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De l’ « être » du moi.

Découverte de la distinction et épreuve de l’union.

III. De l’ « être » du moi.

D’après ce qui précède, il est clair que le sentiment intérieur délivre une appréhension de soi qui ne saurait se comprendre comme une claire conscience, selon les coordonnées cartésiennes388. Or, compris comme révélation naturelle, le sentiment intérieur découvre au sujet ce que Malebranche, dans une lettre à Dortous de Mairan du 12 juin 1714 appelle « son être propre, son existence ». Dans les Réflexions sur la Prémotion physique, il précise encore que si le sentiment intérieur atteste sans faillir de l’existence de notre âme, il nous permet aussi d’en affirmer l’identité, c'est-à-dire la singularité et la permanence. En effet, il nous apprend que :

« c’est mon unique moi, ma même, unique et indivisible substance, qui connaît et qui veut, qui a de la joie et de la tristesse, et plusieurs sensations différentes dans le même temps389 » Précisons donc, à présent, ce que le sentiment nous dit au juste du moi malebranchiste.

1. L’appréhension d’un singulier.

La saisie du moi qui s’opère dans le sentiment se distingue de toute autre conscience d’objet. En effet, dans la pensée représentative, comme l’affirme Malebranche, l’idée qui est l’objet véritable de la conscience, l’ideatum peut faire défaut390. Au contraire, le moi n’étant pas saisi par idée, il n’est jamais seulement possible mais toujours saisi comme actuellement existant. Le mode de donation de son être propre à l’âme s’approche de ce que serait l’appréhension des objets matériels, privée d’idée. En effet, dans la connaissance des objets extérieurs, se trouvent conjoints, d’après une

388 « N’étant pas sa propre lumière, la connaissance de soi-même est expérience non réflexive de soi-même, c'est-à-dire sentiment de soi-même », Nathalie Depraz, « De la phénoménologie de la perception à la gnose transcendantale », p. 221 in

La légèreté de l’être. Etudes sur Malebranche, ed. Bruno Pichard, Paris, Vrin, 1998. Nathalie Depraz analyse dans cet article la

conscience de soi malebranchiste comme dépourvue de « translucidité ». 389 Réflexions sur la prémotion physique, XXIII, OC XVI, pp. 130-131.

390 « Peut-être n’y a –t-il actuellement aucun ideatum. Je ne vois immédiatement que l’idée, et non l’ideatum : et je suis persuadé que l’idée a été une éternité sans ideatum. (…) Je ne vois point immédiatement l’ideatum. Je ne sais que par une espèce de révélation s’il y en a. » Quatrième lettre de Malebranche à Dortous de Mairan, Pl II, p. 1120, Correspondance avec

117 conception qu’il nous faudra expliciter, idée pure de l’étendue et sentiment – confus ou distinct, mais, ainsi qu’il sera montré plus loin, non conforme à la réalité de l’objet – tandis que dans la conscience intérieure, le moi n’est saisi que par sentiment. Or, si la perception extérieure est ce qui singularise les objets dont l’essence est saisie par idée, l’ego, en tant qu’objet de perception, se présente sous les traits exclusifs d’un singulier. Ainsi, le sentiment permet au moi de se saisir dans son individualité et dans son identité de créature391. Par ailleurs, il excède la saisie actuelle d’une modification présente en offrant, par la mémoire, une conscience de la durée, c'est-à-dire une certaine forme de permanence du moi, entendu comme sujet doté d’unité, d’identité et d’une temporalité propre392.

A lire le passage des Réflexions sur la Prémotion physique précité, on pourrait supposer que la saisie d’un tel sujet s’opère dans les affections puis dans la conscience d’une succession qui autoriseraient la reconnaissance d’un substrat ou socle ontologique permanent, résistant aux fluctuations et aux changements. Or une telle saisie d’un invariable au-delà de ses modifications paraît impossible en l’absence d’une idée de l’âme et contraire au refus malebranchiste de considérer l’existence dans la chose d’un support préexistant à son essence et à l’effacement corrélatif de la distinction cartésienne entre substance et attribut principal que nous avons signalés plus haut. S’agissant du corps, usant de l’exemple de la montre, Malebranche avait établi qu’il était superflu de supposer l’existence d’un substrat, cause de ses propriétés et support de l’étendue393. Quant à l’âme, il avait usé d’une démonstration similaire au livre III de la Recherche394 en montrant qu’il était inutile de chercher en elle quelque chose de plus primitif que la pensée, qu’on l’appelle sujet ou principe, attendu que le sentiment intérieur ne paraissait rien livrer de tel – aucun effet en tout cas, de cette instance – or si un être devait précéder la pensée même, il aurait dû se manifester par des propriétés saisies par la conscience. Par ailleurs, nous avons noté que Malebranche comptait le terme « sujet » au nombre des mots abstraits de logique dont il convenait d’épurer la pensée de

391 Malebranche établit en effet une stricte disjonction entre essence et existence : les idées ne permettent pas de déduire l’existence des objets et, symétriquement, la saisie de l’existence ne reconduit pas à l’essence de la chose. Les essences sont, au titre d’idées, dans l’entendement divin, tandis que les existants (étants) sont les produits de la puissance de Dieu. Par ex : MCM, IX, §12, Pl II, p. 283, OC X, p. 100 ; Entretien d’un philosophe chrétien et d’un philosophe chinois, Pl II, p. 1106 ; OC XV, p. 34; Troisième lettre de Malebranche à Dortous de Mairan, Pl II, p. 1113 : « car son idée est actuellement l’objet immédiat de mon esprit, et non la matière même, et je ne puis savoir qu’elle existe que par la révélation naturelle ou surnaturelle, ainsi que je l’ai expliqué dans les Entretiens Métaphysiques », éd. 1947 p. 136.

392 Réflexions sur la prémotion physique, VIII, OC XVI, p. 29 : «[l’âme] ne se connaît que par conscience que par le sentiment intérieur qu’elle a de ce qui se passe actuellement en elle ou par le souvenir actuel de ce qui s’y est passé ».

393 Le corps n’est donc pas autre chose que de l’étendue. 394 Pl I, p. 300 ; OC I, p. 389.

118 l’âme et du corps395. Aussi sommes nous conduits à penser que le moi malebranchiste ne peut se concevoir comme pur substrat ou principe396. Que peut-il être, dès lors ?

Jean-Christophe Bardout, dans son article « La subjectivité hors sujet », soulignant l’ambiguïté de la conception malebranchiste du moi qui paraît osciller entre substantialisme et phénoménisme397, affirme qu’il est en vérité tout à fait privé de substantialité. A rebours des textes cités à l’instant et de tous ceux qui définissent l’âme (confondue avec le moi) comme substance398 devons-nous affirmer, à sa suite, que le moi malebranchiste n’est pas une substance et qu’il n’existe qu’en tant que construction de la conscience comme une collection d’impressions ? Malebranche offre-t-il, ainsi que Pascal ou Hume, une critique du moi remettant en question l’existence même d’un noyau substantiel de subjectivité ?

2. Qui est le moi malebranchiste ?

D’après la lettre à Dortous de Mairan précitée et les Réflexions sur la prémotion physique, la conscience semble apporter la saisie d’un qui – reconnaissable à ses habitudes, préférences, expériences – plus que d’un quoi – objet de la réflexion philosophique élaborée et non de la conscience intérieure. Le moi se prête donc à deux appréhensions différentes : une connaissance indirecte, rationnelle, qui saisit les propriétés universelles et objectives de l’esprit – compréhension de ce que Malebranche appelle la « pensée substantielle », applicable à tout esprit, humain ou non – et qui désigne une identité générique ; et le sentir, qui livre les propriétés particulières, subjectives, circonscrivant l’identité propre d’un moi, c'est-à-dire d’un esprit humain. Une telle césure dans l’appréhension du « moi » tranche avec la démarche cartésienne – dans la Deuxième Méditation surtout – qui paraissait consacrer la conscience comme lieu de découverte et de saisie de l’essence de la pensée, de l’intériorité, autant que de l’être de la substance pensante. A cet égard, la conception malebranchiste peut être interprétée comme un rejet de cette pensée cartésienne de l’ego.

395 Sur le rejet de la logique par Malebranche, on peut renvoyer aux analyses d’Olivia Chevalier, « Deux cartésiens face à deux modèles de la démonstration », Corpus, 2009/49, pp. 249-275, et particulièrement : p. 261.

396 Aucun corps ne peut être, ni être pensé, selon Malebranche, sans quelque grandeur et aucune âme ne l’est ni ne peut l’être sans quelque pensée ou modification qui l’affecte.

397 Article cité, note 1. Il est vrai que le moi, parfois conçu comme substance au sens classique de ce qui est pensé par soi, échappe pourtant à une saisie comme chose ou entité réelle.

398 Par ex : « l’âme est une substance qui aperçoit » (Troisième lettre à Dortous de Mairan, Pl II, p. 1112 ; éd. 1947, p. 135 ;

Réflexions sur la prémotion physique, OC XVI, p. 131 : l’âme est « cette substance qui n’est pas distinguée de nous-mêmes »,

119 En effet, dans la Deuxième Méditation, la saisie du moi dans la conscience conduisait d’une part à le reconnaître comme sujet résistant au rejet du monde, capable de se donner ses objets, et d’autre part, à l’identifier comme « chose qui pense », c'est-à-dire substance réellement existante dont les propriétés qu’elle supporte pouvaient être déduites de la conscience primitive du penser. Le cogito contenait donc d’emblée la compréhension de la substance comme ce qui se conçoit et existe indépendamment de toute autre créature. En outre, dès le Discours de la méthode, le cogito s’était affirmé comme un principe et Descartes avait déclaré s’en servir pour faire connaître l’immatérialité de l’âme et fonder la connaissance de toutes choses399. La saisie immédiate du moi dans la conscience conférait au sujet ainsi perçu une position métaphysique inédite dans laquelle on peut voir un trait marquant de la modernité, comme le souligne Jocelyn Benoist :

« La caractérisation de l’ego comme substance, inaugurale des modernes pensées de la subjectivité, a donc bien conféré un statut métaphysique au sujet, point de départ de la connaissance et première brique métaphysique d’un être assuré, parce qu’immédiat dans son mode de donnée sur lequel on peut construire400. »

399 Cf. lettre à Mersenne de nov 1640, AT III, pp. 247-248 et début de la Troisième méditation. Jean-Luc Marion, dans Sur le

prisme métaphysique de Descartes, analysant l’écart entre formulation du cogito par Descartes et son précédent augustinien

affirme clairement (ce que Descartes avait lui-même marqué et Pascal bien compris) que Descartes opère un « saut théorique » (p. 148) en interprétant « la liaison certaine et nécessaire de la cogitatio avec l’existence comme l’établissement d’une substance et d’une substance qui joue comme premier principe ». Descartes, à la différence d’Augustin, utilise « la certitude d’être qu’assure la pensée pour ériger l’esprit en fondement » (141). Selon Jean-Luc Marion, Descartes constitue son ontologie précisément à partir du cogito : « Le concept cartésien de substance équivaut par principe et par privilège à l’ego» (op. cit, p. 161). C’est pourquoi il tombe sous la critique nietzschéenne qui vise la projection de l’ego pour penser la substance. Insistant sur la genèse de la substantialité par la subjectivité, Marion conteste la lecture que Heidegger propose du cogito en récusant l’opinion selon laquelle l’ego hériterait de l’indétermination d’une substance conçue par dérivation de la « chose » matérielle. Loin de reprocher à Descartes un nivellement – selon une expression de Jocelyn Benoist – de la subjectivité du concept d’ego ravalé au rang de chose en général, Jean-Luc Marion affirme au contraire que le concept de substance ne souffre d’apories que dès lors qu’il est appliqué à la substance de Dieu ou à la substance étendue, révélant son adéquation exclusive – en raison de son origine – à l’ego. Mais, s’appuyant sur l’abrégé des Méditations, Jean-Luc Marion met en lumière une dissymétrie dans l’appréhension que Descartes procure des rapports entre substance – chose – et attribut principal. Dans ce texte, Descartes ne concevrait selon lui l’existence d’un subjectum que dans la définition générale de la substance et dans celle de la substance étendue mais pas dans celle de l’ego. La substance pensante serait immédiatement manifestée, tandis que la substance corporelle ne serait accessible que par l’étendue, c'est-à-dire par la médiation de son attribut, cette médiation indiquant une différence entre sujet-substance et attribut. Marion explique la discordance entre le texte auquel il se réfère et les autres énoncés qui ne pratiquent pas une telle différence en soutenant que les seconds produisent une conception « classique » de la substance – pensée dans les termes du sujet ou du substrat inaccessible à la cogitatio et connaissable seulement par ses attributs – qui n’est pas véritablement celle de Descartes et à laquelle on pourrait effectivement reprocher de ravaler le sujet au rang de la chose dont il ne possède pourtant pas le mode d’apparaître (Sur le

prisme métaphysique…, p. 172). Sur les rapports d’antécédence de la pensée de la substance à celle de l’ego, Kim Sang Ong-

Van-Kung livre une autre interprétation, dans « Descartes a-t-il identifié le sujet à la substance dans l’ego » (in Descartes et

la question sujet, coord. K. S. Ong-Van-Kung, Paris, PUF, 1999, pp. 133-165) : la notion de cartésienne de la substance

proviendrait non de l’appréhension de l’ego, mais, tout au contraire, de la notion antécédente de substance comme causa sui, appliquée à Dieu. Notons en tout cas que Jean-Luc Marion, comme Kim Sang Ong-Van-Kung, voient dans l’autonomie le trait essentiel de la substantialité selon Descartes.

400 Jocelyn Benoist, « La subjectivité », in Notions de philosophie, dir. Denis Kambouchner, Paris, Gallimard, 1995 p. 519. C’est sans doute en référence à ce type de compréhension de l’ego que J-C Bardout parle, dans l’article précité, de « destruction malebranchiste de l’égologie cartésienne », p. 299.

120 Or, rien de tel ne se déroule chez Malebranche. En effet, il ne reprend pas à son compte l’exercice du doute qui permettrait de faire émerger le sujet comme un rempart à l’effacement volontaire de tout autre contenu de connaissance, ni la « réduction » qui chez Descartes prédisposait à la saisie du moi dont l’évidence allait pouvoir fournir l’ancrage ou le fondement d’une reconstruction des connaissances.

Malebranche, considérant le témoignage de la conscience comme un énoncé empirique, fait assurément sien le versant phénoménologique des observations cartésiennes sur la manière dont est donnée la conscience du moi mais il remet en cause la valeur cognitive de l’immédiateté de la conscience. Plus précisément, traduisant l’immédiateté en confusion, il contraste l’incertaine présence du soi à l’esprit avec la présence fiable de l’idée générale de l’être et la prétendue immédiateté de la conscience de soi avec l’appréhension réellement immédiate, sans idée, de Dieu. L’immédiateté de la conscience est dès lors comprise comme lacune d’idée claire et non gage de certitude et Malebranche refuse l’exemplarité cognitive à l’évidence de la conscience et un statut constituant à l’être saisi dans le sentiment. Le moi ne peut donc être pensé ni comme fondement de la connaissance ni comme fondement ontologique. En outre, à la différence de la conscience cartésienne qui accède à un moi dont la nature de chose pensante lui apparaît clairement, le sentiment intérieur malebranchiste ne livre que des affections, jamais la pleine essence – c'est-à- dire l’idée – de la res. Ainsi, ce n’est qu’indirectement que la distinction entre âme et corps est établie et la pensée désignée comme essence de l’esprit – c'est-à-dire de la « pensée substantielle », et non de l’âme singulière. Le sujet n’atteint donc pas de notion de lui-même lui permettant de déduire l’ensemble de ses modifications.

Par ailleurs, chez Descartes, l’identité substantielle de l’ego était ce qui lui permettait de connaître d’autres substances401 – par un mécanisme de reconnaissance que nous avons trouvé contesté chez Malebranche. L’ego se présentait en effet comme le principe de l’appréhension de toute substantialité, en tant que modèle (archétype) de l’étant et en tant qu’opérateur de représentations. Au contraire, de telles attributions font défaut au moi malebranchiste : toute représentation est précédée, selon l’oratorien, par une notion vague de l’être, comme condition implicite de la pensée, l’appréhension du moi, comme de l’étant particulier, s’y originant402. La conscience du « moi » perd donc sa primitivité403 et elle ne peut livrer de notion claire de la substance. L’idée générale de l’être apparaît au contraire comme la toile de fond sur laquelle s’opère

401 MM, AT IX, p. 35.

402 Dieu se dit chez Malebranche comme être indéterminé. Le sentiment diffus de l’être précède toute représentation d’un particulier qui sera idée et modification dans le cas d’un objet matériel ou simple perception de modifications dans le cas du moi.

121 toute pensée de chose c'est-à-dire toute appréhension d’un particulier404, ce qui vaut pour les représentations véraces dans la saisie de l’individualité du moi ou des corps autant que pour les abstractions – « idées vagues et générales de la logique » – qui posent la substance comme un sujet « caché » sous les attributs, lui-même inconnaissable.

Une telle abstraction se trouve vivement contestée, comme nous l’avons indiqué, déjà, dans le livre III de la Recherche405 : selon Malebranche, supposer l’existence d’un sujet qui contiendrait l’identité du corps en deçà de ses propriétés – et de son essence – est aussi illusoire que contradictoire parce que ce « principe » ne saurait être autre chose que l’idée de l’être en général, dépourvu des propriétés qui distinguent pensée et étendue et, plus encore, des particularités constitutives des étants. En outre, Malebranche admet que poser un sujet en deçà des propriétés concevables d’un être consiste à produire une fiction irrationnelle, à faire régresser indéfiniment le fondement ontique de l’être et à mettre en doute son accessibilité à la connaissance, c'est-à-dire à penser une substance qui se refuserait à l’intellection406. Or, si Malebranche a bien reconnu à la substance la possibilité (à la différence du mode) d’être pensée absolument, sans rien dont elle dépende407, il affirmé l’inséparabilité de la matière et de l’étendue, de l’esprit et de la pensée, rejetant la distinction entre substance et attribut principal tant du point de vue de l’existence que de l’intelligibilité. Même entendu comme simple distinction de raison, le départ entre une substance et son essence lui paraît forcé : une substance ne peut être pensée sans ce qui la constitue

404 Le moi est significativement défini comme un singulier, en négatif de l’ « être infini, le vrai être » : « car dans le vrai être, il n’y a point de néant, de limitation, de modification. Mais l’âme n’est point l’être : ce n’est qu’un tel être, qu’un être particulier, qu’une participation, je ne dis pas une partie, de l’être : en un mot, l’âme n’est pas le vrai être. » Réflexions sur la

prémotion physique, XIV, OC XVI, p. 59.

405 « Mais plusieurs philosophes sont si fort accoutumés aux idées générales et entités de logique, que leur esprit en est plus occupé que de celles qui sont particulières, distinctes et de physique. (…) Ces personnes vont trouvant une merveilleuse facilité de voir en leur manière ce qu’il leur plaît de voir, s’imaginent qu’ils ont meilleure vue que les autres, et qu’ils voient distinctement que l’étendue suppose quelque chose, et qu’elle n’est qu’une propriété de la matière, de laquelle même elle peut être dépouillée. Toutefois, si on leur demande qu’ils expliquent cette chose, qu’ils prétendent apercevoir dans la matière par-delà l’étendue, ils le font en plusieurs façons, qui font toutes voir qu’ils n’en ont point d’autre idée que celle de l’être ou de la substance en général. Cela paraît clairement lorsqu’on y prend garde, que cette idée ne renferme point d’attributs