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L’approche du déterminisme technique 1. Histoire et pionniers du déterminisme technique

Chapitre VII : La fracture numérique et ses dimensions

Chapitre 11. L’approche du déterminisme technique 1. Histoire et pionniers du déterminisme technique

Le déterminisme technologiqueest la troisième approche sociologique de la

communication.Marshall McLuhan s’y est particulièrement illustré.

Dès le départ, cette approche a été liée à un historien de l’économie, il s’agit de Harold Innis qui s’est préoccupé de l’étude des liens entre l’existence et l’utilisation de technologies et de modes de communication d’un côté et de l’autre côté des caractéristiques attribuées à la société étudiée. Le déterminisme technologique repose donc sur une hypothèse que toute innovation technologique en matière de communication contribue à déstabiliser les anciennes bases de pouvoir social .

Plusieurs études ont été faites sur le déterminisme technique et de nombreux auteurs ont écrit sur ce sujet560. La thèse du canadien Marshall Macluhan, considéré comme le prophète du « village global », est que le social dépend du technique tandis que le technique conditionne le social.Par contre, Michel de Certeau, et l’école de Francfort pensent que le social détermine le technique. La dialectique entre le « déterminisme technique » et le déterminisme social semble être élevé notamment avec des idéologies ayant affirmé le triomphe du libéralisme économique. Ce dernier est soutenu par des thèses comme « la fin des idéologies », « le choc des civilisations », « la fin de l’histoire ».

1.1. Le déterminisme technique de Marshall McLuhan

D’après McLuhan561« Tous les moyens de communication nous gouvernent

entièrement. Ils sont si convaincants dans leurs effets personnels, politiques, économiques,

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D’ailleurs, il y en a d’autres qui ont abordé la question de l’autonomie de la technique, surtout Jacques Ellul. Selon cette perspective, les techniques se développent selon leurs propres lois comme une science, cependant, dans ce processus d’évolution technique inévitable, les ingénieurs sont des serviteurs et non des producteurs, ainsi que « Le rôle des gouvernements se limiterait à accompagner l'évolution technique, par exemple pour en accroître les retombées économiques ou en minimiser les coûts sociaux » (Thierry VEDEL, « La gouvernance des réseaux de communication », op.cit, p.20). De même, Robert Heilbroner défend cette perception, il voit que les sociétés dans leur évolution doivent passer par le chemin technique comme une étape inévitable de développement (Ibid. P.21).

561 Dans Message et Massage coécrit par McLuhan et Fiore, plusieurs formules reflètent le déterminisme technique de Marshall McLuhan :« La technologie électrique, en tant que moyen d’expression ou d’action de notre époque donne une forme et une structure nouvelle aux interdépendances sociales et à chaque aspect de notre vie individuelle. Tout change : vous, votre famille, vos amis, vos rapports avec les autres. Et ce changement est dramatique » (MCLUHAN & FIORE, 1967, p. 8) . « Les sociétés ont toujours été déterminées

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esthétiques, psychologiques, moraux, éthiques et sociaux qu’ils ne laissent rien en nous d’insensible, d’indifférence, d’impassible. Le moyen est le message » (MCLUHAN & FIORE, 1967, p. 26).« Il est impossible de comprendre les transformations sociales et culturelles sans une connaissance du fonctionnement des moyens d’expression » (MCLUHAN & FIORE, 1967, p. 8).

McLuhan approche historiquementl’évolution des moyens de communication depuis l’alphabet oral, passant par l’écriture et l’imprimerie en arrivant aux technologies électroniques. Dans son ouvrage de deux tomesLa galaxie Gutenberg, McLuhan voit que « toutes les technologies tendent à créer un nouvel environnement humain » (MCLUHAN, 1977, p. 19). Cependant, il insiste sur le rôle de l’imprimerie562comme une nouvelle technologie à l’individualisme au cours du XVIe siècle (MCLUHAN (2), 1968 , p. 38),du fait qu’elle détribalise ou décollectivise l’homme(MCLUHAN, 1977, p. 291). D’après lui, « l’imprimé a transformé le dialogue d’un échange de propos, il en a fait une marchandise portative, un colis d’information. Il a donné à la perception et au langage humain un biais et un intérêt … L’imprimé était en lui-même une marchandise, une nouvelle richesse naturelle » (Ibid. p, 300-301).

Dans Pour comprendre les médias , McLuhan a étudié plusieurs faits, il s’agit du message, des médias froids et chauds563, de la presse, de la publicité, des jeux, du téléphone, du cinéma, de la radio, de la télévision, etc. « Les médias sont des prolongements, imposent aussi une servitude à notre énergie individuelle, et qu’ils façonnent l’expérience et la conscience de chacun de nous » (MCLUHAN, 1964, p. 38). Pour lui, « le message c’est le médium », c’est-à-dire, toutes les technologies créent petit à petit un milieu humain totalement nouveau. [… ]Chaque nouvelle technologie crée un milieu, vu en soi comme corrompu et dégradant, mais qui transforme cependant son prédécesseur en forme d’art

(MCLUHAN, 1964, pp. 10-12). […] En effet, le « message » d’un médium ou d’une technologie, c’est le changement d’échelle, de rythme ou du modèle qu’il provoque dans les affaires humaines» (MCLUHAN, 1964, p. 24). Par exemple, le chemin de fer en tant que

plus par la nature des moyens par lesquels les hommes communiquent que par le contenu de cette communication » (Ibid.)

562D’après McLuhan l’évolution de l’imprimerie a participé à l’évolution de la civilisation occidentale.

563Pour McLuhan, les médias froids comme la télévision, le manuscrit et la parole permettent au lecteur et à l’auditeur plus de participation que les médias chauds comme la radio, etc.

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technologie a conduit au changement des formes des villes ainsi qu’au mode de travail des loisirs. Cependant, « le message », c’est le médium, parce que c’est le médium qui façonne le mode et détermine l’échelle de l’activité et des relations des hommes » (MCLUHAN, 1964, p. 25).

2. Principaux concepts etmythes du déterminisme technique

Au fil du temps, plusieurs idéologies ont accompagné l’essor des techniques de communication, qu’elles soient économiques, politiques, techniques, etc. Concernant la télévision, d’après Wolton deux idéologies semblent être plus présentes. Il s’agit de l’idéologie politique qui a dominé la période de 1950-1970 et l’idéologie technique. De même, dans la même idéologie, des approches contradictoires entre un courant pessimiste et un autre optimiste ont été notées. L’école de Francfort, notamment ses travaux dans les années 1950 a une vision politique pessimiste à l’égard des techniques de communication, perçues comme des instruments de manipulation et d’aliénation, tandis que leur logique technique est orientée en particulier vers la consommation564. Face à cette vision pessimiste, une autre optimiste voit dans ces mêmes techniques une occasion de réorganiser les rapports sociaux.

Pourtant, depuis les années 1970 et grâce à l’essor des nouvelles techniques de communication (WOLTON, 1990, p. 81) l’idéologie technique domine. Dans sa perception pessimiste, elle voit la télévision interconnectée aux télécommunications comme une source de totalitarisme (contrôle politique, social ou policier). Tandis que sa perception optimiste attribue beaucoup d’intérêt à la technique (télévision par exemple) car elle modifie des structures relatives au travail, au fonctionnement des organisations et au système de pouvoir. Par ailleurs, l’idéologie technique est basée sur le modernisme, c’est pourquoi chaque critique de produits nouveaux est identifiée au retard culturel. De même, elle accorde beaucoup d’attention à la performance et au progrès car elle voit que beaucoup de problèmes seront résolus grâce à la performance des techniques vue comme un symbole de progrès.

564D’une manière générale, les travaux de l’Ecole de Francfort (Horkheimer, Adorno, Marcuse et Habermas) ainsi que de politologue américain Harold Lasswell représentent la vision critique des médias ou des techniques de communication. De l’autre côté, les travaux de Paul Lazarsfeld de Katz reflètent la vision optimistes vers les techniques de communication du fait que les individus sont tout puissants et que les médias sont faibles.

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2.1. L’idéologie de Village global

« Notre monde est un monde tout neuf d’immédiateté. Le « temps » est aboli, l’ « espace » a disparu. Nous vivons actuellement dans un village global » (MCLUHAN & FIORE, 1967, p. 63).

L’expression de « village global » attribuée àMcLuhan est basée sur l’idée que le partage de l’information et de l’expérience sont à la disposition de tous565. Le « village global » a pris naissance suite à la mondialisation des TIC. La première « société globale » se trouve aux États-Unis qui communiquent plus que toute autre région de monde et où plus de 50 % de l’ensemble des communications se passent. De même, ils sont les premiers à développer un « modèle mondial de modernité » grâce aux produits de leurs industries culturelles, outreleurs techniques, méthodes et pratiques d’organisation nouvelles (Armand et Michèle Mattelart, Histoire des théories de la communication, p.70).

Pourtant la guerre du Viêtnam a renforcé l’idée du village global, car elle a permis pour la première fois aux citoyens du monde entier de suivre la guerre transmise par la télévision, et de participer aux différentes phases de la guerre. Cette technologie a aussi permis aux pays de Tiers monde d’avancer dans le programme du progrès malgré leur situation de sous-développement industriel. « Tous les territoires non industrialisés, comme la Chine, l’Inde et l’Afrique, progressent à grands pas grâce à la technologie électrique »566(MCLUHAN & FIORE, 1974, pp. 127-128). McLuhan et Fiore sont convaincus du rôle des technologies de communication dans le changement social pour résoudre des problèmes non résolus par les idéologies politiques567.

Dans sa critique des nouveaux médias, Dominique Wolton voit que « l’idée du village global renvoie à la communication fonctionnelle et à l’idéologie technique. Tandis que celle de la communication internationale renvoie à la communication normative et donc à l’horizon d’une cohabitation culturelle.Non seulement le thème du village global confond techniques et contenus, mais il confond aussi l’intérêt des industries de la communication avec la réalité philosophique et sociohistorique des usagers de ces techniques de

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Mais, avec l’expression de « fracture numérique » qui signifie qu’ un grand nombre de populations au niveau mondial ne sont pas encore couverts par les moyens de communication (électricité, de l’eau potable, de l’assainissement, réseaux téléphonique (fixe), et actuellement Internet), on parle surtout du continent africain, dont la situation est encore pire.

566 Cité in Armand Mattelart, La communication –monde, p.148.

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communication »(WOLTON, 1999, pp. 129-130). De plus568, « Le village global est une réalité mais il ne réduit ni les inégalités, ni les tyrannies, ni les violences, ni les mensonges » (WOLON, 2005, p. 10).

Pour sa part, Mattelart critique les prétentions et les idéologies des organismes mondiaux à l’égard des TIC associés à surmonter le retard du Tiers Monde du fait que pour lui les médias de communication n’ont pasaidé ces pays à rattraper leur retard (multidiemnetionnel)« L’histoire s’est chargée de souligner en de nombreuses occasions les failles des représentations axées sur le « village global » qui ont alimenté l’imaginaire du grand public sur l’avenir de la communauté humaine et qui dans la realpolitik des entreprises, ont surtout constitué un vivier inépuisable pour légitimer les grandes sagas de la conquête du marché mondial. […] Les médias globaux n’ont pas non plus aidé les pays en voie de développement à « rattraper leur retard » par rapport au peloton de tête du monde industriel » (MATTELART A. , 1996, p. 105).

2.2. La société de l’information

La « Société de l’information », « Société de savoir », « Société de connaissance »569, « Société en réseaux », quelles que soient ses appellations, a bouleversé les fondements tant économiques que sociaux570.Autrement dit, cette société succédant à la société industrielle exige des matières premières571 différentes de cette dernière (savoir, connaissance, information)572.Devenue donc à la mode pour annoncer l’entrée dans une nouvelle ère, idéologisée et instrumentalisée autant par des organismes mondiaux que des centres de recherches et des géants technologiques dominants pro déterminisme technique, prétendant tous l’avènement d’une nouvelle société fondée sur les potentialités des technologies de l’information et de la communication et la libre circulation des informations, des idées et des

568 Dominique WOLTON acritiqué ces idéologies relatives surtout au déterminisme technologique des médias de masse et des NTIC surtout Internet.

569 D’après Jean-Paul Lafrance, c’est l’Unesco qui préfèe cette appellation.

570 Voir Jean Paul LAFRANCE, « Présentation générale pour une approche critique de la société de l’information », in Critique de la Société de l’information (dir) Dominique Wolton, Collection « Les essentiels d’Hermès », Paris, 2009.

571 Ces matières comprennent : programmes, logiciels, applications et services.

572 Jean Paul LAFRANCE, « Présentation générale pour une approche critique de la société de l’information », in Critique de la Société de l’information (dir) Dominique Wolton, Collection « Les essentiels d’Hermès », Paris, p.11, 2009.

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connaissances573. Gaëtan Tremblay critique la manière dont certains discours (technocratiques et médiatiques) abordent la société de l’information comme une évidence 574.

De plus, cette société est caractérisée par la marchandisationde l’information (Wolton, Mattelart, Tremblay, Sénécal...)« La société de l’information repose davantage sur la demande : grâce au système technique que tu as à domicile, tu ne subis plus une offre que tu ne veux pas, tu recherches seulement ce qui t’intéresse » (WOLTON, 2000, p. 90). Cette idée de marchandisation est aussi partagée par Armand Mattelart pour quil’essor de la société de l’information est du beaucoupà Wiener, pour qui [...]L’information, les machines qui la traitent et les réseaux qu’elles tissent sont seuls à même de lutter contre cet empêchement de circuler en tous sens. La société de l’information ne peut être qu’une société où l’information circule sans entrave. Elle est par définition incompatible avec l’embargo ou la pratique du secret, l’inégalité d’accès et la transmission de tout ce qui circule dans les canaux de communication en marchandise. La persistance de ces facteurs ne peut que favoriser les avancées de l’entropie. En d’autres termes, faire reculer le progrès575.Mattelart dénonce même le fait de relier la société de l’information à la démocratie. D’une façon générale, la communication sert à soutenir des idéologies de type progrès-modernisation et développement surtout dans les années soixante et soixante dix. Dans les années quatre- vingt, suite à l’essor des technologies électroniques et informatiques, la communication est devenue « le progrès », et l’avancée des réseaux techniques de la « société de l’information », l’aune de la croissance de la démocratie(MATTELART A. , 1992, 1999, p. 7).

Pour Philippe Breton et Serge Proulx, la théorie de l’information de Claude Shannon a cristalisé d’un côté l’idéologie de la «société de l’information ». Et de l’autre côté, elle a inspiré un courant faciné par la dimension informationnelle d’internet. Ce dernier est perçu comme la naissance d’un nouveau monde virtuel, tout entier informationnel, dans lequel nous serions invités à basculer toutes nos activités, mais ces lubies utopiques n’influencent guère que ceux qui recherchent le salut dans de nouvelles formes de religiosité(BRETON & PROULX, 2002-2006, pp. 131-132).

573 Eric GEORGE et Fabien GRANJON (dir) Critiques de la Société de l’information, Paris, L’Harmattan, 2008, 8.

574 Gaëtan TREMBLAY. « Gateisme et informationnalisation sociale : alternatives à la société de l ‘information ?, in Critiques de la Société de l’information, (dir) Eric GEORGE et Fabien GRANJON, Paris, L’Harmattan, 2008, 25.