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Chapitre 3 : Cadre conceptuel 2 : La description des contextes culturels et religieux :

1.1. Contexte Québécois

1.1.1. Facteurs d’ordre socioculturel

1.1.1.1. La structure sociopolitique de la société

Pour mieux comprendre la société québécoise contemporaine, je crois qu’il est important de s’attarder à quelques moments clés de l’histoire du Québec. En effet, jusqu’au début des années 1960, l’Église catholique a joué au Québec un rôle prépondérant dans le développement des institutions sociales et culturelles. Elle exerçait ainsi un quasi-monopole sur divers secteurs d’activité tels l'éducation, les soins de santé et les services sociaux offerts aux Québécois francophones qui formaient la majorité de la population (Seljak, 1996). En outre, entre les années 1944 et 1958, Québec était une province Catholique qui promouvait la prospérité de l’Église. Ce qu’on a appelé la Révolution tranquille fut une époque charnière marquée par l’accroissement du rôle du gouvernement québécois dans la maîtrise du devenir social, économique et politique de l’État, lequel est devenu, en moins de vingt ans, totalement indépendant de l’Église (Courville, 2008). Dès lors, le rôle de l’État québécois s’accroit pour prendre en charge les responsabilités qui relevaient de l’Église. Il assume ainsi pleinement son rôle dans la prestation de différents services à la population entres autres, en santé et bien-être social, en culture, en recherche scientifique et en éducation, et en développement économique.

De nos jours, le Québec se présente comme une démocratie libérale. La structure politique existant au Québec, pays plutôt de structure libérale, permet de mettre en évidence les interactions continues entre la forme, d’une part, de l’État et de la société, et d’autre part les structures d’identité, collective et individuelle, qui forment les bases de l’ordre social et personnel (Rawls, 1992). En effet, la liberté individuelle, une composante essentielle de la démocratie, se trouve protégée par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, adoptée en 1975. La Charte reconnaît explicitement que la personne est titulaire de certains droits et libertés fondamentaux, que même l’État ne peut restreindre qu’en ayant recours à la

des libertés de la personne ", 1982). En outre, ceci est appuyé et soutenu par l’Article 1 de la Charte canadienne des droits et Libertés stipulant que :

« Art.1. Les droits et libertés ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique » ("Charte Canadienne des droits et libertés," 1982).

Il est donc reconnu que la société québécoise fonctionne selon les principes du libéralisme, à savoir la protection des droits des minorités et en particulier des personnes individuelles. Les philosophes politiques libéraux considèrent l’individu comme un agent moral autonome et comme le maître absolu de ses capacités (Rawls, 1992): ainsi les individus dans une société comme le Québec sont libres de choisir leurs valeurs et de vivre selon leurs propres conceptions de la « vie bonne ». Dans ce type de société, l’Etat est considéré à la fois comme le garant des droits des personnes individuelles et comme une institution face à laquelle les personnes doivent être protégées (Rawls, 1992).

La structure socio-politique de la société influence la manière dont l’individu se construit dans un espace culturel donné, notamment pour ce qui touche à la valeur qu’il accorde à la notion et à la pratique de l’autonomie. Ainsi, la valeur accordée à l’autonomie de la femme, notamment son autonomie reproductive dans le contexte libéral du Québec est d’une importance significative. Dans les faits, certains aspects de l’autonomie reproductive de la femme - en particulier le droit à l’avortement abordé ci-dessous - trouvent aussi une protection constitutionnelle. De surcroît, la structure politique d’une société permet de souligner l’influence, s’il y a lieu, du rôle de la communauté, notamment religieuse, de la famille et du partenaire au sein du couple lorsque la femme est confrontée à des choix reproductifs tel que présenté dans la section suivante.

1.1.1.2. Le rôle du partenaire et de la famille

Afin de mettre en évidence les rôles du partenaire au sein du couple et des membres de la famille dans les processus de prise de décision en matière de reproduction, il est essentiel de présenter quelques points importants relativement au statut actuel de la femme et à l’inégalité

entre les sexes qui, découlent eux-mêmes de la structure politique de la société. Ces informations devraient ainsi permettre de mieux préciser et comprendre, le degré d’implication réelle du partenaire et de la famille dans les décisions reproductives, notamment autour des tests prénataux.

Les débats sociaux, politiques et juridiques autour de l’égalité des droits entre hommes et femmes occupent une place prépondérante tant au Liban qu’au Québec. Il est vrai que les inégalités ont existé à toutes les époques et touché les différentes cultures et qu’elles persistent même d’une manière plus ou moins importante dans la plupart des pays du monde. Les femmes ont longtemps été considérées comme « inférieures » aux hommes et ont subi une forte discrimination sexiste qui s’est manifestée dans de nombreux domaines de la vie privée, familiale et professionnelle (Thomsen, 2007). Les actions visant à lutter contre cette discrimination se sont multipliées, notamment grâce aux mouvements féministes, et ont contribué à valoriser la condition de la femme dans la plupart des pays du monde. Ainsi, de nombreux pays ont révisé leur Constitution et amélioré leur législation de manière à éliminer la discrimination fondée sur le sexe (Obermeyer, 1995).

Au Québec, deux chartes garantissent l’égalité entre les hommes et les femmes : la Charte des Droits et libertés du Québec, adoptée en 1975, et la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée en 1982 ("Charte des droits et des libertés de la personne ", 1982). En matière de procréation, certains pays en sont venus à reconnaître explicitement le droit que possède la femme de disposer de son propre corps: ce droit reconnaît implicitement qu’elle est libre d’interrompre sa grossesse si elle le souhaite. Une telle autonomie reproductive repose sur le respect de l’intégrité du corps de la femme, selon la formulation même dans les codes de lois, notamment au Canada. Ces avancées montrent que l’autonomie de la femme est considérée comme une valeur centrale dans les sociétés libérales et que la prise de décisions en matière de reproduction lui appartient en priorité. Cependant, nous ne pouvons pas prendre pour acquis le fait que le choix reproductif de la femme est partout exempt de toute implication de la part de son partenaire, des membres de sa famille ou de la société. Néanmoins, le degré de cette

fait, l’implication du partenaire ou de la famille sera, peut-être, moins importante dans le contexte d’une société libérale.

Le partenaire influence le choix reproductif de la femme au sein de la dynamique de couple : par exemple, une étude conduite par l’anthropologue Rayna Rapp sur l’impact social de l'amniocentèse aux États-Unis a montré que les opinions et les convictions des partenaires ont influencé le recours des femmes à, ou leur refus de, l'amniocentèse (Rapp, 2000). Ainsi, les femmes qui estiment que leurs partenaires aimeraient et les aideraient à élever un enfant handicapé, sont moins susceptibles de recourir à ce test.

Quant aux membres de la famille, ils exercent souvent une pression sur la mère en lui accordant une responsabilité à l’égard de l’enfant à naître: ainsi, elle souhaiterait mettre au monde un enfant en bonne santé afin de ne pas imposer le fardeau de la maladie à sa famille qui pourrait avoir à assumer éventuellement les conséquences de cette naissance (Rothman, 1994b) : par exemple, le fardeau de sa prise en charge par ses frères ou sœurs au cas où les parents décèderaient.

1.1.1.3. Le rôle du professionnel de la santé

L’évolution technologique de la médecine a contribué à introduire des changements dans les attitudes des médecins à l’égard de leurs patients. Ainsi, au Québec tout comme en Amérique du Nord, les attitudes des médecins ont fortement évolué : le médecin qui a donné une dimension humaniste à sa pratique clinique est décrit comme un médecin qui se doit de respecter les choix, les désirs et les valeurs de ses patients. De ce fait, ce changement de paradigme dans les attitudes des professionnels de la santé d'un modèle paternaliste à un autre qui met l'accent sur l'autonomie du patient et de son auto-détermination, s’est aussi traduit par des lignes directrices et des codes déontologiques qui reflètent cette évolution (Durand, 2005). Par exemple, en ce qui a trait aux tests prénataux, dans leur directive clinique commune émise sur le Dépistage prénatal de l’aneuploïdie fœtale en ce qui concerne les grossesses monofœtales, le Comité sur la génétique de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC) et le Comité de diagnostic prénatal du Collège canadien des généticiens médicaux (CCGM) invitent dans leur

recommandation à ce que les services de counseling offerts à la patiente soient non-directifs et respectent ainsi son choix quant à la prise de décision du test (Chitayat, Langlois, Douglas Wilson, et al., 2011) :

« Les services de counseling doivent être de nature non directive et doivent respecter le choix de la patiente d’accepter ou de refuser toute option ou tout dépistage offert, et ce, à n’importe quel moment au cours du processus » (III-A) (Chitayat et al., 2011, p. 752).

En dépit de ces recommandations, la difficulté de respecter tant la non-directivité du conseil génétique que la communication des informations d’une façon neutre est bien démontrée dans la pratique clinique. Par exemple, des études effectuées auprès des professionnels de la santé révèlent que leurs attitudes à l’égard des tests prénataux et de l’interruption des grossesses affectées ainsi que la manière dont ils communiquent les informations sont considérés comme des facteurs déterminants dans le recours des femmes au test prénatal ou son refus (Lippman- Hand et Cohen, 1980; Renaud et al., 1993). Au Québec, une étude réalisée auprès des médecins a montré que leur acceptabilité relativement à l’IVG est déterminée par leurs valeurs personnelles - tel leurs pratiques religieuses - et leurs perceptions de la gravité de la maladie dépistée - la gravité de la maladie et sa nature: maladie génétique, liée au sexe - (Renaud et al., 1993). Ces facteurs affectaient à leurs tours, la manière dont les professionnels de la santé communiquaient les informations à la femme et les orientaient ou non vers le diagnostic prénatal (Bouchard et Renaud, 1997; Renaud et al., 1993).

1.1.1.4. Le rôle de la religion dans la décision reproductive relative à la considération d’un test prénatal

Diverses études nord-américaines ont tenté de déterminer l’influence, s’il y a lieu, de la religion sur la prise de décision reproductive des femmes enceintes d’accepter ou de refuser un test prénatal. Par exemple, dans leur étude effectuée aux États-Unis et visant à comprendre les raisons pour lesquelles les femmes refusent les tests prénataux, Press et Browner concluent que la religion n'était pas un indicateur précis pour une décision relative aux tests prénataux (Press

malgré leur croyance pieuse et leur vœu personnel de ne jamais avorter, acceptent de faire le test et ne mettent pas, comme l'a stipulé une femme, « all [their] trust in God » (Press et Browner, 1998) .

Dans le contexte québécois, la littérature n’aborde pas ou peu le rôle de la religion dans le choix reproductif de la femme ou du couple à considérer un test prénatal. En outre, quand nous nous référons à des études nord-américaines, le facteur religieux mis de l’avant n’est que rarement mentionné dans le contexte des tests prénataux : les écrits évoquent plutôt les convictions morales, la responsabilité morale de la mère envers son fœtus et l’influence de son système de valeurs quant à la qualité de vie du fœtus : « quelle vie vaut la peine d’être vécue » ; et « quel handicap devrait être éliminé » (Guon, Wilfond, Farlow, Brazg et Janvier, 2014; Pratte, 2003).