilité

146 P. Singer, Practical Ethics, Cambridge: Cambridge University Press, 1993.

113

produite (ou détruite) par une action. William Godwin (1756-1836), l’un des premiers représentants de l’utilitarisme, a donné un exemple devenu célèbre de ce principe. Il imagine un incendie dans la maison de Fénélon (1695-1715), dans laquelle l’auteur des

Aventures de Télémaque (1699) est prisonnier des flammes avec sa femme de chambre148. Vous passez devant la maison en feu mais vous ne pouvez sauver qu’une seule personne. Le principe d’utilité exige que vous sauviez Fénélon. Imaginez maintenant que la femme de chambre soit votre mère. Cette information doit-elle influencer votre décision ? Non, répond, Godwin. L’action morale doit pouvoir être impartialement considérée comme telle. Le résultat de la délibération morale ne peut dépendre de l’identité ni des intérêts personnels du passant.

S’il est aisé à justifier rationnellement, le principe d’impartialité est, cependant, souvent intuitivement difficile à défendre et pose donc la question de la valeur morale des intuitions. Le message de Godwin est qu’on a tort de se fier à nos intuitions (ici sauver sa propre mère). C’est également celui de Peter Singer, qui défend la primauté du principe d’impartialité dans la délibération morale sur celui de la proximité biologique, psychologique ou spatiale149. Selon Singer, l’intuition morale selon laquelle nous aurions une obligation morale de porter de l’aide à un enfant qui se noie devant nous mais pas à celui qui meurt de faim au Bangladesh, à un enfant auquel on est sentimentalement ou biologiquement lié mais pas à celui qui nous est inconnu, est injustifiable150. La souffrance ou la mort d’un enfant, quel qu’il soit, est dramatique et doit être évitée si elle peut l’être.

148 W. Godwin, An Enquiry Concerning Political Justice, and its Influence on General Virtue and

Happiness, London: G.G.J. and J. Robinson, 1793.

149 P. Singer, Practical Ethics, Cambridge: Cambridge University Press, 1993.

114

L’argument est naturellement valable pour tous les êtres humains, mais également pour Singer, on le verra, pour les animaux.

Si l’impartialité est généralement présentée comme une condition de la morale, elle peut être critiquée pour son coût jugé parfois exorbitant pour l’individu. En 1973, le philosophe britannique Bernard Williams publie ‘Une critique de l’utilitarisme’ dans laquelle il accuse l’utilitarisme de ne pas respecter l’intégrité des personnes151. Une action n’a de valeur que par son impact net, quelle que soit la personne qui l’entreprend, les raisons pour les lesquelles elle est entreprise et les moyens qu’elle utilise. L’impartialité qu’exige l’utilitarisme de la part des individus les empêche d’entretenir des relations humaines étroites – et nécessairement privilégiées – avec leurs amis ou leur famille. Elle rend de facto impossible toute vie ‘ordinaire’ et promeut un système dans lequel toutes nos actions sont dictées par un calcul de maximisation. L’erreur des utilitaristes, affirme également Peter Railton152, est d’avoir ignoré la dimension profondément ‘aliénante’ de leur philosophie morale pour les individus, au point de rendre leur comportement complètement impersonnel et comme détaché de tout attachement sentimental et social.

La critique de Williams et Railton fait écho à un autre argument avancé par le philosophe américain John Rawls dans sa Theory of Justice153. Rawls y accuse l’utilitarisme d’avoir confondu impartialité et impersonnalisme. La procédure morale qui garantit que les intérêts de chaque personne soient également considérés n’implique pas, pour les contractualistes, que le point de vue de la personne soit totalement éliminé. En d’autres

151 B. Williams, "A Critique of Utilitarianism", in Smart J.J.C et Williams B., Utilitarianism: For and

Against, Cambridge: Cambridge University Press, 1973, pp.75-150.

152P. Railton, "Alienation, consequentialism, and the demands of morality", Philosophy and Public

Affairs, vol.13, n°2, 1984, pp.134-171.

115

termes, l’objectivité morale ne se réduit pas à une agrégation d‘unités d’utilité isolées de la personne. Rawls récuse le raisonnement qui conduit à penser la société à l’image de l’individu et, ainsi, à justifier le sacrifice interpersonnel d’utilités. Au niveau individuel, il est possible – et dans certains cas souhaitable – de sacrifier l’utilité d’une période pour le bénéfice d’une autre ou de plusieurs autres. C’est ce prescrit la règle de la prudence, qui repose elle-même sur le principe de neutralité par rapport au temps154. En redistribuant l’utilité entre les différentes périodes de sa vie, l’agent maximise son utilité totale. L’erreur de l’utilitarisme, nous dit Rawls, est de croire (et surtout de nous faire croire) que le même raisonnement puisse également s’appliquer entre les individus, et qu’une redistribution des utilités entre les agents est objectivement souhaitable. Ce faisant, il nie la spécificité et la séparabilité de la personne155, et fait de l’utilitarisme une théorie, non pas impartiale, mais impersonnelle.

L’impartialité désigne, on l’a vu, l’impossibilité de justifier un choix moral par les intérêts d’une ou de plusieurs personnes. L’impersonnalisme désigne, quant à lui, l’impossibilité de justifier un choix moral du point de vue d’une ou de plusieurs personnes. Une approche impersonnelle de l’éthique est donc une approche dans laquelle le concept de personne est superfétatoire. Les implications morales de ce transfert sont énormes pour les individus. Au-delà du sentiment d’aliénation qu’il peut provoquer, il peut également légitimer un certain nombre de politiques de redistributions contestables ou d’atteintes à l’intégrité des personnes.

154 D.O. Brink, ‘Prospects for Temporal Neutrality’, in C. Callender, The Oxford Handbook of

Philosophy of Time, Oxford and New York: Oxford University Press, 2011, pp. 353-81.

116

Face aux difficultés soulevées par le principe d’impartialité, un certain nombre d’auteurs ont tenté de réintégrer la notion de personne dans le raisonnement conséquentialiste (voire utilitariste) en assouplissant le principe d’impartialité et en introduisant le concept de prérogative personnelle.

Les objections faites au principe d’impartialité sont fortes et fragilisent considérablement le discours utilitariste classique. Dans les chapitres précédents, nous avons évoqué plusieurs types de réponses apportées par les utilitaristes pour en amoindrir les effets, notamment l’excessive exigence morale. Une première forme de réponse consiste à abandonner l’objectif de la maximisation de l’utilité nette, en adoptant par exemple une version modérée de l’utilitarisme (satisficing). Cela permet ainsi de justifier les comportements des ménages qui donnent ‘un peu’ aux organismes caritatifs mais gardent l’essentiel de leur revenu pour l’entretien et l’éducation de leur famille. Une seconde forme de réponse a été apportée par l’utilitarisme de la règle, ou plus exactement par le caractère indirect de l’optimisation de l’utilité qu’il permet. La thèse sous-jacente est qu’il est plus efficace que chaque parent s’occupe de ses enfants et que les amis prennent soin d’eux entre eux, plutôt que nous soyons tous individuellement et impartialement responsables du bien-être des autres156. Cette théorie argue qu’elle ne viole pas vraiment le principe d’impartialité puisque cette forme de partialité est généralisable et, de fait, généralisée. Elle reste, cependant, pour certains auteurs, problématique dans la mesure où les relations communautaires sont souvent génératrices de préjugés (religieux, nationaux, sociaux,

117

sexistes, raciaux etc.), qui peuvent être ensuite utilisés pour exclure les minorités de l’aide dont ils auraient pourtant prioritairement besoin157.

Le troisième type de réponse est beaucoup plus radical puisqu’il consiste à (partiellement) abandonner le principe de l’impartialité et à lui préférer une approche personnelle

(agent-centered)158. Dans The Rejection of Consequentialism, Samuel Scheffler, l’un des principaux partisans d’un conséquentialisme modéré, prend acte du peu d’importance que l’utilitarisme accorde aux personnes, et à leurs désirs159. Il défend une approche de la morale recentrée sur la personne (morality of personal concerns). Scheffler compare deux alternatives possibles au conséquentialisme. La première repose sur les conceptions totalement centrées sur l’agence (fully agent-centered) et désigne implicitement la théorie déontologique. La seconde est une conception hybride qui combine conséquentialisme et reconnaissance morale du statut de l’agent. En intégrant la prérogative de l’agent

(agent-centered prerogative), la théorie hybride permet de prendre en compte l’indépendance du

point de vue de la personne.

Dans les théories conséquentialistes pures, telles que l’utilitarisme, le point de vue de la personne n’est pas complètement ignoré. L’utilité ou la désutilité d’une action pour la personne est prise en compte dans le calcul global d’utilité, mais lorsque celle-ci ne représente qu’une part infime du total, elle est de facto négligée. La prérogative de l’agent

157 L. Gruen, “Must Utilitarians Be Impartial?” in Jamieson, D. (ed.), Singer and his Critics, Oxford: Blackwell Publishing, 1999, pp.129-149.

158 T. Mulgan, Future People. A Moderate Consequentialism Account of our Obligations to Future

Generations, Oxford: Clarendon Press, 2006; S. Scheffler, The Rejection of Consequentialism: a Philosophical Investigation of the Considerations Underlying Rival Moral Conceptions, Oxford-New

York: Clarendon Press-Oxford University Press, 1982.

159 S. Scheffler, The Rejection of Consequentialism: a Philosophical Investigation of the

Considerations Underlying Rival Moral Conceptions, Oxford-New York: Clarendon Press-Oxford

118

octroyée par la théorie hybride, au contraire, donne un poids moral à l’agent, et ce quelle que soit la part de son utilité dans l’utilité totale. Elle reconnaît l’indépendance morale de celui, et l’importance de ses projets ou engagements personnels. Elle permet donc à l’agent d’échapper au calcul impersonnel du maximum d’utilité. Scheffler appelle cela la stratégie de libération (the liberation strategy). Elle est opposée à la stratégie de la maximisation (the maximization strategy), qui exige que chaque agent agisse toujours de manière à maximiser le nombre de personnes qui réussissent leurs projets de vie160. La stratégie de la maximisation reconnaît l’importance de l’indépendance du point de vue personnel dans la mesure où celle-ci contribue au bien individuel, mais elle ne lui donne pas une préséance morale. Scheffler entend ainsi démontrer, contre le déontologisme, qu’il est possible de justifier le sacrifice de l’intérêt d’une personne au profit d’une autre, sans remettre en cause l’intégrité des personnes161.

Tim Mulgan s’inscrit dans cette perspective générale mais l’applique plus spécifiquement aux questions intergénérationnelles162. Face aux enjeux posés par la surpopulation dans le futur, il considère ainsi que seule une approche centrée sur la personne permet de justifier le fait de pouvoir se reproduire aujourd’hui. L’approche personnelle du conséquentialisme ne justifie pas, cependant, l‘égoïsme. Elle s’accompagne également de d’obligations qui nous obligent à justifier nos actions aux personnes qui en seront victimes. Selon Mulgan,

160 S. Scheffler, The Rejection of Consequentialism: a Philosophical Investigation of the

Considerations Underlying Rival Moral Conceptions, Oxford-New York: Clarendon Press-Oxford

University Press, 1982, pp.59-60.

161 J.-F. Spitz,"Le conséquentialisme hybride de Samuel Scheffler : défense et illustration", in S. Guerard De Latour et M.-A. Dilhac (eds.), Étant donné le pluralisme, Paris : Éditions de la Sorbonne, 2013, pp.27-53.

162 T. Mulgan, Future People. A Moderate Consequentialism Account of our Obligations to Future

119

cela donne à nos obligations envers les générations futures une dimension d’urgence que le raisonnement impersonnel est incapable de transmettre163.

B)L’UTILITARISME ET LA REGLE

A l’origine la philosophie utilitariste, telle que conçue par Jeremy Bentham, la décision morale reposait quasi exclusivement sur l’arbitrage rationnel des individus, arbitrage lui-même fondé sur un processus de maximisation. Seule la loi, pensée comme levier à la disposition du législateur utilitariste, introduisait un élément de rigidité dans le processus de décision individuel. A l’inverse, les règles déontologiques, à l’instar de l’impératif catégorique kantien, ne laissaient quant à elles que peu de marge pour l’arbitrage. La radicalité de ces deux systèmes a souvent été soulignée par ses adversaires respectifs, et il est clair qu’un usage quasi exclusif de la règle ou de l’arbitrage se révèle contre-productif en matière de choix moral comme en matière de choix rationnel. L’évolution de la théorie utilitariste classique, aujourd’hui désignée comme utilitarisme de l’acte, vers un utilitarisme de la règle n’a, cependant, pas produit les résultats escomptés. Si elle a permis de justifier l’existence de règles d’un point de vue utilitariste, elle a échoué à montrer à quelles conditions, et selon quelle procédure, on pouvait légitimement s’en exempter. Or, l’obéissance stricte à une règle, quelles que soient les circonstances et les effets attendus de l’action, conduit nécessairement à la réalisation de choix (rationnels ou moraux) que l’on sait être catastrophiques. Le respect absolu de la règle pose également d’insurmontables difficultés en cas de conflits entre règles. Quelle règle suivre, tout d’abord, lorsqu’une même situation peut impliquer différentes règles morales ? Quelle

120

règle suivre, ensuite, lorsque dans une même situation, nos règles morale et rationnelle nous commandent d’agir différemment ?

L’idée d’un utilitarisme de la règle est développée, et défendue, pour la première fois par Roy Harrod dans son article ‘Utilitarianism Revised’ (1936). Mais celui-ci eu peu d’influence, et il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que la question de la généralisation de l’utilitarisme devienne centrale, notamment avec les travaux de S.E. Toulmin, (An Examination of the Place of Reason in Ethics, 1950), M.G. Singer (Generalization in Ethics, 1961), David Lyons (Forms and Limits of Utilitarianism, 1965) et Richard Brandt (Ethical Theory : The Problems of Normative and Critical Ethics, 1959).

La distinction terminologique entre un utilitarisme de l’acte et un utilitarisme de la règle s’est officialisée à partir des années 1950 notamment sous l’impulsion de Richard Brandt en 1959. L’absence de distinction formelle entre ces deux types de conséquentialisme avant le vingtième siècle a conduit de nombreux commentateurs à s’interroger sur la position des fondateurs de l’utilitarisme envers l’un et l’autre. John Stuart Mill est ainsi soit présenté comme un tenant de l’utilitarisme de la règle164, soit comme un tenant de l’utilitarisme de l’acte165 soit comme ne défendant ni l’un ni l’autre166. De la même façon, et bien qu’il soit présenté de façon prédominante comme un utilitariste de l’acte167

164 Urmson, J. O., "The Interpretation of the Moral Philosophy of J. S. Mill", The Philosophical

Quarterly, vol. 3, n°10, 1953, pp.33-39.

165 Crisp, R., Mill on Utilitarianism, London: Routledge, 1997; Brink, D.O., Mill's Progressive

Principles, Oxford: Clarendon Press, 2013.

166 D. Lyons, Rights, Welfare, and Mill's Moral Theory, New York: Oxford University Press, 1994.

167 De Lazari-Radek, K. et Singer P., The Point of View of the Universe: Sidgwick & Contemporary

121

Sidgwick est parfois associé à l’utilitarisme indirect168. Bentham est, à quelques exceptions près, généralement considéré l’archétype de l’utilitarisme de l’acte.

L’utilitarisme de la règle, dans son acception générale, peut se définir de la façon suivante : « une action est bonne (right) si elle est conforme à une règle, qui, si elle est suivie, produit au moins autant d’utilité totale que n’importe quelle autre règle possible». Il se distingue