• Aucun résultat trouvé

L’appauvrissement de la Terre en éléments volatils

CHAPITRE 1. ORIGINES, DIVERSITE DES OBJETS DU SYSTEME SOLAIRE ET CARACTERISATION DES RESERVOIRS TERRESTRES

6 La Terre actuelle et la constitution de ses différents réservoirs

6.2 L’appauvrissement de la Terre en éléments volatils

Les phénomènes de condensation/évaporation sont à l’origine de fractionnements élémentaires entre éléments volatils en fonction de leur degré de volatilité. Ces fractionnements sont visibles dans l’ensemble des objets du Système Solaire, les chondrites, comme la Terre, étant appauvries relativement à la photosphère Solaire (représenté par les CI). Les éléments présentant un caractère volatil peuvent également présenter un caractère sidérophile (ou chalcophile). L’appauvrissement d’un élément dans la BSE par rapport au CI (Figure 38) peut donc découler aussi bien de la formation du noyau que de processus d’évaporation / condensation. Comprendre l’importance respective de ces deux processus ainsi que leurs chronologies est alors nécessaire pour clairement contraindre le contenu et la formation des différents réservoirs composant la Terre.

Ce degré de volatilité est le plus souvent représenté par la température de demi-condensation de l’élément d’intérêt (Lodders, 2003). On distingue ainsi plusieurs catégories en fonction de la température de demi-condensation (i.e. la température pour laquelle la moitié de l’abondance d’un élément se trouve dans le condensat) : réfractaires (T50% condensation = 1400 – 1800 K), modérément réfractaires (T50% condensation = 1250 – 1350 K), modérément volatils (T50% condensation = 640 – 1230 K) et très volatils (T50% condensation < 640 K) ( Figure 39). Ces

78 par Wood et al., (2019) en proposant de nouvelles forme de condensat, ce qui résulte pour certains éléments en des variations de plusieurs centaines de degrés de leurs températures de demi-condensation. Toujours est-il que ces classifications sont dépendantes d'un contexte de condensation, ici la nébuleuse solaire, et que leurs utilisations dans un autre milieu, doit se faire avec précaution. Albarède et al. (2015) montrèrent la pertinence d'utiliser une autre échelle de volatilité pour l'étude des abondances en éléments volatils sur la Lune. Ce corps s'étant formé au sein d'un gaz à plus haute pression et de composition tres différentes de celle de la nébuleuse Solaire (plus enrichie en Si), les auteurs utilisèrent l'energie de liaison comme mesure qualitative de la volatilité, indépendante de la composition du gaz ( Figure 39).

Figure 39 Représentation des éléments chimiques en fonction de leur degré de volatilité. Les deux axes représentent deux échelles de volatilité différentes. L’axe vertical représente une échelle intrinsèque, fondée sur l’enthalpie d’atomisation, équivalente à l’énergie moyenne de liaison par atome, dans le condensat. L’axe horizontal correspond à la température de demi-condensation qui dépend de la composition de la nébuleuse Solaire. Les différentes classes d’éléments définis par leur degré de volatilité sont représentées par le code couleur. (Extrait de Albarède, 2009)

Origine de l’appauvrissement des éléments volatils sur Terre

Les différents objets du Système Solaire interne sont appauvris en éléments volatils par rapport aux chondrites carbonées. Cette systématique visible dans le Système Solaire interne est connue depuis longtemps (Wänke et al., 1981) mais l’origine et les mécanismes de cet appauvrissement sont encore débattus (Albarède, 2009; Halliday, 2004; Hubbard and Ebel,

CHAPITRE 1. ORIGINES, DIVERSITE DES OBJETS DU SYSTEME SOLAIRE ET CARACTERISATION DES RESERVOIRS TERRESTRES

2014). Les deux hypothèses les plus discutées à l’heure actuelle suggèrent que l’appauvrissement en éléments volatils de la Terre soit dû à leur volatilisation après accrétion lors d’impacts ou bien résulterait de processus antérieurs à l’accrétion planétaire, prenant place dans la nébuleuse Solaire (à noter que ces deux scénarii ne sont pas mutuellement exclusifs).

L’hypothèse des impacts suggère que l’énergie dégagée par ces derniers lors de l’accrétion terrestre était suffisante pour fractionner les éléments les plus volatils par rapport au éléments réfractaires (Halliday, 2004). Dans ce modèle, la Terre a pu assimiler les éléments volatils présents dans les chondrites carbonées, mais les aurait perdus lors d’impacts tardifs. Cette hypothèse permet d’expliquer facilement pourquoi la composition de la Terre est appauvrie en éléments volatils par rapport à la composition de ces briques élémentaires. Toutefois cette théorie peine à expliquer l’absence de fractionnement isotopique que l’on pourrait observer suite à des processus de volatilisation/ condensation sur Terre. La perte d’éléments volatils suite à une volatilisation lors de l’accrétion est supposée engendrer un fractionnement dépendant de la masse, les isotopes légers d’un élément se retrouvant enrichis dans la phase vapeur. Cependant, les isotopes stables de K, un élément modérément volatil, ne montrent pas de variations isotopiques entre les roches terrestres et les chondrites CI (contrairement à la Lune, qui est enrichie en isotopes lourds de K, suite à la condensation partielle de vapeur résultant de l’impact de Théia) (Wang and Jacobsen, 2016). Il a également été observé que la Terre est appauvrie en isotopes lourds de Zn de près de 0.1‰ par rapport au CI, ce qui est l’exact opposé de ce qui est attendu d’un épisode de volatilisation (Moynier et al., 2006). De la même façon, l’étude du rapport Mn/Na de la BSE montre que celui-ci est chondritique, ce qui peut paraître paradoxal au vu du comportement de ces éléments (Mn= sidérophile, modérément volatil ; Na= lithophile, modérément volatil ; cf. Figure 38). Une fois corrigé des effets de la formation du noyau, le rapport Mn/Na terrestre se retrouve aligné sur la droite de fractionnement des éléments volatils formés par les chondrites (Figure 40) Ceci suggère que la Terre est le résultat de l’accrétion d’un matériel similaire aux météorites primitives, bien que plus appauvrie en éléments volatils, et aurait conservé cette signature lors des épisodes

80 De même, les éléments alcalins, qui présentent des masses atomiques différentes pour des degrés de volatilité similaires, montrent des appauvrissements similaires dans la BSE, ce qui semble également contradictoire avec une volatilisation lors de l’accrétion (McDonough et al., 1992). L’ensemble de ces observations est donc en faveur d’un appauvrissement du matériel à l’origine de la Terre avant son accrétion.

Matériel source des éléments volatils sur Terre

Une grande partie des matériaux constitutifs de la Terre se sont formés à l’intérieur de la "snow-line", qui représente la distance héliocentrique au-delà de laquelle l’eau se solidifie (Ciesla and Cuzzi, 2006). Les éléments volatils n’intègrent les phases condensées qu’à basse température, ce qui laisse supposer que leur enrichissement dans le condensat est d’autant plus important que ces objets se sont formés loin du Soleil. On a longtemps considéré que les éléments volatils ont pu arriver sur Terre par un apport de comètes et/ou de chondrites carbonées (Albarède et al., 2013), lors d’une phase d’accrétion assimilable au vernis tardif ayant apporté les éléments hautement sidérophiles présents dans la BSE. Toutefois, les calculs réalisés sur les HSE montrent que le vernis tardif ne peut pas représenter plus de 1% de la masse accrétée par la Terre (Brenan and McDonough, 2009; Chou, 1978; Laurenz et al.,

Figure 40. Evolution du rapport Mn/Na vs Mn/Mg entre les différents objets du Système Solaire. En ajoutant la composition du noyau à la BSE (formant ainsi la Bulk Earth), il est possible de reproduire le fractionnement en éléments volatils observé entre les chondrites, la BE formant un pôle appauvri en volatils. Cet appauvrissement serait donc précoce, et non le résultat d’une volatilisation lors d’impact (Extrait de Siebert et al., 2018).

CHAPITRE 1. ORIGINES, DIVERSITE DES OBJETS DU SYSTEME SOLAIRE ET CARACTERISATION DES RESERVOIRS TERRESTRES

2016). Or, les abondances en éléments volatils observées sur Terre ne peuvent pas être reproduites par une accrétion contenant moins de 10-15 % de matériel ayant une composition similaire aux chondrites carbonées (Braukmüller et al., 2019). De même, les appauvrissements observés dans la BSE en éléments sidérophiles et chalcophiles par rapport aux éléments lithophiles de volatilité égale, impliquent l’accrétion de ces éléments avant la fermeture du noyau. De même, les modèles de Nice et du Grand Tack ont montré qu’il était possible d’intégrer des objets formés dans le Système Solaire à l’accrétion des planètes telluriques par mélange radial de ces objets. Il est donc plus probable d’envisager une accrétion continue d’éléments volatils tout au long de la formation de la Terre.

L’étude des rapports d’isotopes stables permet de contraindre l’origine des éléments volatils. L’étude des rapport D/H et 15N/14N permit d’établir l’origine majoritairement chondritique, et non cométaire de ces éléments (Marty, 2012). Au vu des signatures D/H mesurées sur les comètes (notamment grâce à la mission ROSETTA), bien supérieures à celles de la Terre, la contribution cométaire aux abondances terrestres ne peut dépasser 1% (Marty et al., 2016). La composition isotopique du Xénon cométaire présente quant à elle une anomalie en isotopes lourds qui correspond à l’atmosphère primitive terrestre. Près de 22% du Xénon terrestre pourraient donc être issus de matériel cométaire (Marty et al., 2017).

Les abondances en éléments volatils de la Terre sont donc déterminées par le matériel chondritique dont elle découle. Toutefois, les concentrations en éléments volatils dans les chondrites étaient jusqu'à récemment peu contraints. Braukmüller et al. (2019) mirent en évidence un motif d’appauvrissement en éléments volatils (par rapport au CI) commun à la Terre et plusieurs chondrites carbonées.

Le modèle canonique considère qu’un élément est d’autant plus appauvri (par rapport au CI) qu’il est volatil (Figure 38), sur Terre comme dans les chondrites carbonées. Des mesures récentes de composition des chondrites carbonées (Allègre et al., 2001; Braukmüller et al., 2018), ont toutefois montré l’existence d’un plateau d’appauvrissement pour les éléments les plus volatils (Figure 41), ces derniers n’étant pas fractionnés selon leur degré de volatilité. La présence de ce plateau pour les éléments les plus volatils permettrait de résoudre certains

82 Nous l’avons vu précédemment avec le rapport Mn/Na de la BSE (Siebert et al., 2018), le motif formé par les éléments volatils sur Terre peut toutefois être obscurci par le caractère sidérophile de certains éléments, dont l’appauvrissement dans la BSE peut alors être le résultat (tout ou partie) de leur entrée dans le noyau. Des éléments très volatils comme le zinc et l’indium, classiquement considérés comme sidérophiles semblent toutefois être retenus dans la BSE. Des expériences menées à hautes pressions et températures montrent que ces derniers deviennent lithophiles dans les conditions de formation du noyau terrestre (Mann et al., 2009), ce qui en fait de bon point d’ancrage pour définir le plateau d’appauvrissement de la Terre en éléments volatils (Figure 42). La formation du noyau devrait donc pouvoir expliquer l’appauvrissement de certains volatils par rapport à ce plateau, à l’instar du cadmium (Wang et al., 2016).

Ces similitudes entre la Terre et les chondrites carbonées vis à vis des éléments volatils peuvent sembler en contradiction avec l’ensemble des anomalies isotopiques précédemment évoquées qui présentent la Terre comme plus proche des chondrites à enstatite.

Figure 41. Description des motifs d’appauvrissement en éléments volatils observés dans différentes chondrites carbonées, une fois normalisé au chondrites CI et Mg. Ce motif appliqué aux abondances d’éléments volatils dans la BSE est cohérent avec plusieurs concentrations mesurées. (Extrait de Braukmüller et al., 2019)

CHAPITRE 1. ORIGINES, DIVERSITE DES OBJETS DU SYSTEME SOLAIRE ET CARACTERISATION DES RESERVOIRS TERRESTRES

Braukmüller et al. (2019) proposent que la Terre soit formée en majorité par des objets issus du même réservoir nucléosynthétique que les chondrites à enstatite, mais possédant une composition élémentaire proche des chondrites carbonées. Une autre possibilité, également évoquée par ces auteurs, est de considérer l’appauvrissement extrême en volatils de la Terre par rapport à toutes les compositions de chondrites carbonées, comme le reflet d’un mélange de matériel réduit accrété précocement dans l’histoire de la Terre, et de matériel oxydé arrivé d’un autre réservoir, enrichi en éléments volatils. Un matériel de composition similaire aux chondrites à enstatite pourrait donner à la Terre sa signature isotopique. Cette signature serait ensuite faiblement impactée par l’accrétion de matériels issus du Système Solaire externe apportés par la dynamique des géantes gazeuses. Ce matériel chondritique, condensé dans une région plus froide, aurait enrichi la Terre en éléments volatils, ce qui est cohérent avec la signature isotopique des plus volatils d’entre eux (Marty, 2012; Marty et al., 2017). Il a été montré que les abondances d’éléments volatils dans la BSE peuvent être obtenues par l’ajout de 10-15wt% d’une composition type CI (davantage s’il s’agit d’une autre chondrite carbonée), ce qui n’est pas incompatible avec les plus récents modèles isotopiques de mélange

Figure 42. (a) Comparaison schématique du motif de volatilité canonique et du motif de volatilité proposé par Braukmüller et al. (2019), proposé à partir des observations faites sur les chondrites carbonées. (b) Dans le modèle canonique, l’indium serait considéré en surabondance dans la BSE par rapport aux autres éléments volatils, alors qu’un motif chondritique de volatilité corrige ce décalage. A l’inverse, l’appauvrissement en cadmium par rapport au plateau de volatilité peut être expliqué par son accumulation dans le noyau métallique. (Extrait de Wang, 2019)

CHAPITRE 2. APPROCHES