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Hétérogénéité du système Solaire

CHAPITRE 1. ORIGINES, DIVERSITE DES OBJETS DU SYSTEME SOLAIRE ET CARACTERISATION DES RESERVOIRS TERRESTRES

2 Les météorites : témoins des hétérogénéités précoces du Système Solaire

2.3 Hétérogénéité du système Solaire

Au travers des météorites, et plus particulièrement des chondrites, il est possible d’observer une grande diversité de conditions de formation, entre les différents types de météorites, et au sein même des constituants de ces dernières. Nous pouvons globalement organiser les objets primitifs en deux catégories, en fonction de leurs conditions de formation :

• Ceux qui nécessitent la présence d’un gaz proche de la composition Solaire (chondrites à enstatite, CAIs), enrichi en carbone.

• Et ceux nécessitant des conditions plus oxydantes (chondrites ordinaires, carbonées, chondres).

Les conditions de formation de la première catégorie sont explicables par l’extraction d’objets réfractaires d’un gaz de composition Solaire, avec pour conséquence l’augmentation du rapport C/O du gaz.

A l’inverse, la seconde catégorie requiert des conditions plus oxydantes impliquant des mécanismes de modification de la fo2 à l’échelle régionale dans la nébuleuse. Les mécanismes à l’origine des fractionnements entre C et O sont encore débattus.

Bien que la théorie proposant qu’une nébuleuse à l’état gazeux (>1800 K) réalise un refroidissement monotone permette d’expliquer l’homogénéité isotopique du Système Solaire (Cameron, 1962), la réalité se révèle plus complexe.

Lors de la phase T-tauri, le disque Solaire est hétérogène, constitué de régions froides et denses, sujettes aux instabilités gravitationnelles, mais également de régions chaudes,

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partiellement ionisées et sujettes aux turbulences magnétiques et électriques (Wood, 1996). Les mouvements de matière résultant des turbulences physiques et gradients thermiques vont alors déterminer l’organisation de la matière dans le futur Système Solaire. Tout au long de son existence, le disque protoplanétaire perd de la masse, la matière étant accrétée par l’étoile centrale, jusqu’à obtenir un soleil constituant près de 99.86 % de la masse du système Solaire actuel. Dans le même temps, le disque protoplanétaire augmente en diamètre afin de conserver son moment angulaire (Weidenschilling, 1977).

Figure 17. Schéma illustrant la redistribution des éléments à partir de leurs régions de formations par ondes de chocs avant leur accrétion en planétésimaux (Scott and Krot, 2005).

Au sein du disque, la pression de gaz va décroissante avec l’éloignement de l’étoile. Le gaz orbitant plus lentement que les solides, crée un vent s’opposant à la rotation de ces objets, les poussant à dériver vers l’étoile (Figure 17). Cet effet affecte particulièrement les objets de tailles métriques (Weidenschilling, 1977). A l’inverse, un second processus, dit de photorèse, agit sur les particules de tailles centimétriques et inférieures. Ces dernières, soumises à des gradients de température de surface, sont repoussées vers l’extérieur du disque, jusqu’à la ceinture d’astéroïdes où elles se classent en fonction de leur conductivité́ thermique, densité et taille pour créer les corps parents des chondrites (Figure 17). Ce phénomène permet aux CAI et chondres d’être transportés loin du soleil (Chaussidon and Liu, 2015). Associés au

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Figure 18. Représentation du modèle de vent X. Dans ce modèle, les CAI se forment dans une région pauvre en gaz, ou elles sont exposées à l’irradiation par des particules très énergétiques émises par le Soleil. Les chondres sont formés simultanément dans une zone plus riche en gaz située proche de la région X. Ces différents objets sont ensuite transportés par les vent X jusqu’au lieu d’accrétion des chondrites (Extrait de Shu et al., 2001).

Le gradient de température régnant dans le disque amène la formation d’une série de fronts de condensation des éléments volatils. Les corps migrants vers l’intérieur, constitués en grande partie de glaces, perdent de la matière chaque fois qu’ils passent un front de condensation. Les éléments volatilisés enrichissent alors le Système Solaire interne. Cuzzi and Zahnle (2004), proposèrent que l’accumulation d’eau par cet effet soit à l’origine des conditions oxydantes ayant permis la précipitation des silicates riches en FeO des chondres et des chondrites ordinaires et carbonées. Cependant, il a été déterminé qu’un tel phénomène n’oxyderait pas suffisamment la région du disque en question pour permettre la formation des dits objets (IW-4.5) (Grossman et al., 2008). Un autre moyen d’augmenter la fo2 de la nébuleuse serait la sédimentation de particules excentrées et riches en volatils sur le plan du disque, associée à un phénomène d’évaporation. Mais de la même façon, ce procédé est incapable de produire les variations du rapport C/O nécessaires pour expliquer à la fois la formation des chondrites à enstatite et celle des objets plus oxydés (Grossman et al., 2008). A ce jour, la seule hypothèse viable serait l’existence d’une forte hétérogénéité spatiale dans le disque protoplanétaire, héritée du nuage de gaz primordial.

Des différences isotopiques systématiques sont observables entre météorites carbonées (CC) et non carbonées (NC). L’étude des anomalies nucléosynthétiques, qui représentent des variations isotopiques indépendantes de la masse (par exemple ε54Cr, ε50Ti, ∆17O), montre

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une nette dichotomie spatiale entre ces différents objets (Figure 19), qui renforce l’idée selon laquelle la Terre seraient issues de l’accrétion d’un matériel à majorité non carbonée (Warren, 2011). Une dichotomie similaire a été mise en évidence concernant la composition isotopique en V de ces différents objets (Nielsen et al., 2019), mais également pour les isotopes stables de Mo, Ru, ou encore W (Bermingham et al., 2018; Worsham et al., 2019).

Afin d’expliquer cette dichotomie si nette entre les groupes carbonées et non carbonées, il a

Figure 19. Mise en évidence de la dichotomie météorites carbonées – météorites non carbonées au travers de différentes corrélations d’anomalies nucléosynthétiques. (a) ε54Cr vs. ε50Ti (Warren, 2011), (b) ε54Cr vs ∆17O (Warren, 2011) et (c) µ45Mo vs. µ95Mo (Worsham et al., 2019). Les deux premiers diagrammes présentent également d’autres objets du Système Solaire. Cette dichotomie s’observe aussi bien pour les météorites non différenciées que différenciées.

(a) (b)

44 présentent les mêmes dichotomies que les chondrites,voir Figure 19) montrent que ces objets se sont accrétés dans deux réservoirs spatialement séparés entre 1 et 3-4 millions d’années (Kruijer et al., 2017). La formation rapide de Jupiter est le mécanisme le plus efficace pour limiter l’échange de matériel stellaire entre les deux réservoirs du disque. Ceci implique une accrétion du noyau de Jupiter jusqu'à une masse de l’ordre de 20 ME (Masse actuelle de la Terre) dans le premier million d’années de l’histoire du Système Solaire. Cette croissance se poursuivrait jusqu’à 3-4 millions d’années, jusqu'à atteindre 50 ME, permettant l’évolution indépendante des deux réservoirs. Cette isolation des deux réservoirs se termine lors de l’épisode du "Grand Tack", marquant le rapprochement des géantes gazeuses du Soleil, permettant le brassage de matériels carbonés et non carbonés et l’accrétion de matériels des deux réservoirs par les planètes en formation (Brasser et al., 2018; Kruijer et al., 2017). Jupiter serait donc la planète la plus ancienne du Système Solaire, s’étant formée avant même la dissipation du gaz de la nébuleuse Solaire (Figure 20). Cette théorie est cohérente avec les modèles dynamiques d’accrétion du Système Solaire, que nous allons développer dans le chapitre suivant.

Figure 20. Synthèse de la croissance de Jupiter et de la dichotomie générée dans le Système Solaire. Les rectangles bleus et rouges indiquent la période de formation des corps parents des différentes météorites. (Extrait de Kruijer et al., 2017)

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3 Quid des briques élémentaires : Potentielle parenté entre Terre