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5 | L’année 2009 : quand la jungle pachtoune se démantèle

La plupart du temps, les campements détruits n’accueillaient que de petits groupes de migrants. Mais en 2009, commence une organisation plus structurée, majoritairement réalisée par des migrants d’origine afghane pachtoune. Cette auto-organisation se forme dans une forêt à quelques kilomètres de Calais, non loin du port d’où partent les ferries en direction de l’Angleterre qu’on appellera « jungle pachtoune ». Le terme occidentalisé « Jungle » reprend donc le terme original perse et pashtoun djangal qui signifie « coin de forêt ». Son utilisation sera de plus en plus reprise et déformée jusqu’à avoir une connotation négative. Une autre ethnie afghane, les Hazaras, vit aussi dans la jungle de l’autre côté de la rue. En août, cette « jungle » abrite entre 500 et 700 migrants répartis dans une soixantaine de cabanes. Face à une installation de cette envergure, les raids de la police diminuent.

C’est donc peu à peu que les installations -autrefois réalisées avec de simples bâches- se consolident. Directement à l’entrée du camp, on trouve la mosquée, dont un soin particulier lui est réservée. Généralement, les cabanes qui servent d’habitat ne sont composées que d’une seule pièce où se regroupent une dizaine de personnes. L’intérieur des cabanes sert la plupart du temps à se reposer le matin car la nuit est vouée à tenter la traversée vers l’Angleterre. C’est donc pendant la journée que l’on peut rencontrer la majorité des habitants du camp. Les jours sont remplis de tâches quotidiennes : laver les habits, aller prendre de l’eau au puits pour cuisiner ou se raser par exemple. On discute aussi beaucoup de son pays d’origine, son parcours jusqu’à Calais, les épreuves endurées, les violences, les anecdotes et conseils. On parle des campements où l’on s’est abrité ou de son séjour au commissariat. Pour la plupart, ce sont des hommes entre vingt et trente ans. Ils ne tentent la traversée que la nuit, de peur d’être repérés à la lumière du jour. La jungle est donc un lieu d’attente et de repos ainsi qu’une nouvelle maison favorisant le regroupement communautaire. On y reconstruit un quotidien à l’aide de d’objets récupérés en ville ou

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donnés par les associations. Un feu se trouve constamment à l’extérieur des cabanes. On s’y regroupe pour prendre le thé, faire bouillir de l’eau ou bien se réchauffer. Parfois, certains tentent même de se brûler le bout des doigts afin de faire disparaître leurs empruntes digitales. En effet, le règlement Dublin II prévoit le renvoi des migrants dans le pays par lequel ils sont arrivés en Europe. Pour beaucoup il s’agit de la Grèce ou de l’Italie, et craignent donc un renvoi forcé vers ces destinations.

Malgré la précarité des conditions de vie, le quotidien reste très codé. La jungle appartient aux afghans et, depuis 2007 environ, les squats sont généralement investis par les ressortissants africains comme « l’African House », ancienne scierie désaffectée et insalubre, sans portes et où la plupart des vitres sont cassées. Malgré les évacuations, les regroupements communautaires sont respectés. Ils vivent donc à des endroits différents, utilisent des passages différents et ne partagent pas le même quotidien. Les lieux de repas font partie des rares moments où toutes les nationalités se croisent.

Cependant, le problème reste le même qu’à Sangatte. La visibilité du camp liée à sa taille grandissante représente une menace pour le gouvernement français. En 2009, l’aggravation du conflit en Afghanistan mène de plus en plus d’exilés dans le nord de la France. Leur présence devient plus visible sur le littoral. Des expulsions sont prévues mais sont alors bloquées par la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Plusieurs événements amènent progressivement à la fermeture de la jungle de Calais :

• 27 janvier : Éric Besson, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire se rend dans le nord pour « prendre connaissance de la situation »

• 21 avril : 200 personnes sont arrêtées dans le campement des Afghans, cette action est considérée comme une « répétition » du démantèlement de la jungle pachtoune.

• 23 avril : Eric Besson présente un plan en deux phases. La première fait appel à la fermeté du gouvernement. Il veut fermer tous les squats et campements avant la fin de l’année 2009. La deuxième est l’humanité. Il veut aménager un lieu de distribution pour les

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repas, un accueil de jour, et un espace de sanitaires et douches décent. Le financement doit venir des collectivités locales et la gestion sera faite par les associations. Le HCR ouvre un bureau de renseignement sur l’asile et d’autres associations comme France Terre d’Asile accompagnent progressivement les réfugiés dans leurs démarches administratives.

• Juillet : On trouve jusqu’à 1200 ou 1400 migrants à Calais. Les mois qui suivent montrent une diminution de la présence des migrants dans le Calaisis liée dans un premier temps à plus de facilité pour passer la frontière, dans un second temps à l’accord entre la Turquie et l’Italie qui dévie les routes migratoires pour les personnes venant de la corne de l’Afrique et enfin à une réorientation conséquente d’une partie des Afghans vers les pays scandinaves (Norvège, Danemark, Suède).

• 22 septembre au 07 octobre : La destruction du camp pachtoune, annoncée en avril 2009 par Eric Besson, est mise à exécution et son démantèlement sera médiatisé internationalement. On évacue également le camp des Soudanais et on rase le squat des Érythréens le même jour. Les médias font de cet événement le symbole de la protection du territoire en éradiquant les mafias, les passeurs ainsi que la misère qui l’entoure. Ce n’est en réalité qu’un écran de fumée.

La volonté d’Eric Besson pour lutter contre l’immigration illégale se traduit directement par une augmentation de 20% du budget du ministère4. La mobilisation est donc sans précédent en France : trois bulldozers, une dizaine de camions, 500 CRS, police de l’air et des frontières ainsi que des gendarmes et une entreprise de bûcheronnage employée afin de rendre le terrain impraticable pour de nouvelles installations. Cette opération dite « vitrine » permet au gouvernement de montrer publiquement la résolution du problème des migrants dans un objectif centré sur les prochaines élections électorales. Aucune mention n’est faite sur la volonté de réduire les flux migratoires à la

4 « Discours d’Eric BESSON lors de la conférence de presse du lundi 13 septembre 2010 : bilan des 8 premiers mois de l’année 2010 & programme pour les 4 prochains mois » disponible sur https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Archives/Les-archives- du-Cabinet-de-M.-Eric-Besson-2009-2010/

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VISUEL 15 - Un migrant dans le campement de Calais derrière une bannière «La jungle est notre maison. S’il vous plait, ne la détruisez pas. Si vous le faites, alors à quel endroit aller ?»

Le 21 septembre 2009

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frontière franco-brittanique ou bien de détruire les filiales clandestines de passeurs. Sur les 276 personnes arrêtées, la très grande majorité fut placée temporairement dans des centres de rétention dont ils furent libérés quelques jours après faute d’avoir respecté le droit des migrants interpellés.

Ainsi, après le démantèlement du camp en septembre 2009, c’est un nouveau retour à la précarité et aux continuelles descentes de CRS dans la jungle que doivent affronter ces exilés. Une fois encore des centaines de personnes se retrouvent à errer autour de Calais. C’est donc de plus en plus loin des villes que les campements se créent le soir et disparaissent au matin. En 2010, le lieu de distribution des repas a été déplacé du centre-ville vers la zone industrielle, près du port, afin, encore une fois, de déplacer cette misère loin des yeux des habitants de Calais pourtant habitués à ces perpétuels passages.

La seconde partie de l’année 2009 est donc marquée par de nombreux bouleversements. On assiste également à la destruction du camp de Patras début juillet, qui existait depuis douze ans, mais aussi à l’évacuation des campements de la gare de l’Est à Paris en août.

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6 | Mise en place progressive d’un réseau