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Chapitre 2 : Cadre conceptuel 1 : l’autonomie reproductive

3. De l’autonomie à l’autonomie reproductive

Tout comme le concept d’autonomie, l’autonomie reproductive est un concept aisément contestable. Connu aussi sous d’autres termes tel que la liberté procréative, l’autonomie procréative ou la liberté reproductive, selon divers auteurs, la source de ce concept remonte aux luttes relatives à l’accès à la contraception et à l’avortement, problèmes auxquels les femmes étaient - et demeurent présentemment - confrontées et qui ont débuté au milieu du dix-neuvième siècle. La bataille pour l’autonomie reproductive était donc une bataille pour le droit des femmes de s’approprier du contrôle de leur propre corps et de ses fonctions reproductives pour prévenir ou terminer une grossesse non désirée (De Koninck, 1990).

Il est difficile de situer et de circonscrire le concept de l’autonomie reproductive sous un angle particulier. Est-il considéré comme une revendication morale, un droit légal, un droit constitutionnel, un droit basé sur des principes du droit international ou une combinaison de tous ces éléments ? Et si un droit à l’autonomie reproductive existe, quelle est sa portée et quelles sont ses limites ? Les réponses à ces questions soulevées dans la littérature sont riches et

diverses. Ainsi, certains auteurs considèrent que l’autonomie reproductive est une revendication morale alors que d’autres la défendent comme étant un droit légal ou même constitutionnel (Warnock, 2002). Toutefois et à tout le moins, ce qui semble être évident est que les droits en matière de procréation ou les droits reproductifs et par inférence l’autonomie reproductive, possède une dimension qui relève des droits humains.

Par exemple, entre autres, la commission des Nations Unies pour les Droits de l’Homme stipule que « sexual and reproductive rights are integral elements of the right of everyone to the enjoyment of the highest attainable standard of physical and mental health », l’Article 16 (1)(e) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) confirme « le droit de déterminer le nombre et l’espacement des naissances » (CEDAW, 1979) et l’Article 17 du Pacte International sur les Droits Civil et Politique qui affirme que « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille » (NU, 1966). Les énoncés relatifs aux droits reproductifs sont élaborés d’une façon vague dans les diverses Conventions sur les droits humains, cependant ils ont été interprétés d’une manière à laisser une place pour l’intervention de l’État et son imposition de certaines limites afin d’influencer les choix reproductifs. De ce fait, les gouvernements pourraient choisir de créer des mesures d’incitation ou de dissuassion ayant pour but d’infléchir les choix reproductifs des citoyens mais « ne peuvent pas appliquer des moyens coercitifs » (Cook, 1993).

Mon but n’est pas de justifier la place de l’autonomie reproductive ou la nature de l’intérêt qu’on lui accorde et si elle devrait par exemple être priviligiée comme un droit légal plutôt qu’une revendication morale ou un droit constitutionnel ou autre. Par contre, je suppose qu’il serait utile de souligner certaines considérations pertinentes autour des débats sur « le droit » à l’autonomie reproductive pour bien illustrer le contexte de mon projet et enrichir ainsi l’analyse de mes données empiriques. Par exemple, il s’avère que, l’autonomie reproductive détient dans certains pays une dimension légale et même constitutionnelle. Si on prend à titre d’exemple la jurisprudence canadienne, en l’absence d’une affirmation explicite et claire sur la nature de l’intérêt pour l’autonomie reproductive, il semble toutefois que certains aspects de

le contexte clinique et de l’accessibilité à l’avortement, selon le droit Canadien en vigueur, une femme peut avoir un avortement à n’importe quel moment et pour n’importe quelle raison. Ceci étant dit, je reprends le lien entre l’accès aux tests prénataux et le débat autour de l’avortement en relation avec mon projet dans le chapitre suivant, précisément dans la section qui a trait aux facteurs d’ordre juridique et institutionnel. Cependant, d’une manière brève, la légalisation de l’avortement montre que le choix reproductif de la femme enceinte ou du couple d’effectuer un test prénatal et d’interrompre une grossesse affectée n’est pas restreint par des barrières légales.

Caractériser l’autonomie reproductive comme un droit légal ou constitutionnel possède sans doute des implications sur les niveaux juridique et politique relatifs à la santé reproductive et aux prises de décisions reproductives. Si un droit à l’autonomie reproductive existe ou pas est incontestablement pertinent à débattre cependant, ceci est en dehors de la portée de la présente thèse.

Les formulations précoces de l'autonomie reproductive tant dans la littérature en droit que dans celle en bioéthique sont en grande partie le produit des idées libérales autour du choix individuel et des droits individuels. L'approche globale la plus connue et la plus influente autour de ce concept est celle articulée par John Robertson qui considère que la liberté procréative est divisée en deux libertés distinctes : la liberté de procréer et la liberté de ne pas procréer. Ainsi, selon une première version de l’autonomie reproductive telle que formulée par Robertson (Robertson, 1983), « Full procreative freedom would include both the freedom not to reproduce and the freedom to reproduce when, whith whom, and by what means one chooses » (Robertson, 1983, p. 406). Dans une version ultérieure, il souligne que « at the most general level, procreative liberty is the freedom either to have children or avoid having them » (Robertson, 1994 p. 22). La procréation étant d’une importance fondamentale « to personal identity, to dignity, and to the meaning of one’s life », Robertson affirme que la liberté procréative devrait jouir d’une « primauté » à moins qu’elle porte « un préjudice substantiel » aux intérêts des autres (Robertson, 1994).

De surcroît, selon la définition de Robertson, connue aussi sous la formulation traditionnelle libérale, la liberté procréative considérée sous l’angle du droit constitutionnel est

une liberté négative qui requiert la non-ingérence de l’État dans les choix reproductifs des individus et non pas une liberté positive qui implique un droit aux services ou aux ressources nécessaires pour avoir ou éviter d’avoir des enfants (Robertson, 1994) :

« It means that a person violates no moral duty in making a procreative choice, and that other persons have a duty not to interfere with that choice » but « does not imply the duty of others to provide the resources or services necessary to exercice one’s procreative liberty despite plausible moral arguments for governmental assistance » (Robertson, 1994, p. 23).

Au vingt-et-unième siècle et avec l’introduction de nouvelles technologies de reproduction - entre autres, la fécondation In-Vitro et le don d’ovules et de spermes -, le sens de l’autonomie reproductive s’est étalé au-delà d’un droit d’accès à la contraception et à l’avortement. Ainsi, l’autonomie reproductive a été évoquée - et l’est toujours - afin de soutenir l’accès aux diverses technologies reproductives. Comme O’Neill l’observe (O'Neill, 2002b):

« [Reproductive] technologies opened the way to possibilities of self-determination and self-expression in reproduction that went far beyond the avoidance of unwanted children…Appeals to autonomy were invoked to support use of (and even guaranteed and subsidised access to) a variety of assisted reproductive technologies, ranging from hormone treatment to IVF, to the use of eggs, sperm and gestation provided by others, from post-menopausal pregnancy and post mortem paternity, to cloning and the production of so-called designer babies » (O’Neill, 2002, p. 57 ).

Bien que la position traditionnelle libérale formulée par Robertson s’est révélée très influente notamment aux États Unis concernant le débat autour de l’avortement et du choix reproductif des femmes, elle a été toutefois sujette à des critiques sur de nombreux fronts. J’en examine quelques-unes de ces critiques dans la section suivante.

3.2. Des critiques de l’autonomie reproductive

Les critiques soulevées autour de l’autonomie reproductive, et plus particulièrement autour de la conception discutée par Robertson - et de certains autres auteurs qui appuient cette conception tels que John Harris et Julian Suvalescu - ne sont pas des critiques du concept lui-

des critiques sur divers fronts. Je me limite à présenter quelques-unes, plus spécifiquement celles qui sont pertinentes à mon projet de thèse.

Les critiques féministes portent, d’une part, sur la conception individualiste et libérale de l’autonomie reproductive. De ce fait, la perspective des critiques féministes conçoit la valeur de la procréation dans un contexte social qui tient compte des conditions de vie de l’individu telles son appartenance à une communauté et sa situation sociale. Callahan et Roberts notent (Callahan et Roberts, 1996) :

« Individuals are not atomistic beings who create their identities, make choices, and determine their interests apart from their specific communities and general social locations. An individual’s ability to make autonomous decisions is circumscribed by the material conditions of her life, including her social position and group membership; her social location helps to determine her life prospects » (Callahan et Roberts, 1996, p. 1218).

D’autre part, ces critiques opposent l’autonomie reproductive comme étant une liberté négative nécessitant la neutralité de l’État vis-à-vis des décisions reproductives des individus. Selon plusieurs féministes, cette formulation favorise les inégalités sociales en protégeant les intérêts des personnes économiquement favorisées, tout en ignorant la liberté des plus démunis. Dans ce sens et en présentant l’avortement comme exemple, dire à une femme qui ne peut pas se payer la procédure d’avortement, qu’elle possède la liberté de terminer sa grossesse est une « virtually meaningless freedom » (Callahan et Roberts, 1996). Il en va de même pour les technologies de procréation assistée (TPA). Par exemple, selon la théorie libérale de l’autonomie reproductive, les femmes et les couples ont la liberté de rechercher et de choisir entre les TPAs - la Fécondation In Vitro (FIV) ou autres - afin de satisfaire leur souhait de concevoir un enfant. Cependant, le fait que ces technologies coûtent chers les met hors de portée des personnes qui manquent de moyens pour y bénéficier. Par conséquent, les choix reproductifs de ces dernières seront limités et donc leur autonomie restreinte sous cette vision de l’autonomie reproductive.

Les deux critiques présentées dans cette section, soit la conception individualiste de l’autonomie reproductive et la neutralité de l’État, constituent des limites de l’utilisation de ce

concept. Toutefois, il est important de les mentionner afin d’en discuter d’une façon plus ample dans les sections suivantes, notamment la section portant sur la justification de l’utilisation du cadre de l’autonomie reproductive et la section autour du recours à un cadre plus étendu et nuancé ; le cadre de la vision contextuelle de l’autonomie reproductive.