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Composition chimique de la Terre silicatée

CHAPITRE 1. ORIGINES, DIVERSITE DES OBJETS DU SYSTEME SOLAIRE ET CARACTERISATION DES RESERVOIRS TERRESTRES

6 La Terre actuelle et la constitution de ses différents réservoirs

6.1 Composition chimique de la Terre silicatée

L’étude de la composition du noyau ne peut être réalisée indépendamment de l’étude de la composition de la Terre silicatée ou BSE. Plusieurs modèles existent, fondés sur différents raisonnements, chacun proposant les concentrations d’éléments lithophiles et sidérophiles, volatils et réfractaires, de la BSE.

Le plus utilisé d’entre eux est actuellement celui de McDonough and Sun (1995) qui s’appuie sur les rapports élémentaires mesurés dans les chondrites CI ainsi que sur des mesures directes dans les roches mantelliques. Les éléments y sont répartis selon la classification de Goldschmidt, i.e. les éléments lithophiles restent dans la BSE, les éléments sidérophiles sont concentrés dans le noyau et les éléments volatils sont appauvrie en fonction de leur volatilité. Par conséquent, les éléments lithophiles réfractaires (les RLE pour Refractory Lithophile Elements) ne sont pas fractionnés lors de la formation de la Terre, et leurs rapports dans la BSE sont donc, en théorie, identiques à leurs rapports dans les chondrites CI. Les concentrations en RLE dans la BSE sont donc proportionnelles à celles mesurées dans les CI, moyennant un facteur d’enrichissement identique pour tous les RLE. Ce facteur d’enrichissement est estimé à partir des concentrations absolues (Ti, Al, Sc) mesurées dans les roches du manteau supérieur remontées à la surface (McDonough and Sun font ici l’hypothèse d’un manteau chimiquement homogène sur toute son épaisseur). Pour obtenir ces abondances absolues dans le manteau, les concentrations mesurées dans les roches issues du manteau sont corrigées de la fusion partielle en supposant aucun fractionnement du Si entre le liquide et le résidu (Figure 35).

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Figure 35. (a) Représentation du fractionnement résultant de l’extraction d’un liquide magmatique sur la péridotite résiduel. Le silicium n’est pas fractionné lors de la fusion partielle, et peux donc servir de pivot pour reconstituer la composition originelle de la roche. (b) Une fois la composition de la péridotite corrigée de la fusion partielle, il est possible de la comparer au rapport élémentaire de plusieurs RLE mesurés dans les chondrites. Le croisement de ces deux axes, la surface grisée représentant leurs barres d’erreurs estimés, recoupe les alignements formés par les échantillons du manteau (péridotites massives et xénolites). (Extrait de McDonough and Sun, 1995)

Le modèle de McDonough and Sun (1995), propose donc pour la BSE un facteur d’enrichissement de 2.75 des concentrations chondritiques en RLE. On obtient alors une valeur de base, normalisée aux chondrites CI, et tout écart d’un rapport élémentaire par rapport à cette valeur s’explique par le caractère sidérophile (et/ou chalcophile) ou bien par la volatilité d’un élément, évalué à partir des rapports mesurés dans diverses péridotites. Ces combinaisons permettent de construire une composition globale de la BSE.

(a) (b)

rapport chondritique de RLE

Abondance absolue de la Terre en TiO2 Régression linéaire des échantillons de péridotites

(appauvries par fusion partielles)

CHAPITRE 1. ORIGINES, DIVERSITE DES OBJETS DU SYSTEME SOLAIRE ET CARACTERISATION DES RESERVOIRS TERRESTRES

Cette méthode est qualifiée d’approche "pyrolitique" car celle-ci est fondée sur le calcul de la composition d’un manteau supérieur qui n’a pas connu de fusion, à partir d’échantillons remontés à la surface. Cette composition pyrolitique donne par fusion partielle, les magmas basaltiques arrivant en surface.

Une approche similaire est utilisée par (Palme and O’Neill, 2003, mis a jour en 2014), qui s’appuient sur une plus large gamme de météorites pour estimer le comportement des éléments les uns par rapport aux autres. Leur approche pour obtenir le facteur d’enrichissement de la BSE en RLE est un peu différente, ces derniers utilisant les abondances en CaO et Al2O3 pour calculer ce facteur d’enrichissement, qu’ils estiment à 2.83. Cependant, les applications de l’approche pyrolytique évoquées ci-dessus souffrent de l’incertitude inhérente à la mesure source, ainsi que d’un traitement statistique discutable de ces incertitudes. Plus récemment, Lyubetskaya and Korenaga (2007) proposent d’intégrer la dispersion des données de péridotites à leurs modèles, via une étude statistique qui reste à ce jour encore la plus exhaustive. Ils déterminent la composition du manteau primitif sur la droite de fusion partielle formée par les péridotites et intègrent la variance de l’échantillon statistique de départ au modèle final de composition de la BSE. Bien que leur modèle reste similaire aux précédents dans leur quantification des abondances de Mg, Si et Fe dans la Terre silicatée, ils trouvent un facteur d’enrichissement en RLE significativement plus bas (~2.16 ± 0.37). Leur modèle est appauvri de plus de 20% en de nombreux éléments incompatibles (notamment U, Th, K et REE) par rapport aux précédentes estimations.

D’autres approches ont également été considérées pour tenter de construire la BSE (Allègre et al., 1995, 2001). Cette méthode ne se restreint pas à assimiler la Terre à une composition chondritique particulière, mais considère notre planète comme faisant partie d’un continuum d’objets au sein du Système Solaire. Les abondances en RLE sont déterminées à partir de la corrélation de leurs rapports dans les météorites et les roches du manteau terrestre. Les rapports élémentaires impliquant un élément sidérophile sont ensuite déterminés par la tendance formée par les chondrites dans un diagramme siderophile/lithophile vs

72 Cette méthode ne fait pas intervenir de coefficient d’enrichissement généralisé pour déterminer les abondances en RLE dans la BSE. L’abondance de chaque élément est calculée de façon systématique, sans hypothèse ad hoc sur leurs enrichissements, à partir d’un quelconque matériel de départ. Nous avons toutefois calculé ce coefficient d’enrichissement a

postériori en utilisant la composition CI utilisée par McDonough and Sun, 1995, pour les

terres rares légères. Nous obtenons des valeurs comprises entre 1.75 et 1.78, bien inférieures à celles proposées par McDonough and Sun, (1995) et Palme and O’Neill, (2014), mais qui se rapprochent de celles proposées par Lyubetskaya and Korenaga (2007).

Les applications de cette méthode ont ensuite été élargies aux éléments volatils (Allègre et al., 2001). Ils démontrèrent que les chondrites carbonées forment une droite dans n’importe quel diagramme de rapport d’éléments volatils et modérément volatils, la position relative des chondrites CI CM, CO et CV étant toujours la même (Figure 37). La position de la Terre sur cette droite varie en fonction du caractère volatil des éléments considérés. Les abondances en éléments réfractaires de la Terre sont proches de celles des CI alors que celles des éléments volatils se rapprochent d’avantage des CV. Une telle systématique permit l’établissement d’une échelle de volatilité basée sur la position relative de la Terre sur cette droite (Allègre et al., 2001), en accord avec les températures de condensation de ces éléments, obtenues indépendamment (Lodders, 2003).

Figure 36. Evolution des rapports élémentaires (a) Fe/Al vs Mg/Al et (b) Fe/Mg vs Al/Mg entre les différentes chondrites. Les chondrites carbonées forment une droite qui permet, en considérant le rapport de deux éléments lithophiles réfractaires dans la BSE comme représentatif de leur rapport dans la Terre entière (BE pour Bulk Earth) de déduire les rapports élémentaires comprenant un élément sidérophile. (Extrait de Allègre et al., 1995).

CHAPITRE 1. ORIGINES, DIVERSITE DES OBJETS DU SYSTEME SOLAIRE ET CARACTERISATION DES RESERVOIRS TERRESTRES

Figure 37. Rapports élémentaires d’éléments volatils normalisés à un élément réfractaire. Ces diagrammes montrent la Terre alignée avec les chondrites carbonées, tous ces objets conservant la même organisation le long de cette droite, la Terre formant un pôle de cette alignement (Extrait de Allègre et al., 2001).

Il existe donc plusieurs modèles de composition de la Terre silicatée, fondés sur différentes hypothèses, mais débouchant tous sur une composition cohérente de la Terre en éléments majeurs. Des différences sont toutefois observables entre les abondances d’éléments traces (notamment les RLE) dans la BSE qui peuvent présenter des variations relatives de plus de 150% d’un modèle à l’autre. Dans notre étude, nous appliquons une approche différente. Une

74 d’observer la répartition des éléments étudiés entre les deux réservoirs. En comparant les concentrations obtenues avec les propositions des différents modèles évoqués ci-dessus, il nous est possible de mieux contraindre la composition des différents réservoirs, la composition des briques élémentaires, ainsi que les conditions de formation du noyau métallique au sein de l’océan magmatique.