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Contraintes établies sur la composition du noyau ?

CHAPITRE 1. ORIGINES, DIVERSITE DES OBJETS DU SYSTEME SOLAIRE ET CARACTERISATION DES RESERVOIRS TERRESTRES

6 La Terre actuelle et la constitution de ses différents réservoirs

6.1 Contraintes établies sur la composition du noyau ?

Le noyau actuel correspond à 32% de la masse et 16% du volume de la planète Terre. La limite manteau-noyau est caractérisé par des pressions d’environ 136 GPa pour des températures dépassant 4000 K. Sa composition, bien que contrainte par les nombreuses observations évoquées précédemment, reste malgré tout mal comprise.

Outre les expériences de partages des éléments chimiques à hautes pressions et températures, d’autres mesures telles que la vitesse des ondes sismiques ou la conductivité électrique et thermique du milieu peuvent nous permettre d’en comprendre davantage sur la composition du cœur de la Terre.

Dès 1952, Birch proposait que le noyau terrestre devait être composé à ~10 wt% d’éléments légers pour expliquer le déficit de densité par rapport au fer pur, observé lors du passage des ondes sismiques. Le nickel, bien présent dans le métal météoritique, n’altère pas la densité du fer métal, et d’autres éléments doivent être invoqués pour expliquer ce déficit. Le noyau est donc supposé contenir des éléments légers (Si, O, S, C, H...) en concentration non négligeable (Allègre et al., 1995; Poirier, 1994). La présence de ces impuretés dans le noyau doit avoir des effets notables sur la structure du métal, sa compressibilité, le profil de vitesse des ondes sismiques le traversant. Une revue détaillée de ces analyses in-situ est disponible dans Hirose et al. (2013).

Un consensus a été trouvé autour de la présence de Si dans le noyau. Le rapport Mg/Si du manteau supérieur (~1,3) étant significativement plus élevé que celui des chondrites (~1), il a été proposé que le "Si manquant" soit stocké dans le manteau inférieur et/ou le noyau. Allègre et al. (2001), calculèrent par une approche cosmochimique que l’appauvrissement du manteau supérieur en Si pouvait être équilibré par 7,3 wt% Si dans le noyau, ce qui en ferait l’élément léger le plus concentré dans le noyau. Il a également été montré expérimentalement que l’entrée de Si dans la phase métallique est favorisée à haute pression (Bouhifd and Jephcoat, 2011; Fischer et al., 2015; Gessmann et al., 2001; Siebert et al., 2012). Cette théorie fut

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renforcée par la mesure d’anomalies isotopiques en Si entre la Terre et les chondrites explicables par le fractionnement du Si par son partage dans le métal (Fitoussi and Bourdon, 2012; Ziegler et al., 2010). Ces études suggérèrent 6 wt% Si dans le noyau (Ziegler et al., 2010).

En plus de Si, O est également un bon candidat pour entrer dans le noyau. Si ayant condensé sous forme SiO2, la dissolution de Si dans le noyau a du libérer une quantité non négligeable de O dans le manteau primitif, participant à l’oxydation de la Terre durant sa croissance (O’Neill et al., 1998). A basses pressions, O et Si sont mutuellement exclusifs dans la phase métallique (Kawazoe and Ohtani, 2006), cette tendance s’inverse à haute pression (Takafuji, 2005). Plus récemment, des expériences à haute pression montrèrent que l’affinité de O pour le métal liquide augmente avec la pression, en particulier au-delà de 40 GPa (Bouhifd and Jephcoat, 2011; Corgne et al., 2009; Siebert et al., 2012). Fischer et al. (2015) réussirent à produire des échantillons contenant près de 11,3 wt% O à 100 GPa et 5700 K. Ces valeurs sont toutefois peu représentatives de la composition du noyau, au vu de la densité de ce dernier. La plupart des études s’accordent sur la nécessité d’une présence minimum de 1-2 wt% O (Rubie et al., 2011; Wood et al., 2006). Blanchard et al. (2015), proposèrent un minimum de 2wt% O dans le noyau, nécessaire pour expliquer les concentrations de gallium dans la BSE. Toutefois la concentration maximum de cet élément dans le noyau reste encore source de débat. Allègre et al. (2001) et Badro et al. (2015) proposèrent un noyau contenant jusqu’à 5 ou 6 wt% O. De récentes paramétrisations (Fischer et al., 2015) du comportement de Si et O ont permis de mieux contraindre le partage de ces éléments au cours de l’accrétion terrestre en fonction des conditions de pressions, température et de fugacité d’oxygène. Il en résulte un noyau contenant 8.5 ± 1.4 wt% de Si et 1.6 ± 0.3 wt% de O, ce qui est cohérent avec les observations faites précédemment. Plus largement, tout modèle parvenant à reproduire la composition de la BSE présente un noyau avec O et Si comme éléments légers les plus concentrés, avec toujours plus de Si que de O (Fischer et al., 2017).

Le soufre est un élément sidérophile dont la présence dans le noyau est peu discutée. S est également un élément volatil, appauvri dans la BSE par rapport à la droite d'appauvrissement

76 La concentration à hauteur de 2 wt% de S permettrait de ramener son abondance sur Terre sur la courbe de volatilité (Allègre et al., 2001 ; Dreibrus and Palme, 1996 ; McDonough, 2014). Cette valeur fut par la suite confirmée expérimentalement (Boujibar et al., 2014; Suer et al., 2017). Il a toutefois été proposé que l’incorporation de quantité bien plus élevées de soufre lors des derniers stades d'accrétions (Wohlers and Wood, 2015). Cet enrichissement fut proposé pour donner le rôle de réservoir caché de Nd au noyau métallique et ainsi expliquer l’anomalie en 142Nd observé dans la BSE par rapport aux chondrites (Boyet and Carlson, 2005). Cet enrichissement en S du noyau permettrait également l’entrée d’éléments radioactifs (U, Th) dans le noyau, engendrant le démarrage de la geodynamo par dégagement de chaleur (Wohlers and Wood, 2017). La pertinence de ces arguments sera discutée dans les chapitres 4 et 5 de ce manuscrit. Toujours est-il que les concentrations en soufre proposées dans le noyau contredisent les observations cosmochimiques (Allègre et al., 2001; Dreibrus and Palme, 1996; Palme and O’Neill, 2014) et sont bien supérieures aux concentrations nécessaires pour expliquer l’appauvrissement de la BSE en éléments dit chalcophiles (Se, Te, Cu...), qui suivent le S dans le noyau (Rose-Weston et al., 2009; Savage et al., 2015).

Figure 38 Concentrations des éléments sidérophiles (rouge) et lithophiles (bleu) dans la BSE, normalisés aux chondrites CI et à Mg. Les éléments sidérophiles se retrouvent en dessous de la droite de volatilité du fait de leur partage dans le noyau. Une concentration de 2 wt% de S dans le noyau suffit à expliquer l’appauvrissement de cet élément (ainsi que de plusieurs éléments chalcophilles par rapport à la droite de volatilité (modifié à partir de Siebert et Shaha, 2015).

CHAPITRE 1. ORIGINES, DIVERSITE DES OBJETS DU SYSTEME SOLAIRE ET CARACTERISATION DES RESERVOIRS TERRESTRES

Le carbone et l’hydrogène sont des éléments plus volatils que le soufre et leur présence dans le noyau est vraisemblablement ultra minoritaire, au vu des récentes données expérimentales (Clesi et al., 2018; Li et al., 2016).

En résumé, la composition du noyau la plus consensuelle à l’heure actuelle est dominée par le Si (entre 6 et 9 wt%). La présence de soufre à hauteur de ~2wt% est également vraisemblable. Le contenu en O reste variable en fonction des études, avec un minimum de 1 à 2 wt%, et un maximum pouvant atteindre 6 wt%. Ces valeurs seront discutées dans la suite de notre étude. De nouvelles contraintes géochimiques sont nécessaires pour affiner les modèles de composition de la Terre et de ces différents réservoirs.