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Différenciation des phases silicatées et métalliques au cours de l’accrétion terrestre

CHAPITRE 1. ORIGINES, DIVERSITE DES OBJETS DU SYSTEME SOLAIRE ET CARACTERISATION DES RESERVOIRS TERRESTRES

3 Quid des briques élémentaires : Potentielle parenté entre Terre et chondrites ?

5.1 Différenciation des phases silicatées et métalliques au cours de l’accrétion terrestre

La formation d’un noyau métallique est un processus énergiquement favorisé par la différence de densité existant entre métal et silicate. Toutefois, cette redistribution nécessite la déformation des phases en jeu. Le métal et le silicate n’étant pas particulièrement malléables à basse température, la ségrégation du noyau terrestre n’a pu se faire qu’à des températures élevées. Ces températures ont pu être générées au cours de l’accrétion par différentes sources. La première d’entre elles est la décroissance radioactive à courtes périodes, la plus importante étant sans doute celle du 26Al ayant une demi-vie de 0,7.106 années. (Nimmo and Kleine, 2015). Les planétésimaux de taille supérieure à 30 km ne pouvant libérer de façon efficace la chaleur générée par les radioactivités éteintes, ces corps ont très vraisemblablement connu des épisodes de fusions plus ou moins complètes (Rubie et al., 2015). Un second mécanisme source de chaleur est la libération d’énergie lors d’impacts au cours desquels l’énergie cinétique de l’impacteur est en majeur partie convertie en chaleur. En fonction de la taille de l’impacteur, cette énergie peut se retrouver à une profondeur suffisante pour empêcher son évacuation par radiation seule, ce qui entraîne un échauffement de la masse impactée. Les impacts géants de l’accrétion tardive ont donc pu entrainer la fusion plus ou moins localisée de la proto-Terre. Une dernière source de chaleur connue est la libération d’énergie potentielle lors de la plongée du métal vers le centre de la planète. Cette source de chaleur reste néanmoins minime comparée aux deux autres, mais peut localement faciliter le transport du fer en réduisant la viscosité du milieu encaissant (Šrámek et al., 2010)

L’histoire de la fusion du manteau est pour le moment mal connue. Si l’océan magmatique résultant d’un impact refroidit lentement (comparé à la fréquence des impacts ≈106 années) il est plus facile d’envisager une fusion complète du manteau, plutôt que si chaque océan magmatique a le temps de se solidifier entre chaque impact. La dissipation de chaleur d’un

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magma convectif en surface est relativement rapide (≈103 années), à moins que cette dissipation ne soit retardée par la formation d’une croûte en surface. Cependant, celle-ci serait vraisemblablement détruite par les impacts suivants (Zahnle et al., 2007). La Terre a donc vraisemblablement été témoin de plusieurs épisodes d’océan magmatique successifs, dont le rapport élevé 3He/22Ne du manteau terrestre pourrait être une conséquence (Tucker and Mukhopadhyay, 2014). La plus grande partie, sinon la totalité, du manteau terrestre était fondue lors des dernières phases de l’accrétion terrestre. L’apport de métal au centre de la Terre ne se résume donc pas à un unique épisode, mais s’est déroulé en plusieurs étapes, réparties au cours de l’accrétion terrestre, faisant intervenir différents mécanismes : percolation, circulation par dike, formation de diapir et l’enfouissement direct dans le noyau lors de l’impact (Nimmo and Kleine, 2015)

La percolation et la circulation par dike sont deux mécanismes se produisant pour des températures supérieures au liquidus du métal mais inférieures à celui du silicate. Le métal circule dans le silicate liquide en direction du centre de la planète (par contraste de densité) au moyen d’un réseau interconnecté de porosité dans le silicate, ou via le remplissage par le métal liquide de fissure (dike). Bien que rapide, il est peu probable que la circulation par dike puisse se produire sur de longues distances dans le manteau interne. De la même façon, il est peu probable que la percolation du métal liquide au niveau des joints de grains ait été un mode d’acheminement de matière significatif au cours de l’accrétion.

Dans le cas où la température permet la déformation visqueuse du silicate, le métal peut alors s’accumuler et former des diapirs, plongeant dans le silicate en déformation. La vitesse de progression dépendra de la taille du diapir et de la viscosité du milieu environnant, mais peut se révéler relativement rapide (≈103 années) (Ricard et al., 2009; Rubie et al., 2003). Ce processus est applicable à des corps de petites tailles, permettant leurs décélérations dans le manteau par frottement, entrainant l’échauffement du système et réduisant ainsi la viscosité du silicate.

L’ensemble des mécanismes énumérés précédemment présuppose l’existence d’une phase silicatée plus ou moins solide. Si la température devient suffisamment élevée pour dépasser le

56 Concernant la ségrégation manteau-noyau de l’impacteur à l’état liquide, Rubie et al. (2003) ont comparé deux modèles de progression du métal dans l’océan magmatique :

• Un diapir de métal cohérent tombe dans l’océan magmatique pour s’équilibrer chimiquement en base de ce dernier ("metal pond") avant de finir sa course par percolation dans le manteau inférieur solide.

• Le diapir de métal est déstabilisé après l’impact et se fractionne en une série de gouttelettes qui s’équilibrent localement avec un volume du magma environnant et termine sa course en s’infiltrant dans le manteau solide jusqu’au noyau (Figure 25).

Dans le premier modèle, le temps nécessaire pour atteindre l’équilibre chimique entre le diapir de métal et l’océan magmatique est très grand par rapport au temps de formation du noyau terrestre. Ceci implique un déséquilibre chimique entre le noyau et le manteau primitif.

Figure 25 Modèle de fragmentation du noyau métallique d’un impacteur lors de sa course dans l’océan magmatique, sous l’effet de la différence de viscosité entre l’environnement silicaté et le métal. (Extrait de Deguen et al., 2014)

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Le deuxième modèle permet un équilibre rapide du métal en augmentant la surface totale d’échange avec le magma (Ulvrová et al., 2011). Les dernières études numériques (Qaddah et al., 2019) et expérimentales favorisent ce dernier modèle (Figure 25), montrant que la fragmentation du métal liquide arrive systématiquement dans une longueur de chute correspondant de 3.5 à 8 fois le rayon initial du diapir métallique et se révèle être principalement fonction de la viscosité du silicate (et donc de la température du milieu). La Figure 26 résume l'ensemble des mécanismes à l'œuvre lors de la différenciation métal- silicate et la formation du noyau métallique.

Figure 26 Schéma résumant les mécanismes à l’œuvre lors de la ségrégation du métal d’un impacteur différencié ainsi que sa progression jusqu’au noyau terrestre. (Extrait de Nimmo and Kleine, 2015)

58 isotopique de l’oxygène (Borg et al., 2011). Les fractionnements observés pour certains isotopes entre ces deux objets, notamment les éléments volatils, sont également bien expliqués par des mécanismes d’évaporation-condensation (Wang and Jacobsen, 2016). Par conséquent le modèle favorisé pour expliquer la présence de ce satellite naturel est celui d’une origine commune de la Terre et de la Lune. Un impacteur (nommé Théia) de la taille approximative de Mars (~0.1 ME) serait entré en collision avec la Terre en fin d’accrétion. Les débris restés sous l’influence gravitationnelle de la Terre se sont ensuite accrétés sur le plan de rotation de la Terre pour former la Lune (Canup and Asphaug, 2001).

La puissance d’un tel impact entraine la fusion du manteau terrestre et l’assimilation du noyau de Théia par le noyau terrestre. Les modèles numériques et expérimentaux montrent que l’assimilation du noyau de Théia se fit sans que ce dernier n’ait le temps de s’équilibrer chimiquement avec l’océan magmatique environnant, le diapir de métal se frayant un chemin directement vers le centre de la planète (Deguen et al., 2014; Landeau et al., 2016). Toutefois l’impact arrivant tardivement dans l’histoire accretionnelle de la Terre, l’effet de ce dernier sur l’abondance des éléments dans les différents reservoirs terrestre reste faible (Rudge et al., 2010). De même, les similitudes isotopiques trouvées entre la Lune et la Terre impliquent que la Terre et Théia devaient partager ces mêmes similitudes (Dauphas, 2017; Kaib and Cowan, 2015) et provenaient de la même région du Système Solaire.