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Chapitre 2 : Cadre conceptuel 1 : l’autonomie reproductive

2. Autonomie, libéralisme et bioéthique

2.3. L’autonomie dans la littérature en bioéthique

Les années 1960 furent marquées par l’émergence des droits de la personne et par l’apparition des mouvements de revendication des droits individuels. Parmi d’autres, les revendications des droits de la part des groupes minoritaires, des personnes vulnérables – tels les personnes atteintes d’un retard mental, ou incarcérées - ; le mouvement social du féminisme et celui des droits des « consommateurs » (Durand, 2005, p. 38) en matière de soins médicaux (Durand, 2005). Ce dernier mouvement critiquait le paternalisme médical traditionnel où « le médecin a raison et le patient n’a qu’obéir » (Durand, 2005, p. 38) et revendiquait le droit des patients à participer à la prise de décision relative à leur santé tels les traitements à leur fournir. Ce fut alors la montée du droit à l’autodétermination : ce principe de l’autonomie de la personne marqua considérablement le mouvement bioéthique à ses débuts puisqu’il a permis de placer le patient et ses droits au centre de l’éthique médicale. Voilà ce qui me semble avoir profondément favorisé le déplacement du patient depuis son ancien statut de consultant « obéissant et passif » à celui de patient « actif, éduqué et plus impliqué dans la prise de décisions par rapport à ses propres soins », ce déplacement entraînant, entre autres, pour l’émergence de la bioéthique (Durand, 2005).

Il existe une vaste littérature en bioéthique autour du concept de l’autonomie5. En outre, bien que ce concept prédomine notamment la littérature bioéthique nord-américaine, divers auteurs critiquent l’absence d’une théorie bien développée et articulée de ce concept en bioéthique. Ainsi, comme le note Beauchamp (Beauchamp, 2004):

« The contemporary literature in bioethics contains no theory of autonomy that spells out its nature, its moral implications, its limits, how respect for autonomy differs from respect for persons (if it does), and the like » (Beauchamp, 2004, p. 214).

D’une façon générale, la notion d’autonomie utilisée dans le contexte de l’éthique en santé se réfère au respect de l’autonomie du patient ou en d’autres termes, du respect de la part des professionnels de la santé vis-à-vis l’autonomie ainsi que les choix autonomes de leurs patients (Beauchamp et Childress, 2013b). Également, le respect de l’autonomie en bioéthique signifie le respect de la liberté du choix parmi les différentes options de soins ou de traitements offerts au patient. À cet égard, la notion d’autonomie renvoie aux conceptions de la théorie libérale concernant l’autogouvernance du soi et donc au rôle de la personne dans la prise de décision médicale qui la concerne.

Malgré l’importante littérature relative à ce concept, il existe selon divers auteurs (Kukla, 2005; O'Neill, 2002a; Walker, 2008), une conception de l’autonomie qui domine le champ de la bioéthique, celle développée par Tom Beauchamp et James Childress dans leur célèbre ouvrage Principles of Biomedical Ethics. Dans le but de créer une approche pratique à l’éthique pour la prise de décision en matière de soins de santé, les auteurs présentent les principales théories éthiques - tels l’utilitarisme et le kantisme - tout en reconnaissant qu’aucune de ces théories ne peut être le seul fondement théorique de la bioéthique (Beauchamp et Childress, 2013a). Ils développent ainsi une approche dite par principes ou principisme, devenue classique de nos jours et selon laquelle la bioéthique est centrée sur quatre principes : l’autonomie, la bienfaisance, la non malfaisance et la justice. Bien que Beauchamp et Childress ne prétendent pas que l’autonomie soit le principe le plus important des quatre principes mentionnés, une place

prioritaire a souvent été - et l’est toujours - accordée à l’autonomie dans la littérature en bioéthique (Gillon, 2003; Wolpe, 1998). Paul Root Wolpe va aussi loin que d’alléguer que « indisputably… patient autonomy has become the most powerful principle in ethical decision- making in American medicine » (Wolpe, 1998).

Selon le principisme, le principe d’autonomie - ou plus spécifiquement, du respect de l’autonomie - tel qu’expliqué par Beauchamp et Childress est axé sur l’autonomie d’un choix particulier, d’une action ou d’une décision, plutôt que sur l’autonomie de la personne qui prend la décision (Beauchamp et Childress, 2013b). Les auteurs développent ainsi la théorie des trois conditions (three-condition theory) avec laquelle ils analysent si une action est autonome en se référant à trois critères observables et vérifiables « in terms of normal choosers who act (1) intentionally, (2) with understanding, and (3) without controlling influences that determine their action » (Beauchamp et Childress, 2013b). En offrant une explication nuancée de ces critères, Beauchamp et Childress jugent qu’il est possible de différencier clairement entre une action non autonome et celle qui a un degré minimal d’autonomie. Ils expliquent ceci par le fait que la première condition - intentionnalité - n’est pas une question de degré puisqu’un acte est soit considéré comme étant intentionnel ou non intentionnel. Cependant, les deux autres conditions - la compréhension et l’absence d’une influence déterminante - pourraient être satisfaites à des degrés variés. Les auteurs étendent ainsi leur explication en présentant quelques exemples :

« threats can be more or less severe; understanding can be more or less complete; and mental illness can be more or less controlling. Children provide a good example of the continuum running from being in control to not being in control…» (Beauchamp et Childress, 2013, p. 105).

Ainsi, les auteurs distinguent explicitement le concept de la personne autonome et celui de la décision/ choix/ action autonome. Selon eux, cette distinction surgit du simple constat qu’une personne autonome peut en certaines circonstances, ne pas agir d’une façon autonome. Par exemple, une personne autonome pourrait effectuer un choix non-autonome dans le cas où elle manque de l’information sur un sujet particulier ou si elle est contrainte d’agir d’une certaine façon. Similairement, une personne généralement considérée comme étant non-autonome pourrait prendre une décision autonome. Dans ce sens, les auteurs offrent un exemple d’un patient résidant dans un établissement psychiatrique, déclaré légalement incompétent et qui ne

peut pas prendre soin de lui-même. Bien que ce patient est considéré comme étant « une personne non-autonome », il est en mesure d’effectuer un choix autonome en exprimant ses propres préférences pour des repas, pour contacter des connaissances, etc. (Beauchamp et Childress, 2013b).

Dans leur livre A History and Theory of Informed Consent, Faden et Beauchamp justifient l’approche privilégiant le choix autonome plutôt que la personne autonome par le fait que les bioéthiciens sont intéressés par des « marqueurs empiriques » indiquant l’autonomie - ou le degré d’autonomie - d’une certaine action (Faden et Beauchamp, 1986). Kukla le mentionne ainsi (Kukla, 2005) :

« They want to be able to make empirical judgements about whether or not a given agent is capable of acting autonomously, a particular decision is autonomous, a protocol adequatly protects patient autonomy, and so forth » (Kukla, 2005, p. 35). Dans cette ligne d’argumentation, Walker explique qu’il y a une bonne raison pour laquelle l’importance est accordée au choix autonome en éthique médicale (Walker, 2008). En effet, selon Walker, il est possible, au moins sur le plan théorique, de savoir si une décision a été effectuée en l’absence des informations suffisantes et appropriées ou si cette décision a été soumise à des contraintes. Par conséquent, dans de telles situations, il est facile d’y remédier en offrant les informations et l’environnement adéquat pour une décision autonome (Walker, 2008). Cependant, il est impossible d’évaluer si l’autonomie de la personne a été atteinte en effectuant une décision considérée comme étant autonome. En d’autres termes, nous ne pouvons pas savoir si la personne à exercer sa « capacité » à réfléchir de manière critique sur ses préférences et ses désirs, afin d’adopter une décision conforme à ses propres valeurs et convictions. De ce fait, puisque la bioéthique est un champ appliqué dont l'objectif est de résoudre les dilemmes concrets qui se posent dans la pratique de la médecine, elle cible les « marqueurs empiriques » et « mesurables » qui indiquent si une action ou une prise de décision est autonome (Kukla, 2005).

Bien que divers auteurs donnent raison à Beauchamp et Childress dans leur distinction entre l’autonomie de la personne et l’autonomie du choix, ils expliquent cependant, que la

est inadéquate (Kukla, 2005; Walker, 2008). Ils considèrent ainsi que cette notion, tel que présentée, manque les dimensions éthiques cruciales relatives à la personne autonome. Dans ce sens, Walker, par exemple, invite à élaborer une notion de l’autonomie en bioéthique qui cherche à connecter les deux concepts prenant ainsi en compte, d’une part, les considérations nécessaires de la personne autonome et d’autre part, la réflexion actuelle autour du respect de l’autonomie afin d’offrir une conception plus nuancée et globale de cette notion en bioéthique (Walker, 2008).

Tout en reconnaissant les limites de l’approche séparant l’autonomie de la personne de l’autonomie de l’action, et donc le besoin d’une articulation plus développée de la notion d’autonomie, il a été utile de présenter cette disjonction entre le choix et la personne autonome. En effet, dans le cadre de mon projet de thèse, et en particulier relativement à la problématique de recherche ainsi qu’à l’analyse de mes données, je surligne les défis autour du choix autonome et donc du consentement éclairé et le contexte dans lequel se fait la prise de décision des femmes enceintes et des couples concernant le TPNI. Je prends donc en considération les facteurs influençant leurs choix -tel qu’il sera expliqué ultérieurement - et qui constituent dans le cas présent « les marqueurs empiriques » de la prise de décision vis-à-vis du test sans évoquer si la femme ou le couple a été autonome en prenant leurs décisions en d’autres termes, si leurs décisions ont été bien réfléchies et si elles reflètent leurs propres valeurs et désirs.

Il n’est pas facile de synthétiser un débat aussi complexe et aussi riche du concept de l’autonomie sans risquer de simplifier à outrance la diversité des contributions autour de cette discussion. Toutefois, il a été utile de présenter l’approche théorique dominante autour de l’autonomie en bioéthique, celle de Beauchamp et Childress. Dans la section qui suit, je discuterai d’une notion étroitement liée au principe du respect de l’autonomie, le consentement éclairé.

2.4. Le principe du respect de l’autonomie : un fondement éthique pour